Sa Majesté Kagame trône donc désormais au sommet de l’Afrique.
Choisi par ses pairs il y a déjà six mois pour succéder au Guinéen Alpha Condé, il est devenu depuis hier le nouveau président en exercice de l’Union africaine (UA), avec dans sa lettre de mission des tâches aussi gigantesques les unes que les autres, comme la lutte contre la corruption, un fléau qui ferait perdre au continent au moins 50 milliards de dollars par an.
Mais c’est à se demander si la bataille contre ce mal qui gangrène nos sociétés ne s’apparente pas à une lutte contre des moulins à vent, nos chefs d’Etat étant parfois les premiers vecteurs de la corruption, quand ce n’est pas tout simplement le programme de gouvernement de certains, qui considèrent leur pays comme leur propriété.
L’autre chantier majeur auquel doit s’attaquer le président rwandais et sur lequel il sera très attendu, c’est l’application de cette fameuse taxe de 0,2% sur les produits importés non africains et qui devrait servir à renflouer les caisses d’une organisation qui, 55 ans après sa création, continue désespérément de faire la manche sur le trottoir mondial pour son fonctionnement et le financement des quelques rares projets fédérateurs.
Résoudre cette équation de l’autofinancement est impérieux d’autant plus que les « généreux » donateurs qui, jadis, donnaient sans compter, semblent désormais avoir des oursins dans les poches depuis que la crise économique est passée par là. Mais certains pays, et pas des moindres, comme l’Egypte, l’Afrique du Sud et le Nigeria, sont réticents à faire ce pas et freinent même des quatre fers pour éviter une réforme qui pourrait porter préjudice à leurs économies, tournées vers l’extérieur.
L’homme mince de Kigali pourra-t-il donc dégraisser le mammouth d’Addis-Abeba qui se meut difficilement ? Si l’on s’en tient à ses propres états de service, ça ne devrait pas être mission impossible pour lui. On peut, en effet, dire tout ce qu’on veut du nouveau président des présidents africains, pour ne pas dire le « nouveau roi des rois d’Afrique » : qu’il est un affreux despote qui martyrise journalistes, opposants et activistes de la société civile, sauf qu’il n’est pas un « dictateur éclairé », comme on le disait jadis de ces tyrans qui ont obtenu des résultats socio-économiques extraordinaires en écrasant littéralement leur peuple.
De surcroît, n’est-il pas lui-même un exemple de probité, voire un parangon d’ascétisme, dans un environnement africain pollué par la gabegie et autres extravagances de ces princes qui nous gouvernent au point d’être à la limite une anomalie statistique dans le syndicat des chefs d’Etat ?
Reste à savoir si Paul Kagame pourra diriger l’UA comme une caserne à l’image du Rwanda et mettre au pas 55 Etats avec autant de réalités différentes, surtout qu’il n’a qu’une petite année pour imprimer sa marque et faire sa révolution. On a bien peur qu’à la fin de son mandat, et ça ne sera sans doute pas par manque de volonté, le vaste champ qui vient de lui être confié soit à peine débroussaillé.
La 30e grand-messe de l’organisation régionale est donc dite. Sans que cette fois-ci, comme s’est souvent le cas, une actualité brûlante sur le continent vienne rattraper les conférenciers et bouleverser de fond en comble l’agenda des discussions.
C’est même plutôt un fait divers qui se sera invité au nouveau siège de l’Union, construit, équipé et fourni clé en main, comme on le sait, gratis pro deo par les Chinois. Vous avez bien dit gratis ? Peut-être pas tout à fait. Le don de Pékin est manifestement trop généreux pour être honnête. La rencontre d’Addis a en effet été traversée par cette histoire d’espionnage révélée par le journal Le Monde la veille du début du sommet.
Lors de l’érection de l’immeuble, entre 2009 et 2012, les fourmis besogneuses de l’Empire du milieu auraient truffé le bâtiment de petits gadgets d’espionnage dignes de James Bond pour voir et entendre tout ce qui s’y fait et se dit, même dans le saint des saints. Vraies ou fausses, ces révélations ont en tout cas eu le don tantôt d’irriter tantôt d’agacer nombre de nos présidents, dont la plupart se sont refusés à commenter ce sujet.
Même si Pékin dément, il n’y aurait rien de surprenant si cette information devait s’avérer. On savait déjà qu’ils sont de grands consommateurs de matières premières « made in Africa », qu’ils inondent depuis longtemps nos villes et campagnes de camelotes qui durent à peine le temps des roses, qu’ils nous fourguent leurs produits médicamenteux et leurs décoctions aphrodisiaques et, depuis peu, les poupées gonflables qui vont avec et voici qu’on les surprend maintenant à regarder par le trou de la serrure.
Il semble, selon Le Monde, que depuis cette découverte les ingénieurs chinois qui travaillaient dans la Tour de verre ont été congédiés sans bruit et que le système de sécurité de l’organisation a été renforcé et pris en main par l’UA. Mais un audit architectural et informatique ne serait pas de trop pour s’assurer de l’intimité de nos chefs d’Etat.
Hugues Richard Sama