Abandonnées, affaiblies, affamées, malades et pauvres ; voilà comment on peut résumer la vie de beaucoup de personnes âgées de par le monde. Au Burkina Faso, particulièrement à Nouna, cette situation est celle de nombre de seniors. Certaines, pour survivre, sont contraints de continuer à travailler et d’autres s’adonnent à la mendicité. Dans cette regrettable situation, la plupart des personnes du 3e âge pointent un doigt accusateur sur l’Etat mais aussi la frange jeune de la population tout en interpellant les jeunes en ces termes : « Prenez soin de nous si vous ne voulez pas subir le même sort que nous lorsque vous serez vieux.» A l’occasion de la Journée internationale des personnes âgées, célébrée le 1er octobre, nous avons fait une immersion dans l’univers des papys et mamies ; un univers de vieux jours pas toujours gais.
«Je m’appelle Laye Keita, j’ai 79 ans. Je suis né le 25 octobre 1938, précisément à 10h. » Quelle sacrée mémoire ! «C’est parce que c’est écrit hein, sinon avec le poids de l’âge, il y a beaucoup de choses dont je ne me souviens plus», reconnaît-il d’un ton modeste, suivi d’un éclat de rire.
Après avoir servi comme préfet dans une douzaine de départements du Burkina, dont Dano, Diapaga, Safané, Soubagagnadougou, Tougouri et Toussiana, le vieux Keita vit sa retraite à Nouna depuis 1992. Aujourd’hui président du Conseil provincial des personnes âgées de la Kossi, il estime que les gens de sa génération constituent la frange la plus touchée par la pauvreté. «La plupart d’entre nous, en plus de n’avoir pas travaillé à la fonction publique, n’ont pas de familles solides et sont donc totalement démunis, laissés pour compte. Pour ma part, en plus de ma pension de retraite, je bénéficie du soutien de mes enfants. J’en ai douze et seuls trois d’entre eux n’ont pas d’emplois », précise Laye Keita qui, bien qu’ayant perdu la vue, ne semble manquer de rien.
Cette chance, Mamane Traoré, 88 ans, ne l’a pas eue. Ancien boucher, c’est avec nostalgie que l’octogénaire originaire de la Mauritanie raconte son glorieux passé. Installé à Nouna depuis les années 60, il se souvient encore de ses trois belles épouses dont chacune possédait sa cour et recevait chaque jour 2 000 F CFA pour la popote. Aujourd’hui, même si le quasi nonagénaire ne vit pas l’enfer, ce n’est plus le paradis terrestre d’antan non plus. Il éprouve d’énormes difficultés à assurer sa survie. « Mes trois femmes sont toutes décédées. J’ai eu beaucoup d’enfants mais ils m’ont tous abandonné, sauf un, Yacouba, qui vit à Ouaga mais m’envoie rarement quelque chose. N’eût été l’aide de bonnes volontés, ma situation aurait été pire. Je pense que la première difficulté de nombre de personnes âgées à Nouna, c’est la faim ; ensuite il y a la maladie et certains des seniors manquent d’habillement et de logement », explique Mamane, rencontré au cœur de la nuit à la recherche de sa pitance et qui regrette que les promesses de l’Etat soient restées au stade de discours.
Bakari Konaté, un autre vieillard, est contraint de vendre du bois pour nourrir sa famille. Yacouba Djipon, 65 ans, lui, est employé comme veilleur de nuit dans un commerce pour un salaire mensuel de… 15 000 FCFA. Un métier à hauts risques, mais il dit n’avoir pas le choix. «Quand quelqu’un de mon âge abandonne sa famille pour aller passer la nuit à la belle étoile, c’est qu’il vit dans la précarité.»
Six factures impayées
Comme Mamane, Bakari et Yacouba, ils sont nombreux, les papys et les mamies à Nouna qui, face à l’abandon, l’isolement social, accentués par la précarité économique, sont obligés de verser dans la mendicité ou de continuer à travailler en dépit de leur âge avancé. La majorité d’entre elles ne bénéficient d’aucune pension de retraite et pour les plus chanceuses, c’est-à-dire celles qui ont une pension, celle-ci est dérisoire pour leur permettre de vivre décemment. Bila Charles Ilboudo, comptable à la retraite, est de ceux-là. Sur le bulletin de paie qu’il nous présente, on peut lire : Net à payer : 57 372 F. « Avec une telle somme, j’ai des difficultés pour faire face à mes charges familiales. Actuellement, j’ai trois factures d’eau et autant de factures d’électricité impayées », s’indigne le vieil homme dont le calvaire s’est accentué en cette période de rentrée scolaire. Avec trois enfants au lycée, ce septuagénaire est contraint à l’endettement. Il demande à l’Etat de venir en aide aux personnes de son âge qui « souffrent véritablement dans leur cœur et dans leur chair ».
Wango Jean-Baptiste Traoré, un autre retraité, renchérit : «A dire vrai, la pension que nous percevons est très infime par rapport à nos charges. Nous sommes en Afrique et la famille est élargie. Dès lors, nos conditions de vie deviennent précaires et c’est ce qui précipite la mort de certains. Les jeunes n’aiment plus approcher les grands-pères ni les grands-mères pour écouter les contes et leurs conseils comme par le passé. On nous traite de sorciers. Or, nous avons été aussi jeunes et si vous négligez vos papas, demain vous aussi serez délaissés par vos enfants», prévient-il. Le vieux Traoré demande par ailleurs à l’Etat d’impliquer les vieilles personnes dans la gestion des affaires publiques, car grâce à leur expérience et à leur comportement exemplaire, elles peuvent enseigner, par exemple, le civisme aux jeunes.
