En pleine mise en œuvre du Plan national de développement économique et social (PNDES), le gouvernement aura besoin en cette année 2018 d’une forte mobilisation des ressources propres pour le financement de projets structurants. A cet effet, les services de l’administration des douanes, qui constitue une des plus importantes régies de recettes du Burkina, seront fortement mis à contribution. Le directeur général des douanes, Adama Sawadogo, le confirme dans l’entretien qu’il nous a accordé. Il y décline les prévisions de recettes douanières cette année, les stratégies ainsi que les réformes engagées par sa direction pour répondre aux attentes du gouvernement.
Sidwaya (S.) : L’année 2017 vient de s’achever, quels sont les résultats engrangés par l’administration des douanes burkinabè?
Adama Sawadogo (A.S.) : Avant tout propos, je souhaite mes vœux de bonne santé à tous parce qu’elle est au centre de toute activité humaine. Lorsqu’on est en bonne santé, on peut vaquer tranquillement à ses occupations pour subvenir à ses besoins. Ces vœux sont adressés à mes collègues, à tous les agents des douanes. Je formule aussi des vœux de paix pour le Burkina Faso, car, en 2017, notre pays, par moment, a été perturbé par des attaques terroristes. Dans un tel environnement, il est difficile d’avoir la sérénité nécessaire pour accomplir les missions.
Je félicite les opérateurs économiques, ces créateurs de richesse qui, par leur civisme et leur patriotisme, ont contribué efficacement à la mobilisation des ressources en 2017. Nous les encourageons à poursuivre dans la même lancée pour nous permettre en 2018 d’améliorer nos recouvrements. A l’endroit du peuple burkinabè, je souhaite à tous mes vœux de bonne et heureuse année. Qu’elle soit une année de paix et de tranquillité. Je voudrais qu’ils nous accompagnent au cours de cette année dans le cadre global de la lutte contre la fraude. Par leurs actions, ils peuvent contribuer efficacement à la lutte contre ce fléau dans notre pays. La lutte contre la fraude n’est pas l’affaire des seuls douaniers. C’est l’affaire de tous. La loi le prévoit, les textes règlementaires aussi.
Parlant de nos résultats en 2017, il faut souligner que nos objectifs en début d’année étaient des prévisions de recettes de 603 milliards de F CFA, soit une progression de plus de 20% par rapport à 2016. Au soir du 31 décembre 2017, l’administration douanière burkinabè a pu mobiliser 575 milliards de F CFA pour un taux de réalisation de 95,27% et une progression de 17,80% (86 milliards). Chaque année, nous enregistrons une augmentation comprise entre 10 et 15% des recouvrements. Mais compte tenu des ambitions affichées par le gouvernement dans le cadre du Plan de développement économique et social (PNDES), les prévisions aujourd’hui sont de plus en plus importantes. Ainsi, il faudrait que la douane, en tant qu’administration et au-delà de la situation économique nationale, puisse améliorer ses procédures, accompagner plus efficacement les acteurs du secteur privé, afin d’atteindre les objectifs du gouvernement. Les résultats de 2017 sont bons parce que rien n’était acquis en début d’année. Nous nous réjouissons d’avoir pu mobiliser de telles recettes dans un tel environnement. Cependant, nous sommes conscients que nous devons mieux faire compte tenu des ambitions du gouvernement. Nous avons joué notre partition et 2018 se présente comme une année de grands défis. Nous sommes rassurés qu’avec les investissements structurants dans le cadre du PNDES, la croissance sera boostée avec une incidence positive sur le recouvrement des recettes douanières.
S : Quels sont les jalons sur lesquels vous vous êtes appuyés pour parvenir à de tels résultats ?
A.S. : De façon absolue, il n’y a pas une augmentation extraordinaire du volume des importations au Burkina Faso entre 2015 et 2017. La progression est assez timide. Nous avons compris très tôt qu’avec les évènements sociaux qu’a connus notre pays, que nous ne pouvons pas compter sur une hausse importante du volume des importations pour atteindre les prévisions de recettes. Il fallait opérer des reformes, c’est-à-dire essayer de faire mieux dans des domaines non suffisamment fiscalisés ou bien dans les secteurs où nous avons une très bonne maîtrise de l’assiette des volumes importés. Ce sont ces leviers que nous avons activés et au vu des résultats, nous ne nous sommes pas trompés.
Cependant, il y a un domaine dont nous n’avons pas la bonne maîtrise et pourtant pourrait nous permettre d’être très performants. Il s’agit de la rationalisation des dépenses fiscales qui malheureusement, n’est pas de notre ressort.
S : Est-ce qu’une plateforme comme SYLVIE a contribué à atteindre ces résultats ?
