Les accidents de la circulation au Burkina Faso ont endeuillé de nombreuses familles. Parmi les survivants, on dénombre des amputés des membres inférieurs ou supérieurs...Entre souvenirs douloureux et espoirs, certains miraculés mènent avec des séquelles, une vie qu’ils n’ont jamais souhaitée. Exploration dans un univers de personnes amputées ou ayant toujours des séquelles profondes, la plupart regroupées en association qui, malgré leur handicap, évitent de peindre leur vie en noire.
Les statistiques de la police, en 2015, faisaient état dans la ville de Ouagadougou et de ses environs (direction régionale de la Police nationale du Centre et les commissariats de districts de Saaba, Komki Ipala, Tanghin-Dassouri, Pabré, Koubri) de 10 827 cas d’accidents avec 134 décès sur place. Du 1er janvier au 30 novembre 2017, nous étions à 10 422 cas d’accidents avec au premier trimestre, 36 morts, 33 au 2e trimestre, 45 au troisième trimestre et 25 au 4e trimestre excepté le mois de décembre. Selon des spécialistes de la santé, ces accidents sont à l’origine de ‘’graves’’ amputations et autres situations de handicap. Des cas désolants d’amputations et des séquelles profondes à la suite des accidents de la circulation ont été constatés dans une structure associative à Ouagadougou.
En effet, nous sommes lundi 10 juillet 2017. Il est 11 h à l’Association des victimes d’accidents du Burkina Faso (AVABF) sis au quartier Pissy, à la périphérie Ouest de Ouagadougou. A l’entrée, se trouve un panneau indicatif de l’association. Nous sommes alors accueillis dans une maison ‘’entrer-coucher’’ nécessitant une réhabilitation. A l’intérieur de cet habitat de fortune, il y a quelques chaises et des bancs. Le président de l’AVABF, Zama Noma Kaboré, nous accueille avec un large sourire après les salutations d’usage. Derrière cette joie du président Kaboré et les membres de son association à majorité amputés soit du membre supérieur, ou inférieur, se cache un douloureux souvenir. Une amertume marquée par les affres des accidents qu’ils ont vécues. Toutefois les cas de gravité diffèrent. Roseline Adombazin, Idrissa Kabré, Moumouni Zongo, Mahamadi Sawadogo, Mme Ouédraogo née Ilboudo Dénise tous, membres de l’AVABF se rappellent du jour où leur vie à basculer. «J’ai eu l’accident il y a quatre ans de cela quand j’étais convoyeur en partance à Houndé après avoir quitté Ouagadougou », se remémore Idrissa Kabré, les larmes presqu’au bord des yeux. Un silence où l’on entend les mouches voler dans la maison s’installe. Quelques instants plus tard, l’amputé des deux pieds décline les circonstances de l’évènement le plus douloureux qu’il a vécu en 2013. «Il y avait un camion dix tonnes chargé de coton en panne sur la route Ouagadougou-Bobo- Dioulasso. Un véhicule en provenance de Bobo- Dioulasso nous a rencontrés et l’on était obligé de lui céder la voie. Malheur pour nous, nous sommes allés percuter le camion en panne. Sur le champ, j’ai eu un violent choc aux deux pieds. Mes co-convoyeurs qui étaient à bord du car ont pris leurs jambes à leur cou», raconte-t-il.
Des épouses exemplaires
Polygame, âgé de 30 ans, marié et père de deux enfants, ses deux épouses ont fait ‘’naturellement’’ montre d’une solidarité exemplaire lors de son cauchemar. Un soutien de la part des ‘’bonnes femmes au foyer’’ qui le plonge dans le souvenir amer de son amputation. «Nous avons mis directement le cap sur l’hôpital de Bobo-Dioulasso après mon accident. Arrivé, il s’est avéré que mon cas était très grave. En réponse, j’ai demandé à ce que l’on me laisse mourir pour ne pas déranger mes parents. Sous l’anesthésie, je voyais les chirurgiens qui faisaient leur travail », se souvient-il. Son patron Malick dont il a préféré taire le nom de famille, confie-t-il, a été appelé d’urgence de Ouagadougou pour prendre en charge les premiers soins ‘’d’urgence’’. « Si mes parents avaient des difficultés et qu’ils appelaient le patron, il n’hésitait pas à envoyer de l’argent. Je le remercie beaucoup», ajoute-t-il en remuant la tête. « Je lance un appel aux usagers de la route d’être prudents et aux forces de sécurité d’être rigoureux en matière de régulation de la circulation », recommande-t-il.
