Il y avait foule dimanche dernier à l’aéroport international Modibo Kéita, pour dire Aw dansé (bonne arrivée en langue bambara) à l’ex- président malien Amadou Toumani Touré (ATT) et à son épouse, tous deux revenus de leur exil dakarois à bord de l’aéronef présidentiel affrété par l’actuel locataire du Palais de Koulouba himself, Ibrahim Boubakar Keita (IBK). C’est un homme visiblement fier et ému qui a retrouvé ainsi la terre de ses ancêtres, accueilli de la plus solennelle des manières et dans une ambiance de carnaval par son « grand frère » et successeur à la tête du Mali. Un accueil digne du grand « fama » qu’il fut, surtout au début des années 90, et qui tranche avec le secret qui avait entouré son exfiltration du camp para de Djicoroni, le 19 avril 2012 après avoir été évincé de son fauteuil présidentiel par une horde de soldats et de sous-officiers du camp Soudiata Kéita de Kati, conduits par un illustre inconnu à l’époque, le capitaine Amadou Aya Sanogo en l’occurrence. Cette soldatesque et une bonne partie de l’opinion publique malienne reprochaient au Général ATT son laxisme et son incurie face à la rébellion touarègue qui s’était déclenchée dans l’extrême Nord du pays, à la faveur de l’émiettement de l’Etat libyen consécutif à la chute de Mouammar Kadhafi. Ces rebelles touarègues étaient, on s’en souvient, revenus de la Jamahiriya avec des armes sophistiquées de tous calibres, sans que le Mali ne prenne les dispositions idoines pour récupérer l’arsenal et ficher les combattants, comme l’avait fait le Niger voisin. Conséquence : ces Maliens du Nord qui sont en rupture de ban avec la République, se sont facilement emparés des localités comme Tessalit, Ménaka, Amachache et Tinzawaten, mettant en déroute une armée manifestement très mal en point.
Il doit s’investir du mieux qu’il peut, pour réconcilier ses compatriotes
En tout état de cause, ATT a été rendu responsable de cette humiliation du « Maliba » par quelques centaines de rebelles qui ont amené dans leur sillage des djihadistes rompus au combat et prêts à mourir pour la cause qu’ils défendent. Mais la goutte de… sang qui a fait déborder le vase de la confiance et de la patience, a été le massacre sans exemple dans toute l’histoire récente du Mali, de près d’une centaine de soldats à Aguelhok, le 19 janvier 2012, par on ne sait exactement qui des terroristes ou des rebelles touarègues. Les frères d’armes des militaires ainsi atrocement liquidés, ont fait porter le chapeau au président ATT, et il n’en fallait pas davantage pour fragiliser le pouvoir de celui qui était manifestement en panne de stratégie pour reconquérir les localités déjà perdues. C’est donc sans sirène, sans tambour ni vuvuzela qu’il a quitté ses fonctions et le Mali, pour trouver refuge au pays de la Téranga, cédant ainsi sa place au capitaine et professeur d’anglais Amadou Aya Sanogo qui a refilé la patate chaude à Dioncounda Traoré, sous la pression de la CEDEAO et de la communauté internationale. Après avoir été léché par ses concitoyens pour avoir rétabli la démocratie au Mali, puis lâché par les siens au début de la crise dans le Nord et enfin lynché par une opinion publique malienne dégoûtée de la corruption et de son incapacité à sécuriser le territoire national, le Général ATT a été, cruelle ironie de l’histoire, balayé du pouvoir puis poursuivi pour haute trahison, et présenté comme le pire des présidents que le Mali a connus. C’est cet homme qu’on croyait définitivement rangé dans les placards de l’histoire, qui a été pour ainsi dire appelé à la rescousse pour contribuer à ramener la paix et la sécurité, principalement dans les régions septentrionale et centrale du pays. L’option de la force ayant piteusement montré ses limites, et le fameux accord d’Alger censé résoudre les problèmes du Nord et ramener le calme dans cette partie particulièrement éruptive du Mali étant moribond, il ne reste plus à IBK qu’à chercher une planche de salut d’où qu’elle vienne, et le Général ATT semble avoir le profil de l’emploi de médiateur entre l’Etat et les groupes dissidents et même terroristes. Il connaît, en effet, la plupart des chefs rebelles touarègues et certains leaders des groupes islamistes, tout comme il bénéficie, c’est le moins que l’on puisse dire, de beaucoup de sympathie au sein de l’armée et auprès des populations de sa région natale de Mopti qui est elle aussi aujourd’hui en proie à l’insécurité et au phénomène du terrorisme. Il pourrait donc mettre à contribution son riche carnet d’adresses et sa propension à négocier plutôt qu’à faire la guerre, afin de rallier certaines têtes brûlées ou certains chefs rebelles indécrottables à la cause de la réconciliation. C’est sans doute cette perspective qui enchante déjà ses partisans et même ses anciens pourfendeurs, et qui explique l’accueil triomphal qui lui a été réservé. Espérons que ces presque 6 ans d’exil l’ont rendu davantage lucide et qu’il n’interprétera pas les « youyous » du dimanche dernier comme un appel du pied pour son retour aux affaires. Certes, les charges qui pesaient sur lui ont été abandonnées depuis l’année dernière, mais la meilleure façon pour lui de se faire réhabiliter et adouber par les Maliens est de contribuer, sans rancune ni ressentiment, au retour à la paix et au respect de l’intégrité territoriale du Mali. Il doit s’investir du mieux qu’il peut, pour réconcilier ses compatriotes et l’histoire retiendra qu’il fut non pas un Général d’opérette qui a laissé envahir son pays par des groupes armés terroristes et sécessionnistes et qui a été dégommé en plein jour par des sous-officiers d’active, mais plutôt un homme de paix et qui aime profondément son pays au point de faire contre mauvaise fortune bon cœur pour recoller les morceaux et rabibocher des positions qu’on croyait définitivement irréconciliables.