Le 7 décembre dernier, nous avons reçu à notre rédaction, Pissyamba Ouédraogo, du nom du premier responsable du Syndicat des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA). Il était entouré de certains de ses collaborateurs. Il a abordé avec nous, plusieurs sujets en lien avec la situation au sein du secteur de la santé au Burkina. Lisez plutôt.
« Le Pays » : Pourquoi le SYNTSHA se met-il à courir ?
Pissyamba Ouédraogo : En fait, on n’était pas toujours assis. Je crois qu’on courait toujours derrière les solutions à nos problèmes. Nos sorties médiatiques ont deux objectifs : c’est pour interpeller les autorités pour qu’elles redoublent d’efforts dans la recherche de solutions à nos problèmes d’une part, et d’autre part, informer l’opinion sur les engagements que le gouvernement prend.
A ce propos, où en est-on avec la mise en œuvre du protocole d’accord signé avec le gouvernement ?
Nous estimons que la mise en œuvre des revendications n’est pas satisfaisante.
Il nous est revenu que dans la mise en œuvre de ce protocole, le taux de réalisation des engagements à court terme est de 61,76%. De quoi s’agit-il exactement ?
En réalité, lorsque nous avons signé le protocole, il a été mis en place un comité de suivi chargé d’élaborer le chronogramme et d’assurer le suivi de la mise en œuvre du protocole. Ce comité a décomposé les engagements en trois : des engagements à court terme, des engagements à moyen terme et des engagements à long terme. Le taux que vous avez annoncé tantôt, est relatif au taux de réalisation des engagements à court terme. De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’un taux quantitatif. Mais nous, nous l’analysons plus profondément pour voir si parmi les revendications à court terme, figurent des questions très importantes qui ne peuvent pas être comparées par exemple à la prise d’une note de service. Il y a la question des problèmes des carrières, les questions d’indemnités et des salaires, la question de la participation du syndicat aux instances où se décide le sort des travailleurs, la question de la relecture des textes concernant la santé des travailleurs. Donc, quand on regarde les 61,76%, on est tenté de dire que le taux de réalisation est assez bon, mais quand on regarde l’importance des points non résolus, on peut comprendre que ça ne va pas du tout.
Voulez-vous dire que le gouvernement a choisi de solutionner les points les plus faciles à traiter ?
On ne sait pas s’il a choisi, mais nous constatons. Est-ce qu’il a choisi ? Est-ce qu’il y a des facteurs qui ont abouti à cela ? Nous n’en savons rien.
Concrètement, pouvez-vous nous faire brièvement le bilan de votre lutte ?
S’il faut dresser le bilan, il faut le faire sous plusieurs plans. La lutte est une décision du bureau national de notre syndicat. De ce point de vue, on peut remarquer que les travailleurs ont marqué leur adhésion à la lutte et ont renforcé la confiance en leur direction. Du point de vue organisationnel, cela nous a renforcé. Du point de vue matériel, qu’est-ce qu’on a pu tirer de la lutte, malgré le taux que nous venons d’évoquer? Il y a quand même un minimum de choses qui ont été réalisées. Je pense aux questions de ristournes du CNTS, à des notes de service qui ont été prises ; notamment la note de service attendue, qui devait permettre aux responsables de districts d’associer le syndicat dans la gestion du carburant de l’évacuation. Il ne s’agit pas seulement de prendre des notes de service. Il faut les appliquer mais jusque-là, la note n’est pas effective. Je peux dire que du point de vue matériel, c’est timide mais il y a un minimum qui est fait. Sur la question des agressions subies par le personnel de santé, un certain nombre d’agresseurs ont été jugés, même si d’autres courent toujours. La protection des agents dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions est un relatif succès. Quand on regarde globalement la plate-forme, c’est une autre lutte qu’on engage parce que la totalité des revendications n’est pas encore satisfaite.
Qu’est-ce qui vous choque plus particulièrement par rapport aux promesses non tenues du gouvernement ?