Moumouni Zongo, un quadragénaire, taille élancée et membre de l’AVABF est aussi un infortuné des accidents de la circulation à Ouagadougou. Il estime avoir été récompensé par le mal après avoir voulu faire le bien. Son accident remonte au jour où (il dit ne plus se rappeler), le fils de son frère recevait des soins dans un centre de santé à Zagtouli. « Ce jour, aux environs de 16 h, mon frère a sollicité mon aide. Quand je suis arrivé au centre de santé, vu l’état critique de l’enfant, on nous a transféré au Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) de Pissy. Une ordonnance a été immédiatement prescrite pour de nouveaux soins. J’ai pris l’ordonnance et fait dans un premier temps, le tour de cinq pharmacies sans avoir le produit concerné », relate-t-il. Après ce périple, Moumouni Zongo, ex-gérant d’un parking, marié et père de quatre enfants, allait subir une épreuve douloureuse quand il décida enfin d’aller à Ouaga 2000 à la recherche du médicament. « C’est sur le chemin du retour que j’ai été violemment fauché par un véhicule me causant une fracture au pied. J’ai été alors conduit dans la soirée chez un rebouteur qui a fait ses premiers soins. Le lendemain quand je suis reparti chez lui, il a jugé que la fracture était grave et m’a recommandé de faire une radiographie », déclare Moumouni Zongo. Une radiographie qui a recommandé, selon lui, une intervention chirurgicale dont il n’a pas pu honorer les frais, faute de moyens. « Je me débrouille pour venir en aide à la famille en rendant de petits services devant la mairie de Boulmiougou, malgré mon handicap et épaulé par ma femme, tisseuse de pagne à notre domicile », affirme-t-il. Pour ce résident du secteur n°13 à Zongo, à la périphérie ouest de Ouagadougou, les usagers de la route, à Ouagadougou, ne sont pas tolérants et ne sont pas prudents. « Tu pars pour sauver quelqu’un et tu deviens malheureux, mais c’est Dieu qui l’a voulu», achève-t-il en soupirant. La prévention des accidents, l’accompagnement administratif, judiciaire et au niveau des assurances est le crédo de l’AVABF, aux dires de son président Kaboré. C’est une association de personnes ‘’indigentes’’ présente également à Bobo-Dioulasso, Ouahigouya, Koudougou, Fada N’Gourma, et Kaya. L’AVABF est une structure de sensibilisation à la sécurité routière et aux accidents de travail aux côtés du Forum africain sur la sécurité routière (FASER), de l’Office national de sécurité routière (ONASER) et de la Fédération des associations pour la promotion de la sécurité routière (FAPSER). Elle a déjà eu un soutien moral de la part du gouvernement (ministère de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale) à travers une lettre de recommandation. Zama Noma Kaboré qui la dirige nous informe avoir perdu l’usage des quatre doigts de sa main droite à l’issue d’un accident de travail. Quant à sa collaboratrice Roseline Adombazin, mère de 25 ans, elle est aussi amputée du pied droit. Son accident s’est produit en juillet 2009 à Somgandé sur la route menant à Toudoub-wéogo, à la périphérie Nord de Ouagadougou avec un jeune, sans permis de conduire. «Je voulais traverser la voie et j’ai été renversée. Sur le champ, le chauffeur a disparu et depuis lors, je ne l’ai plus revu. C’est son patron qui est venu se présenter et a pris part aux soins conduisant à l’amputation de mon membre inférieur droit», lance-t-elle, la voix tremblotante. Elle assure avoir été dédommagée à hauteur de 7 millions de F CFA tout en remboursant les frais déboursés par le patron pour ses soins. Pour assurer sa mobilité, elle s’est octroyé une prothèse et une moto adaptée à son handicap. A l’issue d’un bref silence, elle nous décline une partie de sa vie. Elève en classe de 3e au moment où le malheur l’a frappée, Roseline a abandonné, par la suite, les études pour s’adonner à la gestion personnelle d’un kiosque à thé et à nourriture. «J’appelle les bonnes volontés à venir nous aider en tant que handicapés», lance-t-elle. Puis, elle ajoute qu’avant son accident, elle s’apprêtait à se marier mais son fiancé a malheureusement changé d’avis après l’accident.
