Le Burkina Faso fait face, depuis quelques temps, à une grogne sociale sans précédent. Le ministère de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale est l’un des départements ministériels sous les feux de la rampe. Dans cette interview accordée aux Editions Sidwaya, son premier responsable, Clément Sawadogo, donne sa lecture de la situation. Deux années après sa prise de fonction, il dresse également un bilan à mi-parcours des grands chantiers de son ministère.
Sidwaya : Comment se porte votre ministère, deux ans après votre nomination ?
Clément.P.Sawadogo (C.P.S.) : Dans l’ensemble, les lignes ont vraiment bougé depuis notre prise de fonction. Au niveau, par exemple, de l’organisation des concours, il y a de moins en moins de plaintes de fraudes, comparativement aux années précédentes. Les questions de gestion des carrières et de retraite sont en passe d’être résorbées. D’une manière générale, nous pouvons affirmer que la situation est assez stable, nonobstant quelques difficultés.
S. : De nombreuses réformes au sein de l’administration publique ont été annoncées dès votre prise de fonction. Où en est-on aujourd’hui ?
C.P.S. : L’essentiel des réformes que nous avons amorcées porte sur la modernisation de l’administration et la gouvernance administrative. Nous avons beaucoup travaillé sur ces questions. Aujourd’hui, nous avons produit de nombreux référentiels qui permettront à notre administration d’être au rendez-vous du XXIe siècle sur la modernité. Mais il y a encore des écueils si bien que l’usager peut ne pas sentir déjà les retombées. Il faut l’admettre, c’est un travail de longue haleine.
S. : Nous sommes à quelques jours de la fin l’année 2017. Le forum sur la fonction publique a-t-il encore des chances de se tenir, comme initialement annoncé ?
C.P.S. : Cette activité nationale avait été, en effet, inscrite sur notre agenda 2017. Mais, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait y aller avec des réflexions prospectives suffisamment fournies pour ne pas faire un rassemblement pour la forme. C’est ce qui a un peu retardé l’échéance, étant donné que nous avons, dans la foulée, engagé des études sur les questions d’emploi, de recrutement, de rémunérations, etc. Ce sont ces raisons qui ont justifié la non-tenue de ce forum.
S. : Le Haut conseil du dialogue social créé en conseil des ministres est-il aujourd’hui opérationnel ?
C.P.S. : Le Haut conseil du dialogue social sera fonctionnel. Vous constaterez que dans les prochains conseils des ministres, sa composition sera rendue publique. Son président sera également nommé par le chef de l’Etat. En tout état de cause, nous travaillons à sa mise en place effective dans les plus brefs délais.
S. : L’absentéisme est l’un des maux de l’administration publique. La mise en place d’un dispositif de contrôle de présence évoquée entre temps, peine à voir le jour. Qu’est-ce qui le bloque ?
C.P.S. : Nous avions évoqué ce dispositif parce que du matériel biométrique avait été commandé à cet effet. Malheureusement, ce n’était pas suffisant. Tout au plus, il pouvait servir à titre expérimental. Mais la question de la présence des fonctionnaires sur les lieux de travail relève, à notre humble avis, d’une prise de conscience généralisée. Nous devons travailler à ce que de plus en plus de fonctionnaires comprennent qu’ils reçoivent une mission sacrée pour servir les usagers. L’autre aspect de la question est d’amener tout supérieur hiérarchique à assumer sa pleine et entière responsabilité. Celui-ci doit donc donner l’exemple par son ardeur au travail et sa ponctualité. Les mesures disciplinaires pour les agents fautifs ne doivent pas également souffrir de complaisance.
S. : Quel état des lieux, faites-vous, du reversement dans la loi 081 qui continue de faire des mécontents parmi les fonctionnaires?
C.P.S. : Ce chantier est pratiquement achevé. Nous recevons de moins en moins de plaintes. Au début, des difficultés ont certes été constatées, mais nous avons travaillé depuis lors à résorber les dysfonctionnements. Quand un nouveau dispositif juridique est mis en place, il génère lui-même de nouveaux problèmes.
Cela est connu. A l’heure actuelle, la quasi-totalité des fonctionnaires ont été reversés. Ce que vous venez de mentionner sont des cas de dossiers qui ne sont pas à jour. Quand le dossier du fonctionnaire manque de pièces importantes qui ne permettent pas d’opérer son reversement ou encore quand il n’est pas à jour de certains avancements, cela crée nécessairement des désagréments.
S. : Les avancements de nombreux travailleurs piétinent également. A quand le bout du tunnel pour les personnes concernées?
C.P.S: En raison de la quadrature de phases entre l’année d’avancement et les délais d’acheminement des notes, effectivement nous avons du mal à opérer les avancements d’année en année . Au-delà de ces aspects techniques, nous devons faire en sorte que les avancements ne traînent plus, deux ou trois ans. S’il y a un gap, il ne devrait pas excéder quelques mois ou une année. Nous travaillons à atteindre cet objectif. Pour l’instant, il n’y a pas, à notre connaissance, de fonctionnaires qui se plaignent de retard d’avancements de deux, trois ou quatre ans, étant donné qu’il fallait préalablement opérer tous les avancements avant le reversement dans la loi 081. A mon sens, les cas existants sont uniquement des cas contentieux. Parce que quelquefois, on peut avoir des problèmes sur la carrière de l’agent avec des mises à jour, des situations à apurer, à régulariser, etc. Sinon, dans l’ensemble, nous pensons aujourd’hui que le tableau est assez propre.