Jules Traoré, fonctionnaire à la retraite, ancien député-maire de Nouna, trouve cependant que les conditions de vie des retraités se sont améliorées au fil du temps. Il note comme avancée la bancarisation des pensions.
«Beaucoup de retraités qui attendaient le trimestre pour avoir de l’argent peuvent maintenant en avoir chaque mois et obtenir des prêts. Je crois donc qu’il y a beaucoup de dispositions qui sont prises pour aider ces personnes âgées, même si beaucoup reste à faire», a-t-il estimé.
Loi 024, où es-tu ?
Pour permettre aux personnes du 3e âge de bénéficier véritablement d’une protection juridique et sociale, l’Assemblée nationale burkinabè a voté une loi en faveur de cette frange qui était estimée, lors du dernier recensement en 2006, à quelque 700 000 individus (les 60 ans et plus), soit alors 5,1% de la population nationale. Proposée par le ministère en charge de l’Action sociale, cette loi a été adoptée le 17 octobre 2016. « Beaucoup de gens du 3e âge sont délaissés par leurs proches. Mais sachez qu’il existe maintenant une loi qui les protège. Si vous avez un parent direct qui a un certain âge et qui se retrouve dans un état de dénuement et quelqu’un porte plainte contre vous pour avoir abandonné ce dernier, vous devez en répondre. De même dans les espaces publics, on doit accorder la priorité aux vieilles personnes. Nous sommes tous appelés à être vieux et demain, nous pouvons nous retrouver dans la même situation que ceux que nous délaissons aujourd’hui », explique Daouda Simboro, député à l’Assemblée nationale. Cependant, toutes les personnes âgées que nous avons rencontrées disent ne pas être au courant de l’existence d’une telle loi, encore moins de son application.
«Cette loi n’a pas encore été vulgarisée», reconnaît le directeur provincial de l’Action sociale de la Kossi, Moustapha Ouattara. «Elle prévoit, entre autres, la prise en charge sanitaire, l’assistance et le volet exclusion des bénéficiaires. Sincèrement, y en a plein qui souffrent dans la Kossi. Après 2013, leur prise en charge a été en deçà des attentes. Nous comptons procéder à un recensement communautaire de ces personnes pour connaître leur situation afin de pouvoir intervenir. Il est nécessaire que des ONG prennent aussi en compte cette couche de la population, comme c’est le cas pour les personnes handicapées», a indiqué M. Ouattara.
Se détacher de son «lakadjan »
Si pour certains, 3e âge rime avec inactivité, invalidité et manque de vitalité, d’autres par contre continuent d’occuper des postes de responsabilité et d’exercer des activités à même d’agrémenter leurs vieux jours. Modeste Tamini, 66 ans, enseignant à la retraite, pense qu’il faut dédramatiser le vieillissement. «Même vieux, il faut avoir un esprit jeune. Il ne faut pas se dire qu’on est vieux et s’asseoir à longueur de journée sur son «lakadjan» (NDLR : chaise pliante). Il faut éviter l’isolement et ne pas s’adonner à l’alcoolisme ; cela permet de vivre plus longtemps. Pour ma part, je pratiquais le sport de façon intense pendant ma jeunesse, ce qui m’a permis de partir à la retraite dans un bon état physique. Aujourd’hui, je pratique le sport de maintien pour éviter certaines maladies liées au vieillissement telles que le diabète, l’hypertension artérielle et la goutte. En plus, je fais de la musique pour me reposer l’esprit », a déclaré tonton Tamini, qui plaint le sort de la jeune génération : «Quand je regarde certains jeunes aujourd’hui, ils me font pitié : ils passent la journée à boire du thé ou de l’alcool frelaté. Certains s’adonnent à des comportements sexuels à risque. Je crois que c’est tout cela qui fait que nombre de jeunes meurent prématurément.»
Mais ne faut-il pas reconnaître, ne serait-ce qu’à voix basse, que certains séniors ne sont pas habités par la sagesse ? «Oui», répond Dominique Tamini, 30 ans, agent de crédit. «Souvent on se demande si certaines personnes âgées ont mis au monde des enfants, tellement elles sont délaissées. Mais je me dis que cette situation leur est imputable. Elles n’ont pas préparé leurs enfants à les secourir plus tard en veillant à leur donner une bonne éducation. Il y a aussi le fait que les jeunes même ont des problèmes. Beaucoup sont au chômage et sont pris en charge par leurs parents. Il faut reconnaître qu’il y a aussi des vieux qui ont des comportements répréhensibles », déplore-t-il.
Malgré tout, les personnes âgées, dépositaires des traditions et sources de connaissances, ne méritent-elles pas une grande attention ? Et s’il est vrai que pour se développer on a aussi besoin de notre culture, les autorités ne doivent-elles pas mettre en place des politiques afin d’améliorer véritablement le sort des vieilles gens ?
Boureima Badini