Nous ne sommes plus au stade du choc. Je crois qu’au niveau du SYNTSHA, le choc est derrière nous. On a été tellement choqué qu’on n’est plus choqué. Nous sommes plutôt révoltés par les promesses non tenues et ce que nous entrevoyons comme des blocages sur des questions qui ont été discutées et sur lesquelles le gouvernement a pris des engagements.
Vous parlez de tergiversations. De quoi s’agit-il exactement ?
Je parle par exemple de la question d’harmonisation du statut de la carrière des attachés de santé et des conseillers d’élevage pour leur reclassement en catégorie A 1. On ne voit pas venir les mesures pour concrétiser cela. Ensuite, concernant les textes d’organisation d’emplois spécifiques, il y a des préalables que la Fonction publique devrait assurer, mais cela n’a pas été fait alors que les délais prévus sont en train d’être dépassés. Pour nous, il y a des tergiversations, sinon même des blocages.
Nous devons aussi exprimer notre désaccord pour ce manque de respect des engagements pris
Il y a eu l’adoption d’un texte sur la Fonction publique hospitalière. Vous n’en parlez pas. Pourquoi ?
Il faut bien placer la Fonction publique hospitalière dans notre lutte actuellement. Il s’agit d’une réforme décidée par le gouvernement. Maintenant, au vu de nos revendications, lorsque nous avons discuté avec le gouvernement, un certain nombre de réponses ont été renvoyées dans le cadre de cette loi. C’est en ce sens que nous sommes intéressés par ce texte qui, comme on le dit, est une promesse de campagne. Donc, nous regardons dans le cadre de cette loi, quelles revendications peuvent trouver solutions. Nous nous sommes investis pour que cette loi voie le jour. Bien que l’origine de cette loi soit gouvernementale, nous avons donné notre contribution afin que nos problèmes trouvent des solutions.
Sur la question des promesses non tenues, pensez-vous que le gouvernement manque de possibilités ou est-ce une négligence vis-à-vis du syndicat comme certains le disent souvent ?
Les questions, pour l’instant, ne posent pas un problème de possibilité ou d’impossibilité au niveau de l’Etat. Si la loi est adoptée, ce qui est difficile, ce sont les questions d’incidences financières. Mais pour ces incidences, la Commission a fait des propositions et le gouvernement sait qu’il y a des propositions consensuelles sur ce sujet. Il ne nous est pas revenu qu’il y a une impossibilité de les mettre en œuvre et mieux, si d’aventure il y en avait, le gouvernement aurait pu nous le faire savoir en tant que partenaire social. Nous pensons que le gouvernement manque de volonté.
Etes-vous sûrs que le gouvernement a les moyens pour satisfaire vos revendications ?
Nous sommes sûrs que le gouvernement a les moyens. Ce que nous demandons, n’est pas impossible à satisfaire.
Allez-vous changer de stratégie de lutte au regard du fait que vos revendications, pour la plupart, n’ont pas de solutions, pour l’instant en tout cas ?
Pour l’instant, nous avons tenu seulement une conférence de presse pour attirer l’attention du gouvernement, pour qu’il se ressaisisse. Nous avons appelé aussi nos militants à se préparer parce que nous devons aussi exprimer notre désaccord pour ce manque de respect des engagements pris. Maintenant, quelle forme ou quelle stratégie de lutte seront appliquées, on n’en est pas encore là. Nous espérons que le gouvernement trouvera rapidement des solutions. Dans tous les cas, le syndicat n’a pas un autre moyen. Si nous sommes dans l’impossibilité de trouver une autre voie, il existe des formes de réactions qu’on peut adopter.
Depuis des années, les hôpitaux manquent presque de tout. Il semble que vous privilégiez plus la lutte pour l’amélioration des conditions de vie des militants que celle pour l’acquisition de matériels et de consommables médicaux. Que répondez-vous ?
Cette opinion doit émaner de quelqu’un qui, soit n’a pas lu la plate-forme, soit veut s’en prendre à nous gratuitement. Je renvoie tous ceux qui pensent ainsi à notre protocole d’accord et ils verront bien que les conditions constituent 40 à 45% de nos revendications. Je parle des équipements, des infrastructures, etc.