S. : A quelle étape se trouvent les travaux sur la relecture du code du travail ?
C.P.S. : Les travaux de relecture du code du travail sont très avancés. Notre objectif initial était de soumettre un nouveau projet de loi pour un nouveau code du travail à la session actuelle de l’Assemblée nationale. Mais au cours de l’atelier national tripartite (Etat-syndicats des travailleurs-employeurs), nous nous sommes aperçus qu’il y a un certain nombre de questions sur lesquelles, nous devons approfondir la réflexion et opérer un arbitrage. Les discussions ont beaucoup achoppé sur la question des sociétés de placement d’employés et de travail temporaire ainsi que celles des Contrats à durée déterminée (CDD) et indéterminée (CDI). Ces questions sont encore en suspens et doivent faire l’objet de nouvelles concertations.
S. : Un autre dossier important de votre département est celui de l’assurance maladie universelle. Quel est l’état des lieux de ce dossier ?
C.P.S. : L’Assemblée nationale a adopté une loi en 2015 qui créait le régime d’assurance maladie universelle pour le Burkina Faso et qui donnait deux années pour son opérationnalisation. Nous sommes toujours dans la période d’opérationnalisation censée prendre fin en février 2018, si l’on tient compte de la date de promulgation de cette loi. Pour l’essentiel, le gouvernement se prépare à la prise des actes dont le premier va être la création des deux caisses d’assurance maladie, l’une pour les civils, l’autre pour les militaires.
S. : L’une des problématiques soulevées à la dernière conférence annuelle des gestionnaires des ressources humaines tenue à Ouagadougou en début décembre, a été le surnombre des agents de la Fonction publique. Comment comptez-vous résoudre ce problème ?
C.P.S. : Cette problématique a été en effet, prise en compte par la conférence annuelle de gestion des ressources humaines tenues en décembre 2017. Un certain nombre de recommandations ont été ainsi faites. Nous attendons que les documents soient finalisés, avant de saisir le Conseil des ministres sur les mesures à prendre. Nous devons absolument réaliser cette rationalisation des effectifs et des emplois. Un autre aspect concerne la masse salariale. Ces dernières années, il y a eu des accroissements indemnitaires (en 2014) et salariaux (avec les reversements dans la loi 081). Tout cela a contribué à gonfler la masse salariaux, sans compter l’incidence des nouveaux recrutements. Est-ce que cette tendance est soutenable dans le long terme ? Une chose est sûre, nous devons veiller à éviter de nous retrouver dos au mur, c’est-à-dire, ne plus être en mesure de payer à temps les fonctionnaires burkinabè.
S. : Quels sont vos points de satisfaction ou de regret après deux années d’exercice ?
C.P.S. : Nous pouvons citer quatre points de satisfaction. D’abord, il y a la question des reversements dans la loi 081 qui a été l’un des dossiers que nous avions trouvé sur la table à notre arrivée. Ce défi a été relevé. C’est un motif de satisfaction. Deuxièment, il y a la modernisation de l’administration publique. Et avec les très nombreux outils que nous avons pu mettre en place, cela augure d’une avancée visible. Troisièmement, c’est la bonne organisation des concours. Dieu merci, les bons génies étaient au rendez-vous. Dernier motif de satisfaction, c’est d’avoir pu avancer sur le travail préparatoire de l’assurance maladie universelle.
Le travail à abattre sur ce dernier dossier a certainement franchi le seuil de 60%. Ce sont ces 4 dossiers-là qui nous donnent des raisons de nous réjouir.
Mon plus grand regret, c’est indiscutablement la question du dialogue social. Nous nous sommes énormément investis pour promouvoir le dialogue social dans un esprit de compréhension mutuelle. Malheureusement, à notre grand regret, le front social reste toujours allumé. Le plus affligeant est le radicalisme outrancier dont font montre certains acteurs du monde syndical, en dépit des efforts consentis par le gouvernement. En tant que ministre en charge de ce dialogue social, nous avons parfois des pincements au cœur en voyant que tous nos efforts ne sont pas reconnus et récompensés.
S. : En termes de perspectives, qu’est-ce qui est prévu pour rendre notre administration plus efficace en
2018 ?
C.P.S. : Dans un premier temps, il s’agira, pour nous, d’opérationnaliser le Haut conseil du dialogue social et de prendre des décrets d’application de l’assurance maladie universelle. En second point, nous œuvrerons à rendre opérationnelles toutes les mesures que nous sommes en train de prendre pour la modernisation de l’administration publique, l’éradication de toutes les sources de dysfonctionnements des services publics. A notre avis, l’année 2018 est une année charnière. Elle est l’année de tous les enjeux et de toutes les décisions.
Interview réalisée par Aubin W. NANA