« Douze mois passés sous le sceau de l’infamie. » C’était le titre de notre édito de fin d’année en 2016. Un an plus tard, on n’en est pas encore sorti. Trois ans. Ça fait maintenant trois bonnes, ou plutôt mauvaises, années que ça dure. Depuis que, sous la Transition ouverte après la chute de Blaise Compaoré, le monstre a pris pied dans cette «patrie des hommes intègres» où il a fini par pousser des racines. Difficile, du coup, de l’en déloger, d’autant plus qu’il est invisible. Combien de victimes cette bête immonde a-t-elle faites depuis tout ce temps ? Des dizaines, des centaines peut-être. Militaires, policiers, douaniers, enseignants, conseillers municipaux et tous ces gens tombés sans savoir pourquoi ils étaient fauchés, juste parce que, comme on dit, ils étaient «au mauvais moment au mauvais endroit». Comme ce funeste 14 août 2017 au Café Istanbul, dont l’attaque (une vingtaine de morts) a donné le coup de grâce à « la plus belle des avenues » qui ne s’était déjà pas relevée de la précédente contre le Cappucino et le Splendid le 15 janvier 2016.
2017 aura donc été autant traversée de part en part par le ruissellement continu, hélas pas des fruits de la croissance mais du sang de nos compatriotes et d’étrangers. L’hydre a fini par se sanctuariser, ainsi qu’on le redoutait, dans ce Sahel, particulièrement le Soum, parfois vidé de ses habitants et tué à petit feu pour ne pas dire à grandes salves. Rarement, l’expression «perdre le nord», au propre, aura eu tout son sens, face à l’impuissance de nos forces de défense et de sécurité, prises elles-mêmes souvent pour cibles par un ennemi qui est si courageux qu’il n’ose pas attaquer à visage découvert.
Alors que 2018 s’annonce, il faut espérer que la mutualisation des moyens au niveau de la force commune du G5 Sahel, qui se met en place au petit trot, permettra de réduire à néant des vampires qui, sous le couvert de l’islam, se délectent du sang d’innocentes populations aux problèmes socio-économiques desquelles, il est vrai, il faut apporter des réponses concrètes . De ce point de vue, on ne peut que saluer la mise en œuvre du Programme d’urgence pour le Sahel même si les besoins sont si immenses dans cette partie du Burkina que les milliards injectés semblent n’être que de petites gouttes d’eau dans cet océan de sable.
Il faudra donc, hélas, continuer de composer avec l’hydre en attendant de la vaincre. Tout comme il faudra encore faire avec cette morosité ambiante qui n’en finit pas. «A nouveau président, nouveaux espoirs», avions-nous… espéré à cette même période en 2015 avec l’élection de Roch Marc Christian Kaboré à la magistrature suprême après les deux années tumultueuses marquées par l’insurrection populaire qui a eu raison de Blaise Compaoré et «le coup d’Etat le plus bête du monde» de son homme lige, le général Gilbert Diendéré. Espoirs littéralement douchés dans la mesure où la reprise économique tant escomptée ne semble toujours pas au rendez-vous ; que le PNDES annoncé à grand renfort de publicité semble n’être qu’un effet…d’annonce et que la fracture sociale est toujours aussi béante malgré la prise de certaines mesures censées soulager les petites gens, à l’image de la gratuité des soins de santé pour les enfants et leur maman. Sur le plan des infrastructures également, «seuls les aveugles ne voient pas que le pays est en chantier» ainsi que le martèle à l’envi Eric Bougouma, le ministre des Infrastructures, du Désenclavement et des Transports.
Faut-il donc croire que ce « rien ne va » est juste une simple question de perception alimentée par les réseaux sociaux, l’opposition et les syndicats, ces derniers surtout qui ne rendent pas la tâche facile aux gouvernants ? Il est vrai que, quelque part, c’est le locataire de Kosyam lui-même qui l’a cherché, en accordant aux magistrats ce qu’il veut refuser maintenant aux autres, c’est-à-dire «tout tout de suite» ou presque, ouvrant ainsi cette boîte de Pandore qui a libéré toutes les revendications du Faso ; tous les fonctionnaires réclamant à qui mieux mieux qui un statut particulier, qui l’argent de la bonne ou du blanchisseur . Encore et toujours donc un peu plus de beurre dans des épinards déjà bien goûteux dans bien des cas. En deux ans de pouvoir MPP, les grèves, marches, meetings et sit-in auront ainsi gâché la moitié du temps, par des mois et des mois d’inactivité qui sont autant de perte de productivité pour l’Administration publique et ses usagers. On ne sait pas quand prendra fin cette spirale de doléances qui confine à la stratégie du blocage, mais est-ce bien sain et raisonnable que quelques centaines de milliers de travailleurs du public s’octroient la moitié des ressources propres que les 17 millions de Burkinabè, chacun à son niveau si modeste soit-il, contribuent à rassembler ? De toutes les façons, le Léviathan, ce monstre froid qu’est l’Etat, aura toujours le dernier mot puisqu’il sait reprendre d’une main ce qu’il vient de donner de l’autre.
Il nous vient d’ailleurs une idée : et si le président du Faso confiait la Primature à Bassolma Bazié, le secrétaire général de la toute-puissante Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B) qui semble avoir réponses à tout ? Dans la dream team gouvernementale qu’il composerait, on pourrait par exemple retrouver Séni Koanda (Syndicat du Trésor) à l’Economie et aux Finances, Traoré Nongo Grégoire (SNAID) au Budget, Mathias Kadiogo (Douanes) au Commerce, Pisyamba Ouédraogo (SYNTSHA) à la Santé, Mamadou Barro du SYNTER à l’Enseignement supérieur, etc.
Trêve de plaisanterie, Bassolma ou pas, après deux ans de fonctionnement qui a parfois rimé avec tâtonnement, il importe que le chef de l’Etat nous sorte de cette espèce de torpeur en secouant le cocotier gouvernemental par un remaniement en profondeur. Pour au moins donner l’illusion qu’avec les nouvelles têtes ce sont de nouvelles idées salvatrices qui arrivent. Après tout, un bon Premier ministre est avant tout un bon fusible qui saute à l’occasion pour protéger l’ensemble du système et, tout comme le plombage en bonne démocratie du nombre de mandats présidentiels, cela participe également de l’indispensable oxygénation institutionnelle.
2018, c’est le moment où jamais pour le président de donner un second souffle à son action à mi-mandat. Car le drame est que, dans des échéances quinquennales comme la nôtre, seules les trois premières années sont vraiment utiles, les deux dernières servant à se faire réélire ou à mettre son dauphin putatif sur orbite quand on ne peut plus se représenter. Si donc Roch veut avoir des chances de voir son bail de Kosyam renouvelé, il a intérêt à se réveiller avant qu’il soit trop tard.
La Rédaction