Quelle importance donnez-vous au service minimum lors de vos grèves, puisqu’on reproche au syndicat de ne pas en tenir compte ?
La question n’est pas de savoir si elle est importante ou pas. La question est de savoir quel est le texte en vigueur chez nous en matière d’exercice du droit de grève. Il faut d’abord clarifier cela. Nous avons expliqué, lors de la lutte passée, que dans les textes qui règlementent le droit de grève au Burkina, aucun texte ne prévoit un service minimum en cas de grève. C’est bien plus tard, notamment autour des années 2007, que dans le cadre des EPS il y a eu un texte qui porte sur la gestion des statuts du personnel des EPS. Un article dit qu’en cas de grève, c’est le Directeur général qui organise le service minimum. Ce qui indique même que le service minimum prévu par l’Etat, est exclu en dehors des hôpitaux. C’est la seule disposition qui existe dans la législation de notre pays, relative au service minimum. Maintenant, nous-mêmes et c’est ça qui est révoltant, lorsque nous avons lancé la première grève en octobre 2016, nous avons pris sur nous la responsabilité d’organiser le service minimum. L’objectif était d’indiquer aux populations que notre grève n’était pas dirigée contre les patients, mais plutôt un moyen de pression pour obliger le gouvernement à se pencher sur nos revendications.
Lors d’une récente sortie, vous avez dénoncé une gestion calamiteuse des ressources humaines et financières au niveau de la santé. Pouvez-vous être plus explicite sur le sujet ?
Nous l’avons expliqué dans la plate-forme revendicative. Notre syndicat se donne comme principe, de contribuer au contrôle de la gestion des services publics. C’est pour cela que nous avons demandé à être dans les marchés publics, dans l’achat des équipements, pour que nous puissions, en tant que structure, attirer l’attention des uns et des autres sur des propositions de matériel non adapté. Deuxièmement, nous avons demandé à participer aux instances où on discute du fonctionnement des formations sanitaires. Il s’agit des Conseils d’administration, des Conseils de direction ou d’autres instances au niveau régional. Tout cela, pour que le syndicat puisse vraiment jouer son rôle de veille à tous les niveaux. Naturellement, cela concerne la gestion financière et la gestion des ressources humaines. Sur le terrain, nous avons constaté ces dernières années dans les districts, qu’on affecte les gens en dehors de la commission. Lorsque les gens se plaignent, on les menace. On a entendu quelqu’un dire que s’il prend son stylo, votre carrière prendra un coup. En plus, nos sections et sous-sections, par leur vigilance, ont découvert des problèmes de gestion financière. En ce qui concerne les Conseils d’administration, à l’heure actuelle, beaucoup d’hôpitaux ont désigné les représentants des travailleurs mais jusque-là, beaucoup ne sont pas nommés. Ce qui veut dire qu’ils ne siègent pas.
La politique mise en œuvre par le régime, telle que nous la voyons, ne pourra pas résoudre les problèmes
Pensez-vous que la présence des délégués du syndicat dans les instances n’est pas vue d’un bon œil par les autorités?
Si elles n’ont pas clairement avoué ne pas vouloir de ces structures, dans les faits, c’est ce que cela voudrait dire. Par exemple, nous avons demandé à intégrer un certain nombre de structures au niveau des marchés publics, mais il y a déjà eu une relecture des textes. Après que nous eussions discuté avec le gouvernement, on n’a pas intégré le syndicat dans les nouveaux textes. Si on ajoute à ce fait, les retards de nominations de nos représentants au niveau des instances, le comportement de certains responsables dans les districts, la conclusion est qu’ils ne veulent pas de nous. Mais nous pensons que ce sont des obligations liées à la démocratie, et il faut qu’on se batte pour que ces exigences soient concrétisées.
Il nous semble que le secteur de la santé est très politisé. Qu’en dites-vous ?
