Sénat-Article 37. Marches et contre-marches. Ces derniers temps, notre pays tourne en boucle autour de ces sujets, à travers ses différentes composantes. Sur ces thèmes et sur bien d'autres tels le référendum et la constituante, Abdoulaye Frédéric Kambou, bien qu'économiste, donne sa vision. Ce désormais consultant en stratégie, management et organisation, précédemment contrôleur général (audit interne et contrôle de gestion) au Conseil burkinabè des chargeurs (CBC), voit en la constituante une porte de sortie de ces remous-socio-politiques.
Quelle lecture le consultant que vous êtes fait-il de la situation politique et sociale qui prévaut actuellement dans notre pays ?
• La situation est très préoccupante. Notre pays, le Burkina Faso, comme par l'effet d'un mouvement cyclique inattendu, est à nouveau à la croisée des chemins, confronté qu'il est, à des choix catégoriques mais antagoniques. En effet, à la faveur des revendications supposées liées à la vie chère, à la faille sociale, à l'insécurité, à l’alternance démocratique, le peuple se retrouve écartelé dans une espèce de déchirure idéologique entre partisans de l'instauration d'un nouvel ordre par la rue, et adeptes de changements certes, mais par les réformes et dans le respect de la constitution du 11 juin 1992. Il ne faut pas s’y méprendre, nous sommes bien en face d’une fracture nationale qui ne dit pas son nom !
De quel côté de la ligne de démarcation vous situez-vous ?
• Je préfère rallier la ligne de la convergence plutôt que celle de la divergence. La raison : l'opposition affiliée, qui a choisi (de guerre lasse dit- elle) de rendre la rue juge de son différend avec le pouvoir, a certainement de bons arguments à faire valoir : plus de dialogue politique, moins de patrimonialisation du pouvoir républicain, plus de gages en faveur de l'alternance démocratique, une meilleure répartition des fruits de la croissance. Mais en république, la rue ne saurait être ni l'audience ni le terrain approprié pour demander et obtenir justice.
Elle n'est pourtant pas seule, cette opposition, à prendre l'option du macadam ?
• C'est exact. Répliquant au débotté, le pouvoir a, de son côté, marché pour aller sur les brisées de ses contradicteurs. Mais je trouve que, pour défendre la Constitution, il n'avait pas non plus besoin, surtout dans les formes empruntées, de s'en remettre à l'arbitrage de la rue.
Qu'avez-vous donc contre la rue quand les plus vieilles démocraties ne manquent pas, comme aux USA, en France et ailleurs, d'y recourir et que, dans le monde arabe, elle libère des dictatures ?
• Le droit de manifestation est une liberté publique qui participe des fondements de la démocratie. Mais sa pratique, dans les pays à démocratie avancée que vous citez, où la conscience républicaine est consolidée, n'a pas toujours la même nature que dans nos contrées, où elle s’apparente souvent à une indiscipline civique qui va parfois jusqu'à la contestation des institutions républicaines légalement et légitimement investies par le peuple souverain.
Enfin, quand on voit les remises en cause et les dérives qui caractérisent les révolutions arabes, la sagesse commande de ne pas chercher à les singer aveuglement. Tant qu'il y a un moyen de trancher un différend politique ou social par les institutions et les pratiques démocratiques établies, mieux vaut différer la sollicitation de la rue.
Encore faudrait-il qu'elles fonctionnent, et équitablement, ces institutions non ?
Si la contestation atteint le stade que vous évoquez, à savoir le blocage de dialogue institutionnel, il y a toujours moyen de dénouer démocratiquement une crise, au lieu de s'en remettre aux aléas de la rue. La rue qui peut, si l’on n’y prend garde, constituer la marche royale vers l’instabilité aux conséquences irrémédiables. Ce ne sont pas là pures rêveries de promeneur solitaire quand on songe à tant d'exemples en Afrique et dans notre sous-région. Si l’alternance démocratique (et non le renversement du pouvoir par la violence) est réellement la référence première pour tous, alors faisons du peuple l'amiable compositeur ou le juge ultime de la tension nationale actuelle.
Comment cela pourrait-il se faire ?
• Dans la presse, des propositions commencent à voir le jour. S'il en est qui minimisent le sérieux de la situation, offrant comme voie de sortie de crise les commissions et autres fora, il en est heureusement d'autres qui, ayant une appréciation plus saine du climat, en appellent à un recours souverain. J’ai pu me rendre compte que l'idée gagnait plus ou moins en crédit. Des politiques et des non politiques s'en sont fait l'écho à travers «l’Evénement» n° 258 du 25 juin, le «Quotidien» n° 814 du 11 juillet, Le Pays n° 5400 du 15 juillet et dans le «Quotidien» n° 821 du 19 juillet courant.Je voudrais à mon tour (c’est pédagogique) souhaiter que la parole soit donnée au peuple pour finalement trancher entre ceux qui défendent bec et ongles l'ordre républicain actuel et ceux qui, tout aussi énergiquement, veulent sa révocation définitive. Soit par référendum, soit par l'Assemblée nationale constituante.
Ces techniques «ésotériques» consistent en quoi ? Et ne sont-elles pas plus indiquées en période de crise très grave ?