Il a cru que sa main allait ‘’repousser’’
Secrétaire général de l’AVABF, Idrissa Rouamba, né en 1982 garde un souvenir amer d’un accident qu’il a vécu en 1986 quand il avait quatre ans. Il replonge dans le passé pour rappeler les circonstances du drame. « J’ai été remorqué derrière une moto par un grand frère et nous sommes tombés. On m’a raconté que j’ai eu une fracture fermée au bras droit et on n’est passé par un rebouteur. Malheureusement, cela n’a pas marché et se sont ensuivies des gangrènes », relate-t-il. Ainsi, Idrissa Rouamba a perdu l’usage d’un membre supérieur à l’hôpital Yalgado-Ouédraogo par amputation. A son enfance, il a cru que la main allait ‘’repousser’’ mais avec l’âge, il dit avoir tout compris. Il relève également que sa situation de handicap est un poids social et psychologique. « Quand je vois un autre handicapé à la suite d’amputation, j’imagine ce qu’il a ressenti et ressent aujourd’hui. Toutefois de mon côté, je n’en fais pas un problème à même de gâcher ma vie. Je sais que les autres me critiquent, mais je m’encourage», justifie-t-il. Ce surveillant dans un Collège d’enseignement général (CEG) à Saaba, à la faveur des premières mesures sociales prises par l’ancien régime, souhaite l’accompagnement de l’Etat. Car, affirme-t-il, il y en a parmi eux qui vivent dans des conditions exécrables. Dénise Ouédraogo/ Ilboudo, est née en 1966 en Côte d’Ivoire. Elle allait connaître, 32 ans plus tard, un ‘’mauvais sort’’. De retour à Ouagadougou avec ses trois enfants chez ses parents, à la suite du décès de son mari, c’est précisément en 1998 que son pied gauche a été amputé à la suite d’un accident de circulation sur la route de Tanghin-Dassouri. « Chaque samedi, je venais au centre-ville pour faire le ménage dans des familles. C’est au retour sur mon vélo que j’ai été renversée par un automobiliste », narre-t-elle. La vie de Mme Ouédraogo a pris un coup. Elle estime qu’avec deux pieds, c’est difficile, encore moins avec un seul pied. « C’est douloureux, mais c’est la volonté de Dieu. Tout ce que je pouvais faire est anéanti par ce handicap mais je me débrouille. J’ai commencé à revivre. En ce qui concerne les enfants, certains avaient abandonné l’école au moment de l’accident. C’est juste après qu’ils ont repris », laisse-t-elle entendre, les yeux rempli de larmes. Veuve et en situation de handicap, c’est extrêmement difficile pour elle, à l’entendre, mais elle n’a pas baissé les bras. « Comme j’ai appris le tissage, je tisse des lits-picots et des sacs pour les femmes », déclare-t-elle. Selon elle même assuré, l’assurance ne peut ‘’acheter la vie humaine’’. « Regardez comme je suis aujourd’hui ? Est-ce que l’assurance peut régler ma situation? Je ne pense pas », conclut-elle. Hamidou Nagabila, non affilé à aucune association été amputé des deux pieds à l’issue d’un accident grave sur la route menant à l’Hôpital Saint-Camille de Ouagadougou. Agé de 37 ans, le poids de l’amputation pèse sur son physique. Chétif et vieilli par la maladie, à notre arrivée chez lui à Bendogo, quartier situé à la périphérie Est de Ouagadougou, il était allongé sur une natte à même le sol. Aidé par la femme de son grand frère à s’asseoir, le trentenaire nous livre les circonstances de son accident en ces termes : « Un jour du mois d’avril 2016, je partais à Nabiyaaré (ndlr, marché situé à côté de l’hôpital Saint-Camille). Voilà qu’un camion chargé de ciment est venu me renverser. On m’a emmené d’urgence à l’hôpital Yalgado où mes deux pieds ont été amputés. Après quatre mois, nous y sommes retournés où il y a eu encore une autre intervention, car les os n’étaient pas bien limés ».
