A Rome, on a un pape qui défend les droits des pauvres et des riches, des citoyens comme des immigrés. Il se nomme Jorge Bergoglio et nous vient d’Argentine. Il a pris le nom de pape François, nom choisi en mémoire de l’engagement de saint François d’Assise, dans le combat pour les pauvres et pour la paix. A Ouaga également, on a un François qui n’a pas eu besoin d’emprunter son nom. Il défend aussi des droits, particulièrement celui de son grand frère d’être président à vie du Burkina Faso. Pour atteindre cet objectif, ils veulent mettre en place un sénat pour des gens déjà riches et organisent des marches avec une majorité de pauvres attirés par des gadgets et des billets de banque. Si le François de Rome apparait comme un rassembleur, celui de Ouaga s’illustre comme le pape de la division, se rapprochant ainsi d’un Dénis Yaméogo de la première République.
La vie publique de François Compaoré est jalonnée d’actes qui sèment la division, y compris à l’intérieur de son propre camp politique. N’est-il pas sur la voie de Dénis Yaméogo, le cousin du président Maurice Yaméogo ? Tout laisse croire que le frère cadet du président Blaise Compaoré est en train de conduire le régime de son frère à sa perte comme Dénis Yaméogo, il y a 47 ans avec le régime de son cousin Maurice. Ils n’ont pas le même tempérament certes (Dénis était très sanguin alors que François est froid comme son frère), mais ils ont en commun le rejet de leur personne par une large partie de l’opinion.
Dénis était la terreur de la première République. Il était très craint aussi bien par les collaborateurs du régime que par ses opposants. Compagnon de longue date de Maurice, il va jouer le rôle d’ange-gardien de ce dernier jusqu’au bout. Il occupe plusieurs postes ministériels de 1958 sous le gouvernement de Ouezzin Coulibaly au 3 Janvier 1966, date de la chute de Maurice dont il a largement contribué par ses propos va-t-en-guerre et ses actes brutaux. En effet, au début de la contestation des syndicats, mécontents du rabattement de 10% de leurs salaires, c’est à lui que le président a recours pour recevoir les leaders syndicalistes. On se demande quelle était l’intention de Maurice, connaissant le tempérament de son cousin. Toujours est-il que ce dernier qui occupait le poste de ministre délégué à la présidence chargé de l’Intérieur et de la Sécurité ne va pas démentir sa réputation. Une fois les dirigeants syndicaux chez lui, il les pilonne d’injures grossières et les somme de quitter son bureau manu militari. C’est l’incident de trop qui radicalise les syndicats. La suite, on la connait. Maurice est contraint à la démission par des milliers de manifestants qui ont répondu à l’appel des syndicats à la Place des Armes (l’actuelle Place de la Nation). Avec Maurice, Dénis sera arrêté, jugé et condamné par un tribunal spécial. Il meurt en détention en 1968. Ses ayant droits réclamaient jusqu’en 2004 la restitution des biens « confisqués » de leur père. Leur dossier déposé auprès de la commission chargée de l’indemnisation des victimes des violences en politique n’avait pas abouti. Leur seul recours était le chef de l’Etat à qui ils avaient adressé une lettre publique pathétique. Ont-ils eu gain de cause ou non ? Aujourd’hui, ce n’est la préoccupation de personne. La mémoire collective retient simplement que Dénis Yaméogo a été arrogant, brutal et grossier.
Une réputation sulfureuse dans l’opinion
Que retiendra la même mémoire collective de François Compaoré ? L’histoire s’en chargera. Mais d’ores et déjà, sa réputation n’est pas enviable. C’est un personnage clivant et rebutant pour une grande partie de l’opinion burkinabè. Sa dernière sortie publique sur le sénat et l’article 37 est autant désastreuse que sa première apparition sur la scène publique burkinabè. Parfait inconnu des Burkinabè depuis l’accession de son frère au pouvoir en octobre 1987, François Compaoré apparait,de triste manière, au grand public pour la première fois en janvier 1998. Dans le journal L’Indépendant, on y apprend qu’il a envoyé ses trois employés de maison dans la caserne du Conseil pour une histoire de vol de 35 millions de F CFA. Les faits se passent en fin 1997. Un d’entre eux meurt en décembre de la même année suite aux tortures qui lui sont infligées. Il s’appelle David Ouédraogo. Son corps n’est pas restitué à sa famille et celle-ci ignore où il a été enterré. Les deux autres employés sont brûlés au troisième degré et porteront les séquelles toute leur vie. On connait la suite de cette affaire avec l’assassinat du journaliste Norbert Zongo qui enquêtait là-dessus. Dans ces deux dossiers, François Compaoré a réussi jusque-là à se tirer d’affaire au niveau de la Justice. Mais dans l’opinion, le jugement qu’on se fait de lui est implacable. François est vu comme quelqu’un qui a peu