A.S. : Tout à fait ! Comme je l’ai expliqué tantôt, nous n’avons pas compté sur une augmentation du volume des importations pour faire mieux. Nous avons d’abord renforcé tous les programmes en cours ou arrivés à terme. Il s’agit notamment du suivi satellitaire. De nos jours, tous les six corridors utilisés par le Burkina Faso sont couverts par ce suivi satellitaire. C’est un système qui permet de poser des balises sur chaque camion en transit des bureaux intérieurs compétents vers les bureaux frontières. A partir d’un poste de commandement, nous suivons ces camions sur tous ces corridors par un système de géolocalisation. Aussi, dans nos deux plus grands offices, Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, nous avons implanté des scanners qui sont des instruments de contrôle non intrusifs apparus dans les procédures douanières depuis les évènements du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Ces scanners permettent aujourd’hui de lutter plus efficacement contre la fraude, notamment les fraudes par dissimulation ou des importations sans déclaration. De même, le scanner est un outil de facilitation pour encourager les secteurs entiers qui, très souvent, n’ont pas besoin de faire usage de la fraude. Nous leur facilitons la tâche en les faisant passer rapidement au scanner afin de les libérer.
En sus, nous avons utilisé l’outil informatique pour obliger tous les opérateurs économiques à suivre les mêmes procédures. Dans ce cadre, il a été débloqué un champ important de déclarations en détail, le champ 44. Arrivés sur ce champ, les opérateurs sont obligés de fournir certaines informations pour pouvoir poursuivre leurs procédures de dédouanement.
Quant à SYLVIE, elle est une plateforme électronique qui interconnecte toutes les administrations qui délivrent des documents aux fins de dédouanement. Elle a apporté plus de transparence, de fiabilité dans les statistiques et a permis de gagner du temps ainsi qu’à réduire les coûts. Elle a permis aux opérateurs économiques d’avoir tous les documents nécessaires aux formalités de dédouanement avant l’arrivée de leurs marchandises. SYLVIE a donc contribué à l’amélioration de nos recouvrements.
S. : Que répondez-vous à certains commerçants qui remettent en cause cette plateforme ?
A.S. : Tous les commerçants et opérateurs économiques, comme vous le savez, ne sont pas tous des partisans de la transparence. Or, tous ceux qui empruntent le chemin de SYVIE doivent se convaincre d’une seule chose : prôner la transparence, c’est-à-dire être aptes à fournir toutes informations nécessaires aux administrations impliquées sur la plateforme. Et par ricochet, ces informations servent utilement l’administration à la maîtrise de l’assiette. Je vous donne une raison qui fait que certains commerçants n’apprécient pas les services de SYLVIE. Toutes les 14 banques de la place au Burkina Faso sont sur la plateforme et doivent délivrer aux opérateurs économiques un document important nommé attestation d’importation. Imaginez un opérateur économique qui passe par une banque pour payer son fournisseur à l’étranger, cela veut dire que la banque X est impliquée et l’élément important que nous recherchons est la nature de la marchandise, les qualités et les valeurs. Alors, vous voyez que nous aurons toutes ces informations dans l’attestation qui sera délivrée par la banque. Donc, si vous entendez un opérateur économique qui n’apprécie pas les services de SYLVIE, ne vous inquiétez pas, il n’est pas un partisan de la transparence et veut poursuivre avec ses anciennes pratiques qui, malheureusement, n’arrangent pas le gouvernement. D’ailleurs, la douane a infligé des amendes de 2,8 milliards de F CFA à des opérateurs économiques indélicats au cours de l’année 2017.
S. : Votre vision à l’horizon 2021 est de faire des douanes, une administration moderne. Comment comptez-vous y prendre ?
A.S. : Depuis ma prise de fonction j’ai pensé qu’il fallait substituer les programmes d’activités annuelles habituellement menés (qui ne permettent pas d’avoir suffisamment de visibilité sur l’avenir) à un plan stratégique pluriannuel permettant d’avoir une vision prospective afin de mieux programmer nos activités. Le but est d’atteindre cet objectif à l’horizon 2021, c’est-à-dire faire des douanes une administration moderne, professionnelle et qui donne satisfaction à l’ensemble des Burkinabè.