Des prothèses pour surmonter l’amputation
Selon un spécialiste en traumatologie qui a requis l’anonymat, compte tenu de la sensibilité du sujet une amputation peut être causée par une situation post traumatique (dans le cas où on a écrasé les membres), une maladie comme le diabète et des infections. Il y a, explique-t-il, des causes vasculaires (les artères se bouchent entrainant la gangrène). « Chaque fois qu’on ampute, c’est parce qu’on n’a pas pu sauver », prévient-il. Il déclare que l’on tient compte de l’avis du patient pour les soins d’amputation. Il faut, conseille-t-il, le préparer psychologiquement ou, s’il est inconscient, l’avis de sa famille. « L’amputation n’est pas si dramatique que cela en ce sens qu’il y a les techniques d’appareillage », rassure-t-il. Des appareillages, comme les prothèses, il en existe au Centre national d’appareillage orthopédique du Burkina Faso dont le service social est dirigé par l’éducateur social d’Etat, Delwendé Eric Sandwidi depuis le 1er septembre 2014. Il assure que tout handicapé peut recourir au centre pour des besoins de rééducation fonctionnelle et d’appareillage. Boukary Savadogo, administrateur des Affaires sociales secrétaire permanent du Conseil national multisectoriel pour la protection et la promotion des droits des personnes handicapées au Burkina Faso (SP-COMID Handicap), donne des statistiques illustratives : Au Burkina Faso, en 2013, le recensement général des enfants handicapés fait état d’environ 79 000 handicapés ‘‘parmi lesquels des handicapés à la suite d’un accident de la circulation’’ sur près de 160 000 handicapés recensés en 2006 soit 1,20% de la population. M. Savadogo fait observer que le gouvernement burkinabè accompagne depuis 2013, les personnes handicapées. Et d’indiquer qu’une subvention de près de 30 millions de F CFA leur est accordée à travers des structures caritatives et des organisations de personnes handicapées.
Boukary BONKOUNGOU
bbonkoungou@gmail.com
Constat amer à Yalgado Ouédraogo
Le mardi 23 mai 2017, il est 10 h 25 mn, au Centre hospitalier universitaire Yalgado-Ouédraogo (CHU-YO), il n’y avait aucun doute : un ou des blessés d’accidents de la circulation sur les artères de la ville de Ouagadougou ont été transportés d’urgence par l’ambulance des sapeurs-pompiers. Pour preuve, devant le service du Pr Christophe S. Da, précisément, le service des urgences traumatologiques, un engin de transport des blessés des soldats du feu était immobilisé. Quelques minutes plus tard, à 10 h 37 mn, un jeune homme, le visage ensanglanté est ramené d’urgence. A l’entrée principale des salles de soins, deux vigiles régulent l’entrée des visiteurs et des accompagnants de patients. Nous avons profité de l’accès libre pour entrer dans les différentes salles de soins. Le spectacle était désolant selon la gravité des chocs reçus par les patients. Certains avaient des fractures aux membres supérieurs, d’autres aux membres inférieurs. Bref, aucune partie du corps ne semble épargnée. Quel sort est réservé à ces patients, après l’hôpital ? Nous ne saurions le dire car, nul doute, certains d’entre eux perdront l’usage de leurs membres après des interventions médicales.
B. B