d’égard pour la loi, un homme qui se moque des institutions de son pays. En livrant ses présumés voleurs aux militaires du Conseil au lieu de les conduire dans une gendarmerie ou un commissariat de police comme tout bon citoyen le ferait, il a enfreint à la loi. Jusqu’à la mort de David, personne ne réussit à le convaincre de revenir à la République, c’est-à-dire à la loi. Quand la famille de David a déposé une plainte à la justice, François a été inculpé pour « séquestration, meurtre et recel de cadavre » par le juge d’instruction qui a eu du mal, jusqu’au bout, à lui transmettre ses convocations. Le seul huissier qui a eu le « courage » d’aller à son bureau pour lui remettre la convocation a eu la frayeur de sa vie. Le regretté Marcel Kafando et ses hommes n’étaient pas des enfants de coeur. Depuis lors, notre « faux brave » huissier évolue dans la politique et occupe aujourd’hui le portefeuille de l’Aménagement du territoire et de la décentralisation dans le gouvernement. C’est un des rentiers du dossier David Ouédraogo au même titre que son homologue de la Justice Dramane Yaméogo, procureur du Faso au moment des faits. Entre 1997 et 1998, François Compaoré a donc refusé à maintes reprises de répondre aux convocations de la Justice. Il se portait toujours absent de son bureau ou du pays pour se justifier. Un argument qui ne peut aucunement prospérer. C’était simplement de la défiance vis-à-vis d’une institution de la République. On a fait jouer aux procureurs le rôle de la défense. Ils ont valsé trois juges d’instruction qui tenaient à faire leur travail. Ils seront tous dessaisis avant que le dossier n’atterrisse finalement au niveau du tribunal militaire, donc sous bon contrôle. Dans les annales de l’histoire judiciaire du Burkina, c’est de l’inédit. Le principal accusé obtiendra la requalification des faits et lors du procès, il n’est cité que comme simple témoin. Après ses démêlés judiciaires, François Compaoré jette ses forces sur le terrain politique. Sur ce plan également, son ascension s’est opérée dans un climat délétère au sein de son propre camp. Il n’arrive pas à rassembler autour de lui. C’est plutôt la division qu’il sème quand il arrive.
Une illusion sur le renouvellement de l’élite dirigeante
Pour écarter les anciens pontes du système tels Salif Diallo, Roch Marc Christian Kaboré, Simon Compaoré et autres qui lui faisaient de l’ombre, le conseiller à la présidence (depuis 1989) et ses amis ont eu recours au discours du « changement » qui devrait faire place aux jeunes et aux femmes. L’argument a servi à la prise de la direction politique du parti sans pour autant faire droit aux jeunes et aux femmes dans les instances électives du parti. Conséquences, une exacerbation des divisions au sein de la classe dirigeante. La violence des luttes de clans a contraint les ténors au silence, attendant l’arbitrage du chef. Eux seuls semblent ne pas avoir compris son silence. François, lui, sait de quel côté balance le cœur de son frère. C’est pourquoi il ne se gêne plus. La marche du 6 juillet avec les pancartes, les affiches appelant à la révision de l’article 37 vient démontrer que même les figurants du bureau politique ne comptent plus. Ils apprennent à leur dépend qu’ils comptent pour peu dans le parti. Ils sont venus découvrir les affiches et les pancartes problématiques à la Place de la Nation. Malgré les consignes données pour les faire disparaitre, il n’en a rien été. Ils ont fini par comprendre quand François a enfoncé le clou par ses déclarations guerrières contre la constitution dont un des articles est de trop, à ses yeux : « Nous pensons que la modification de l’article 37 est vraiment un acte qui permet aussi au peuple de s’exprimer au lieu de rester bloqué […] Le fait de bloquer un homme ou un parti par un article, ça n’a pas de sens. Quand le peuple n’a pas besoin de vous, vraiment, on n’a pas besoin d’un article pour vous bloquer. Il suffit de leur dire d’aller aux urnes, ils vont aller choisir qui ils veulent. Voilà pourquoi nous pensons que c’est peut-être un article de trop.»
Sans le vouloir peut-être, il met de l’eau dans le moulin de l’opposition qui a toujours associé la mise en place du sénat à la révision de l’article 37. Ce que les responsables du CDP ont toujours nié, de Bongnessan à Assimi Kouanda en passant par Achille Tapsoba et Alain Yoda, le président du groupe parlementaire du parti. Lors de leur conférence de presse annonçant la marche du 6 juillet, ils avaient également démenti ce probable lien. En mettant les pieds dans les plats, François commet la gaffe qu’il ne fallait pas pour son parti. C’est une véritable catastrophe pour le CDP en termes de communication. Aujourd’hui, nombre de dirigeants du parti apparaissent comme de vulgaires menteurs. Par la faute du Monsieur François.