S. : Quels sont les grands chantiers à réaliser ou à poursuivre en 2018 par l’administration des douanes burkinabè ?
A.S. : Les objectifs de 2018 sont importants, surtout dans le cadre de la mise en œuvre du PNDES. La preuve, nos prévisions de recettes se chiffrent cette année à 694 milliards de F CFA alors qu’en 2017 elles étaient de 603 milliards. Vous voyez que le gouvernement demande 91 milliards de F CFA en plus à l’administration des douanes. A cela, il faut ajouter la vingtaine de milliards que nous n’avons pas pu recouvrer en 2017. Donc, ce sont un peu plus de 100 milliards en plus que nous devons mobiliser en 2018. Ces objectifs sont à notre portée, pour peu que nous nous organisions davantage et nous donner les moyens pour lutter plus efficacement contre la fraude. Il faudra aussi engager des réformes novatrices. Dans un tel environnement économique, il faut des réformes audacieuses. Par exemple, 2018 verra l’interconnexion des systèmes informatiques du Togo et du Burkina Faso, un projet important pour les deux pays. Notre chance aujourd’hui dans l’espace CEDEAO est que, à part le Ghana et le Sénégal, nous utilisons tous le même système informatique. Celui-ci a évolué de nos jours vers une même version, SYDONIA World. SYDONIA World tourne autour d’internet et constitue une opportunité pour toutes les administrations de pouvoir interconnecter leur système informatique. Cette interconnexion a un grand intérêt pour nos pays. Actuellement, les déclarations de transit sont saisies deux fois entre deux pays. Une première saisie est effectuée au port autonome de Lomé et ces chargements font l’objet encore d’une autre déclaration à la frontière du Burkina Faso. Cette rupture de charges peut entrainer des pertes d’informations importantes dans la procédure de dédouanement. Elle peut entraîner aussi des pertes d’informations capitales pour l’administration des douanes dans le cadre de la maîtrise de l’assiette. Avec l’interconnexion, une seule saisie sera effectuée au port de Lomé. La marchandise va traverser allègrement la frontière et aboutir au bureau de dédouanement que l’opérateur économique aura choisi au Burkina Faso pour les formalités. Ainsi, s’il n’existe plus de formalités à la frontière entre le Togo et le Burkina Faso, l’on gagne en temps. Quand on sait que les gens passent aujourd’hui 24 à 48 heures en frontière pour ces déclarations de transit. Au-delà du gain de temps, l’interconnexion assurera de la transparence dans les procédures et de la maîtrise de l’assiette. Car tous les douaniers du monde se posent trois bonnes questions sur l’assiette : qu’est-ce que c’est ? Combien elle vaut ? D’où elle vient ? Si nous avons toutes ces informations pertinentes, notre travail sera efficace et nous mobiliserons beaucoup plus de ressources. L’interconnexion sera donc une bonne affaire pour les transporteurs et les douanes.
De plus, en septembre 2017, nous avons débuté un projet important dont la mise en œuvre se poursuivra tout au long de cette année 2018. C’est l’assainissement du secteur des véhicules d’occasion au Burkina Faso. Nous voulons continuer dans la même lancée en ce début d’année afin que ce secteur apporte plus de ressources dans les caisses de l’Etat. C’est une réforme capitale qu’il faut mener en concertation avec les acteurs du secteur afin d’améliorer ce qui se fait actuellement.
S. : En quoi va consister exactement l’assainissement du secteur des véhicules d’occasion ?
A.S. : Parlant d’assainissement, nous voulons d’abord rétablir un principe régalien au sein de l’administration des douanes qui consiste à souligner que c’est l’importateur qui doit faire sa déclaration. Et la douane vérifie, contrôle la véracité des éléments contenus dans sa déclaration. Mais compte tenu du fait que depuis les années 1970, nous n’avons pas d’entreprises ou d’administration capables d’évaluer conséquemment la valeur des véhicules, parce que le CCVA n’existait pas en son temps, ce sont nous douaniers qui le réalisons, sans pour autant être des spécialistes ni des techniciens du domaine. Nous avons décidé de passer un contrat avec le CCVA pour l’autoriser à évaluer l’importation des véhicules d’occasion au Burkina Faso. En relation avec l’importateur et son transitaire, ces acteurs effectuent leur évaluation et déposent la déclaration en douane. Le principe de la douane étant déclaratif, elle se charge ensuite du contrôle de la véracité des déclarations de l’importateur.
Le CCVA évalue aujourd’hui les véhicules d’occasion âgés de 1 à 10 ans ainsi que tous les engins des travaux publics d’occasion importés. Avec les sociétés minières, beaucoup d’engins de travaux publics sont importés, mais malheureusement nous n’avons pas les capacités techniques pour les évaluer. L’autre souci au Burkina est qu’il y a des gens aujourd’hui qui se permettent d’évaluer des véhicules d’occasion sans pour autant avoir la qualification. Nous avons décidé, à travers un communiqué qui est déjà passé, de faire appel à tous ceux qui remplissent des conditions, d’existence, de qualification et juridiques, de déposer leurs dossiers au service des douanes. La liste restrictive de ces sociétés sera publiée au cours du mois de janvier pour montrer au public celles habilitées à évaluer les véhicules d’occasion au Burkina Faso.
Interview réalisée par :
Sié Simplice HIEN