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Dr Abdoulaye Barro, à propos de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël : « On va mondialiser le conflit qui aurait dû être circonscrit »
Publié le samedi 9 decembre 2017  |  Le Pays
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© Présidence par D.R
Le Président de la Transition, Président du Faso, Michel Kafando, a présidé dans la matinée du samedi 26 décembre 2015, la cérémonie de baptême de l’Université de Ouagadougou qui s’appelle désormais « Université Ouaga I Professeur Joseph Ki-Zerbo »




Diplômé en relations internationales, Abdoulaye Barro est enseignant à l’Université Ouaga I Pr Joseph Ki-Zerbo, plus précisément au département de Philosophie. Avec lui, nous avons échangé sur la décision prise par le président américain, Donald Trump, de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël. Quelles peuvent être les conséquences d’une telle décision à travers le monde ? Faut-il croire au dialogue que Trump promet de poursuivre entre les deux ennemis, c’est-à-dire Israéliens et Palestiniens ? Ce sont là, entre autres, des questions que nous avons abordées avec Dr Barro pour qui tout cela participe « d’une stratégie politicienne ». Lisez plutôt !

« Le Pays » : Comment réagissez-vous à la décision du président américain, Donald Trump, de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël ?

Dr Abdoulaye Barro : Je pense que c’est une décision qui, d’un point de vue diplomatique, est totalement absurde puisqu’elle est unilatérale ; quand on sait que la question de Jérusalem a toujours été au cœur des conflits israélo-arabes. Il y a une tradition diplomatique établie, qui était fondée sur la recherche de paix juste entre les Israéliens et les Palestiniens, au cas où ces derniers auraient leur Etat un jour. En attendant, Jérusalem devait rester une ville neutre, bien qu’elle soit effectivement un lieu symbolique fort pour les Juifs. Ma première réaction est une réaction de tristesse et d’amertume, parce que je sais qu’elle va raviver les tentions au Proche et au Moyen-Orient.

Est-ce que vous avez été surpris par cette décision ?

Personnellement, je n’ai pas été surpris par cette décision, puisque j’étudie et je connais les questions proche-orientales depuis des années et d’autant que j’ai publié, moi-même, en 1995, un grand écrit sur « Israël- Afrique noire : le courage de la vérité », qui est paru en Israël, dans la tribune Israël. C’est une question que j’ai beaucoup étudiée, aussi bien durant mes études en relations internationales que plus tard, dans le cadre de mes activités en tant que fondateur en France, en 1994, d’une association de dialogue entre les peuples juifs et les peuples africains dénommée JAC. Ainsi qu’une revue qui était censée recueillir les pensées et les conférences que l’association organisait. Personnellement, je ne suis pas surpris. Puis, pendant la campagne électorale américaine, les seuls dirigeants qui soutenaient Donald Trump, dans le monde, c’était l’actuel establishment israélien dominé par la droite ultra nationaliste, et les Israéliens étaient les seuls à dire, concernant le nombre de sondeurs à l’époque, que la victoire électorale de Trump était inéluctable. Mais pour les Israéliens, c’était leur choix que Trump soit élu, puisque ce dernier avait dans son entourage un certain nombre de personnalités américaines d’origine juive et une de ses filles se serait même-elle convertie au judaïsme orthodoxe et serait ultra- sioniste. Je ne suis pas donc surpris par cette décision, même si elle m’attriste énormément.

Peut-on considérer que Trump n’a fait que respecter une promesse électorale ?

Effectivement, on peut dire sur-le-champ qu’il n’a fait que respecter une promesse électorale puisque les politiciens, rarement, respectent leurs promesses électorales. En effet, à ce niveau, on peut dire qu’il y a une démarche cohérente. Cela dit, je pense que c’est une démarche qui ressemble à une politique du fait accompli à laquelle même Benjamin Netanyahu était un habitué, un abonné parmi les élites dirigeantes israéliennes. Sinon, Trump pouvait s’inspirer de l’histoire de la diplomatie américaine où ce sont toujours les Etats-Unis qui ont été au cœur des différents accords entre Israéliens et Palestiniens. Je rappelle les accords de Camp David signés par Bedine et Sadate le 26 mars 1979, celui signé sous la direction de Carter et les accords d’Oslo signés en 1993 à Washington entre Isaac Rabin et Yasser Arafat sous la houlette du président Bill Clinton. Les Etats-Unis ont toujours été au cœur de la recherche d’une solution au conflit israélo-palestinien, conflit qui semble s’éterniser. Or, Trump, lui, de manière unilatérale, vient rompre avec toute cette tradition de la diplomatie américaine. Voilà pourquoi, je dis que c’est une décision qui ouvre des perspectives totalement ténébreuses, à la fois pour les Palestiniens et les Israéliens.

