Franck Simon (journaliste spécialiste du football africain) : “Le football africain doit-il continuer à être dirigé par un président qui est en place depuis 1988 ?”
Journaliste dans le bihebdomadaire français de football France Football, Franck Simon est un fin limier du football africain. Amoureux du continent, il répond présent aux grands rendez-vous du football africain. Il évoque dans l’interview qu’il nous a accordée plusieurs facettes de ce football qu’il juge en stagnation et parle du rôle de la presse sportive pour accompagner le sport-roi du continent afin qu’il se développe.
Vous êtes un spécialiste du football africain au sein du journal France Football Quel niveau a ce football aujourd’hui, selon vous ?
Aujourd’hui le football africain est à un tournant très important parce que les semi représentants qui jouent dans les plus grands clubs du championnat européen, pas besoin de les citer, sont de grands joueurs. Mais à côté, le niveau des championnats sur le continent a, malheureusement, tendance à régresser. Il y a beaucoup de problèmes pour les clubs : économique, de structures, problème pour former les joueurs et les retenir. Souvent le club est entre guillemets soumis à une personne ; c’est-à-dire qu’il subsiste grâce à une personne. Il faut qu’il y ait un super mécène et quand celui-ci n’est pas là, le club peut s’écrouler. On voit aujourd’hui des dizaines de clubs historiques qui ont disparu partout sur le continent. Ca c’est vraiment un danger. Le talent il est là, on le sait, il sera toujours là mais malheureusement le football des clubs souffre énormément. Quant aux équipes nationales, on a vu une régression lors de la dernière coupe du monde. Il y a eu une équipe comme le Ghana qui est arrivée en quarts. Mais globalement aujourd’hui, le football africain des sélections s’est fait dépasser maintenant par l’Asie. Il y avait déjà l’Europe et l’Amérique du Sud, maintenant l’Asie est passée un peu devant. Il faut combler ce retard absolument. Il faut que les sélections retrouvent le niveau auquel elles doivent naturellement aspirer, c’est-à-dire atteindre une demi-finale de coupe du monde. On n’en prend pas le chemin. La coupe d’Afrique des nations, on a eu une édition 2010, 2012 et 2013, c’est-à-dire trois éditions en trois ans, ça fait beaucoup. On a un peu le sentiment d’une stagnation, pas dans l’appauvrissement mais d’une stagnation au niveau du tournoi même s’il y a eu des révélations et des belles histoires avec notamment la victoire de la Zambie en 2012 et cette superbe percée du Burkina en 2013, reste qu’il y a tout un tas d’interrogations qui sont suscitées par l’état actuel du football africain, à commencer par l’arbitrage, la relève au niveau des dirigeants car il faut de grands dirigeants pour ce football. Est-ce que le football africain peut ou doit continuer à être dirigé par un président qui est en place depuis 1988 ? Est-ce qu’il n’est pas temps que ce président qui a travaillé pendant plusieurs décennies laisse la place ? On se pose des questions, est-ce qu’il y a des gens derrière pour prendre la relève ? C’est une vraie question qu’on peut avoir, vu d’Europe et je crois que c’est la réflexion de certains de mes collègues sur le continent africain. L’arbitrage a aussi un souci important car on voit beaucoup de matchs qui tournent très mal à cause d’un arbitrage qui n’est pas bon du tout. Il y a aussi un progrès à apporter. L’arbitrage africain a quand même de très bons arbitres car en Algérie on en a vu quand même de très bons qui sont au top niveau mondial. Il y a des sources de satisfactions que sont ces compétitions qui se déroulent sur le sol africain. La création du CHAN a été quelque chose de très positif parce qu’il a tendance à inciter les footballeurs qui sont sur le terroir à se surpasser. Je suis content de cette compétition et j’espère qu’elle va continuer et s’épanouir. On attend l’édition 2014 en Afrique du Sud et on espère qu’elle sera d’un très bon niveau. On en avait eu deux précédemment qui n’étaient pas mal. C’est une compétition qui donne beaucoup d’espoir aux joueurs qui restent sur le continent qui n’ont pas forcément la possibilité de s’expatrier et d’aller vivre le professionnalisme en Europe ou ailleurs. Je milite que le CHAN prenne de plus en plus de place et j’en appelle plus que jamais aux dirigeants du football africain dans les fédérations et dans les clubs à beaucoup penser à lier le football et l’éducation. Il faut également penser au football féminin qui est en train de se développer énormément sur le continent africain et d’autres disciplines car le football, c’est aussi le futsal, le beach soccer. Le football africain n’échappe pas à ces nouvelles disciplines qui sont de la même famille. Donc il faut travailler là-dessus car c’est très important. Je souhaite de tout cœur que le football africain se retrouve bientôt au très haut niveau mondial peut-être au Brésil ; mais je pense que c’est un tout petit peu trop tôt pour 2014. Mais ce serait tellement bien qu’on ait une équipe du continent qui fasse partie du dernier carré. Le souci, je terminerai la dessus, il ne faudrait pas que ce soit un one short, juste une seule aventure
et qu’il n’y ait rien derrière. Il faut ensuite pérenniser ce niveau et c’est tout le problème du football africain, arrivé à un niveau et s’y maintenir. C’est tout le travail des éducateurs, des dirigeants, des Fédérations et des joueurs parce que le football africain et le football d’Afrique en général, c’est avant tout les joueurs. Il faut le remercier pour tout ce qu’ils apportent comme bonheur notamment dans le football européen. On a des garçons qui se retrouvent vedettes un peu partout et qui sont dans tous les championnats du Vieux Continent. C’est le signe d’une vraie qualité reconnue du footballeur africain partout.
Quel peut-être l’accompagnement de la presse sportive pour un épanouissement de ce football ?
La presse sportive doit absolument jouer un rôle très critique. Les presses nationales peuvent accompagner les aventures des équipes nationales dans les compétitions et c’est normal. Après, elle doivent avoir un regard critique. Il faut aussi que la presse sportive, la presse d’Etat et la presse privée, les radios, les télés et les sites dénoncent, quand il y a des problèmes. Il faut que tout cet ensemble joue ce rôle. Toujours mettre devant, l’enquête, le reportage et retrouver le goût de faire ces choses et ne pas céder parfois aux caprices de certains dirigeants, à la complaisance et faire son travail, encourager quand il le faut et dénoncer quand les choses vont moins bien. Dire les choses tout simplement. Je sais que ce n’est pas toujours facile parce que les moyens viennent à manquer au niveau des médias, mais ils doivent jouer ce rôle qui est très important, qui est un rôle à la fois critique, un rôle d’encouragement, susciter et donner espoir en mettant en avant les choses positives. Une dernière chose que j’espère dans la presse sportive et particulièrement la presse écrite et notamment les presses quotidiennes, est que le match de football retrouve pleinement sa place.
Je m’explique : dans la presse européenne, quand un match se joue on a systématiquement des classements, des fiches techniques et des feuilles de match. Aujourd’hui, il est très compliqué quand on fait un travail de recherche, de retrouver ces compositions. C’est un vrai travail, c’est le travail de base des journalistes sportifs.
Que les gens qui n’ont pas assisté au match, qui n’ont pas écouté à la radio puissent retrouver la feuille dans le journal qu’ils vont acheter et consulter. Ca fait partie du rôle du journaliste de la donner car si on n’a pas eu cette chance d’assister au match, on est content de retrouver la feuille de match dans le journal. Il faut donc redonner à cette feuille de match la place qu’elle mérite et dissocier le commentaire et l’analyse car cela est aussi important.