Si vous parcourez le rapport du Collège de sages, parmi les secteurs réputés être politisés, celui de la santé en fait partie. Certains de nos militants, du fait leur appartenance syndicale, sont victimes d’exclusion et de mesures diverses. Pour nous, la politisation du secteur de la santé est une réalité.
Quels sont les principaux problèmes du secteur de la santé aujourd’hui ?
Les problèmes du secteur de la santé, ce sont ceux qui affectent le système dans son ensemble. Si l’on prend des sous-sections comme les infrastructures et les équipements, les ressources humaines et financières, les questions de gouvernance, les questions de gestion, ce sont des problèmes. Le secteur est à l’image de la gestion du pays.
Comment résoudre tous ces problèmes ? Y a-t-il une baguette magique ?
Il n’est pas question de baguette magique. Il est plutôt question de faire confiance aux citoyens et d’être conséquent. Aujourd’hui, les travailleurs de la santé et l’ensemble de la population sont en mesure de connaître les véritables problèmes du système de santé. Il s’agit de travailler honnêtement et franchement avec eux et donc d’adopter une planification stratégique et objective de nature à résoudre les problèmes qui se posent. Ça, c’est bien possible. Mais la politique mise en œuvre par le régime, telle que nous la voyons, ne pourra pas résoudre les problèmes.
Cette politique est-elle différente de celle qui a été menée avant ce pouvoir-là ?
Pas fondamentalement. Nos revendications, pour l’essentiel, n’ont pas changé. L’analyse que nous faisons est que Blaise Compaoré est parti, mais on n’a pas changé. C’est le même système, la même politique baptisée autrement. Au lieu de dire SCAAD, on dit PNDES. Le contenu est le même.
Après des moments de troubles, l’accalmie est revenue à la CAMEG. Est-ce à dire que les problèmes sont résolus ?
Je ne sais pas s’il faut appeler cela une accalmie. Dans nos discussions avec le gouvernement, nous avons indiqué qu’il faut que la CAMEG soit une structure publique chargée d’approvisionner le système de santé en médicaments. Pour nous, le statut d’association ne nous convient pas. Pour nous, il est inacceptable. Le changement que nous souhaitons, doit pouvoir se faire en maintenant tous les acquis des travailleurs afin que la CAMEG devienne une structure publique qui est pour nous une question de souveraineté. Il n’est pas question que notre système de santé soit approvisionné par des privés.
Quel est le principal risque, que les privés approvisionnent le système de santé ?
S’ils ne trouvent pas leurs comptes, ils plient bagages.
Quel commentaire faites-vous de la rupture, à un moment donné, du ventoline utilisé par les asthmatiques ?
Il y a une explication technique que j’ai lue quelque part. Mais il faut dire que le principal problème de la gouvernance dans notre pays, c’est qu’on gère le quotidien. On ne planifie pas, on ne prévient pas les problèmes. Et c’est ça qui s’exprime de cette façon. Si on navigue à vue, on est parfois surpris par des questions de fond.
Par rapport aux autres fonctionnaires, pensez-vous que le personnel de la santé, notamment les médecins, est parmi les privilégiés ?
Non. On est dans les mêmes catégories. On a les mêmes salaires. On n’est pas du tout des privilégiés.
Quel commentaire faites-vous des critiques formulées contre le syndicat en rapport avec certains sujets, notamment la corruption au niveau des agents de santé ?
Effectivement, nous sommes interpelés par l’opinion sur notre position sur la corruption dans le secteur de la santé. Certains pensent que c’est une question qui nous fait peur. Je dis qu’elle ne nous fait pas peur. Notre syndicat n’a aucune gêne pour se prononcer sur le sujet des agents qui délaissent les services publics pour aller prester dans les cliniques. Le SYNTSHA a toujours condamné ces pratiques. Nous ne pourrons jamais soutenir des comportements déviants. Nous avons une contribution en matière de formation civique de nos militants. Nos militants doivent être exemplaires à tous points de vue. Et nous y travaillons.
Propos recueillis par Michel NANA