Quelles peuvent être les conséquences d’une telle décision ?

Dans l’immédiat, on va assister, dans les jours à venir, à une sorte de montée des tensions dans la région. Et je me demande si ce n’est pas fait à dessein, puisque c’est curieusement au moment où le Hamas et le Fatah ont décidé de faire leur unité de telle sorte à pouvoir parler d’une seule voix lors des négociations à venir, que Donald Trump décide de prendre une telle décision. Je pense que cette décision va ressouder le camp palestinien, parce que la question de Jérusalem est une question symbolique très forte pour les Arabes et les musulmans. Et la question n’est même plus réservée aux Palestiniens ; elle est carrément une question qui deviendra religieuse, puisque Jérusalem est la ville des trois religions monothéistes. On va mondialiser le conflit qui aurait dû être circonscrit, parce que la dimension religieuse va rentrer en ligne de compte au détriment du projet de faire de Jérusalem la capitale des deux Etats, israélien et palestinien. L’Amérique est complètement disqualifiée dans la recherche de solution au conflit israélo-palestinien. Mais en même temps, sans les Américains, aucune solution ne peut être trouvée dans ce conflit. On est vraiment dans une sorte de démarche un peu absurde et simple, mais j’espère que les Européens et les autres puissances dans le monde, notamment au sein du Conseil de sécurité, vont arriver à ramener effectivement Trump à la raison, parce que c’est une décision qui ne sera pas appliquée immédiatement ; c’est tout un processus qui peut prendre des années. Moi, j’espère qu’à un moment donné, le bon sens va habiter les dirigeants américains.

Est-ce qu’on peut considérer que Trump a délibérément décidé d’ouvrir le conflit ?

De mon point de vue, je pense qu’il y a eu une stratégie politicienne qui répond au désir de Donald Trump de se faire réélire prochainement. Pour l’instant, à l’intérieur, ses promesses électorales peinent à prendre corps. Et je me demande si, en accord avec la droite israélienne qui est ultra sioniste, Trump n’a pas prévu de provoquer un cataclysme dans la région et de manière à mettre en danger ce que nous défendons. Les Américains, sur la question israélienne, ont une lecture totalement biblique et religieuse sur l’avenir et le destin de cet Etat-là. Et c’est ce que souvent le monde n’arrive pas à comprendre. Je crains que derrière la décision de Trump, il n’y ait un calcul politicien, machiavélique et diabolique qui vise à créer des tensions, à provoquer un conflit et à bâtir un programme électoral dans l’unité de l’Amérique derrière lui, pour aller défendre l’armée israélienne.

Mais, dans le même temps, le président Trump a indiqué qu’il ne refermait pas la porte aux négociations. Y croyez-vous ?

Pourquoi prendre une telle décision sans aucune concertation avec les autres puissances impliquées dans la recherche d’une solution pacifique dans ce conflit et après dire qu’il n’est pas fermé au dialogue ? Je me demande quel est le but politique et diplomatique qu’il poursuit en prenant une telle décision unilatérale qui a pris de court, à la fois les Européens, les Russes et les Chinois. Personne ne pensait qu’il allait avoir le courage

d’aller plus loin. Lorsque cette décision sera rendue effective, il faudra qu’un front international se mobilise pour l’isoler dans sa démarche, de manière à l’obliger à revenir en arrière. Jérusalem, dans ma conception, doit être le symbole de la fraternité retrouvée entre les Israéliens et les Palestiniens, entre les Juifs et les Arabes et entre les juifs, les chrétiens et les musulmans.

Ne pensez-vous pas que Donald Trump a l’avantage d’être plus sincère que ses prédécesseurs sur ce sujet ?

Curieusement, Donald Trump est cohérent par rapport aux autres dirigeants américains qui ont été toujours issus du clan des démocrates. Tous les chefs d’Etat américains qui ont négocié et qui ont permis la signature d’accords entre Israéliens et Palestiniens, étaient tous issus du clan des démocrates. Trump, lui, est issu des Républicains et a choisi une autre option qui surprend tout le monde. Mais il est juste de reconnaître qu’il n’a fait que tenir et mettre en pratique une promesse de campagne. Je crois que du côté d’Israël, l’équipe qui gouverne actuellement est partisane de la théorie du « Grand Israël ». Et cela signifie la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël. Donc, d’un côté comme de l’autre, on s’achemine vers une démarche un peu particulière dont on ignore, pour le moment, la finalité.


Propos retranscrits par Welmann GUINGANE
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