Les élections législatives togolaises ont enfin pu se tenir. Alors que dans d’autres pays, un scrutin législatif relève d’un cycle électoral banal, au Togo, c’est toute une gageure. Voici près d’un an en effet que le scrutin est régulièrement reporté, faute d’accord entre le pouvoir et l’opposition. Un abîme de méfiance sépare les deux camps que rien n’arrivait jusque-là à combler. On peut donc parler d’élections miraculeuses au Togo, tant les tractations ont été intenses jusqu’au dernier moment. C’est sans doute le pays où en pleine campagne électorale, des négociations sont engagées entre pouvoir et opposition sur des questions liées directement aux élections ou relatives au climat politique nationale. Dans le dernier virage avant le scrutin, il a fallu aussi régler la question des personnes incarcérées ou frappées de mesures restrictives dans l’affaire des marchés incendiés, et régler définitivement le vieux dossier des 9 députés de l’ANC (opposition). Ce sont donc des élections où s’imbriquent problèmes électoraux, politiques et judiciaires.
On se rappelle que les incendies des marchés de Lomé et Kara sont survenus en début d’année au moment où le gouvernement s’activait à préparer les législatives. Ces graves incidents ont mis momentanément un coup de frein au processus électoral et provoqué une nouvelle grave crise politique. Des opposants accusés d’être, de près ou de loin, liés à ces incendies, ont été écroués. Il a fallu donc décrisper l’atmosphère politique en réglant au plus vite ce problème des détenus. Certes, cela s’est fait, d’où la participation de l’opposition au scrutin. Mais qui se soucie vraiment du sort des commerçants ruinés dans ces incendies ? Le gouvernement, pour sa part, a aménagé un site à côté du grand marché de Lomé pour recaser les sinistrés, et débloquer des fonds d’aide d’urgence. Aussi importants soient-ils, ces investissements n’éviteront certainement pas la faillite de bien des commerçants dont la majorité sont des femmes. C’est un pan de l’économie togolaise qui a été touché avec cet incendie du marché de Lomé. Et nul doute que beaucoup de familles en souffriront longtemps. Pendant ce temps, que font les politiques ? Ils s’entredéchirent autour de leurs propres intérêts, chacun cherchant à se positionner pour les législatives.
Les élections de la discorde ont donc fini par se tenir. Chacun récoltera ce qu’il aura semé. Il faut espérer qu’une fois cette page électorale tournée, la classe politique togolaise pense enfin au peuple englué dans la misère. La guerre de tranchées à laquelle se livrent opposants et dirigeants au pouvoir doit laisser la place à des relations apaisées et constructives. Le Togo et les Togolais ont besoin de vivre enfin les joies de la paix et de la prospérité. Mais il ne faut pas rêver. Les résultats de ces élections peuvent faire l’objet de violentes contestations, l’opposition n’ayant jamais cru en la transparence du scrutin. Dans les relations entre hommes politiques au Togo, le poids de l’histoire prend souvent le pas sur la réflexion raisonnée autour des problèmes réels du pays. Le long règne de Gnassingbé Eyadéma, la succession chaotique qui s’en est suivie, les deux victoires contestées de son fils à la présidentielle (2005 et 2010) restent toujours en travers de la gorge de l’opposition aujourd’hui incarnée par Jean-Pierre Fabre de l’ANC (Alliance nationale pour le changement). Intransigeant jusqu’au bout des ongles, Jean-Pierre Fabre maintiendra certainement sa stratégie de la pression, même après les législatives. En effet, la mise en place du parlement ne règlera pas comme par enchantement les problèmes politiques au Togo. Car un autre chapitre houleux portant sur la candidature de Faure Gnassingbé à la présidentielle de 2015 va immédiatement s’ouvrir. Pour ses thuriféraires, Faure peut se présenter en 2015 et même au-delà, si Dieu lui prête vie. Pas question, rétorquent ses contempteurs de l’opposition, pour qui il est à son dernier mandat. Une belle bataille juridico-politique en perspective, comme on en voit souvent en Afrique. Comme quoi, le Togo n’est peut-être pas encore sorti de la zone de turbulences .
La Rédaction