• Plusieurs observations : d'abord pour ce qui concerne les référendums, nous en sommes coutumiers pour l'adoption de nos constitutions ; ensuite s'agissant de la constituante, si elle est une invention de la révolution française, et si en France elle a souvent été pratiquée au sortir de conflits armés, bien de pays, qui ne sont pas en crise ouverte, y recourent tout simplement pour prévenir des ruptures du contrat social ou en raison de ce que, parmi tous les modes d'élaboration des constitutions, elle passe pour la plus démocratique. N'attendons pas que le fantôme entre dans la maison pour en refermer la porte. Nous nous enfonçons dans une crise dont les manifestations montrent qu'elle pourrait déboucher sur des bouleversements irréversibles des fondations de l’Etat.
Croyez-vous que la situation soit aussi critique ?
• Malheureusement oui. Quand on fait une lecture croisée, lucide et sans fanfaronnade des événements suivants : capacité de mobilisation de l'opposition affiliée, potentiel mobilisateur du mouvement «le balai citoyen», rencontre d'ONG de droits humains dans la plate-forme Front de résistance citoyenne ; lettre pastorale de l’Eglise catholique ; déclaration de l’International Crisis Group, etc, le tout sur fond de crise sociale aiguë persistante depuis 2011, il faut être de mauvaise foi pour ne pas les reconnaître, les fortes alertes. Mon inquiétude se trouve dans la propension actuelle à la confrontation dévastatrice des extrémistes des deux camps : celui du pouvoir où on entend dire «on débloque l'article 37, et alors ?» ; celui du CFOP où on hurle «changeons le pouvoir, qu'importe ce qu'il adviendra».
Ce sont ces radicaux et autres pharisiens des temps nouveaux, à l'irréflexion incommensurable qui nous conduisent, par le jeu d’une surenchère sous-tendue à dessein, vers le bord du fossé et la culbute. A cet égard, je trouve pour ma part, des plus inutilement provocateurs, les instructions données d'empêcher le scrutin sénatorial le 28 et l'installation officielle du Sénat en septembre.
Mais quel pourrait être le mode opératoire de cette constituante censée, d'après vous, éviter la chute ?
• Précisons avant tout que le référendum oblige à répondre par oui ou par non. Il doit être de formulation simple pour rester intelligible au plus grand nombre. Il ne peut pas, par nature, embrasser tout le spectre des contestations qui, outre le Sénat et l’article 37, visent la constitution, la gouvernance, la vie chère, l’emploi, la santé, l’éducation.
La constituante, qui a notre préférence, est par contre une assemblée élue par le peuple, pour le travail législatif courant, mais aussi pour rédiger une nouvelle constitution, qu'elle adopterait directement sans passer par un référendum. Elle pourrait décider de tout : Sénat, article 37, nature du régime. D'ailleurs, aujourd'hui, le besoin se fait sentir de redéfinir un nouveau consensus institutionnel et sociétal. Si bien qu’un simple ravalement de façade constitutionnelle ne peut pas suffire.
Le pouvoir, dont les résistances sont manifestes, ne devrait pas faire une fixation sur la conservation de la 4e République comme s'il y allait de sa vie. Une constitution n'est pas taillée sur mesure pour ou contre un homme ou un régime. Elle se veut le reflet global, à une époque donnée, d'une société au plan politique, social, économique, le tout sous-tendu par une vision à long terme.
Notre pays a besoin d’un vrai projet de société. Un nouveau projet de société pour définir d’une part la place de chaque burkinabè au sein de notre société et, de l’autre le type de relations que chaque burkinabè devra entretenir avec la communauté entière.
La démocratie est une pièce à double face et la société de 2013 n'est plus la même que celle de 1992. 21 ans d’expérience politique riche nous ont permis de mettre en œuvre «le changement dans la stabilité», les temps présents semblent plutôt porter les prémices de «la stabilité dans le changement».
Quand vous prônez le recours au peuple, vous embouchez la même trompette que le pouvoir qui est convaincu qu'en cas de référndum il gagne à coup sûr. Le consultant que vous êtes n'est donc pas si désincarné que ça...
• En proposant la constituante à laquelle, comme vous le relevez, le pouvoir est opposé, préférant le référendum, on pourrait aussi me suspecter de faire le jeu d’une certaine opposition. A la vérité, je donne simplement le reflet d’une option populaire institutionnalisée pour permettre au peuple souverain de trancher en dehors de la rue un différend national : le référendum et la constituante. Je reprécise que j’ai opté, arguments à l’appui, pour la constituante, même si par ailleurs en démocrate, je reconnais à des contradicteurs burkinabè la liberté de préférer le référendum.
Pour terminer, je voudrais vous remercier de m'avoir prêté vos colonnes pour une consultation gratuite (rires). Plus sérieusement, j'en appelle à tous mes compatriotes par dessus leurs affiliations diverses, à avantager le recours au constituant originaire pour conclure un nouveau pacte sociétal. Tout nous y oriente : l’urgence de nous prémunir contre la violence ; tout nous le conseille : les avis les plus sérieux, notamment ceux émis par l' Eglise catholique à travers sa lettre pastorale du 22 juillet, ceux avancés au cours du meeting de la CCVC du 20 juillet dernier sur l'intérêt de l'actuelle constitution tellement triturée, balafrée qu'elle en devient méconnaissable ! Au moment où pullulent les regroupements de toutes engeances, je conseillerai de donner la palme à celui à venir de la parole au peuple. Car, s'il est vrai que lui seul est souverain, nous ne devrions nous en remettre qu'à sa seule volonté souveraine. Mais souvenons-nous qu'avant l'heure ce n’est pas l'heure, et qu'après l'heure ce n'est plus l'heure; et n'oublions pas que nous sommes déjà dans le compte à rebours et que par conséquent, de bons remèdes administrés tardivement peuvent provoquer des rejets.