L’Association le TOCSIN a commémoré ses 20 ans d’existence le 25 novembre 2017 à Ouagadougou. Le 30 novembre 2017, le président du Conseil d’administration du TOCSIN, Seydou Ouédraogo, nous a accordé une interview dans laquelle il revient sur les échecs et victoires de l’Association ainsi que les perspectives pour l’année 2018 pour une Association qui compte un peu plus de 400 membres, d’après les chiffres des registres.
Le Pays : Sous quel signe placez-vous les 20 ans du TOCSIN ?
Seydou Ouédraogo : Après 20 ans, c’est l’âge de la maturité. Il faut faire le bilan et ressortir les faiblesses et les forces pour relancer la machine du TOCSIN après toutes les secousses que nous avons enregistrées. Donc, c’est pour dresser de meilleures perspectives et nous sommes là-dessus.
Quel bilan faites-vous de l’action du TOCSIN, 20 ans après sa création ?
Le TOCSIN a quand même marqué le paysage national et associatif. Aujourd’hui, très peu de personnes diront qu’elles ne connaissent pas le TOCSIN, surtout nos compatriotes de la diaspora. Notre combat était le vote des compatriotes de l’extérieur. Certains pays permettent à leurs ressortissants de voter sur place au Burkina. Nous qui sommes un pays d’émigration, nous avons beaucoup de compatriotes à l’extérieur, qui n’ont pas le droit de vote alors qu’ils ont toujours cherché à garder le lien avec la mère-patrie. Lorsqu’on demande aux fils et filles de la patrie de se prononcer sur un choix, ceux de l’extérieur sont exclus. Cela n’est pas normal et c’est le premier combat du TOCSIN. Nous avons travaillé dans le domaine des droits des migrants. Nous avons fait une quinzaine de caravanes dans les pays voisins, avons rencontré nos compatriotes et les autorités des pays d’accueil pour échanger sur les préoccupations de nos compatriotes. Nous avons aussi œuvré dans le domaine humanitaire, la défense des droits des migrants et le vote de la diaspora. Nous avons pu faire le bilan après 20 ans, pour voir ce qui a marché et ce qui ne l’a pas été et voir comment dynamiser l’association. Le bilan est satisfaisant certes, mais il y a un réel travail de dynamisation à faire et nous n’allons pas dormir sur nos lauriers.
Quelles ont été vos principales victoires ?
La première, c’est le fait que tout le monde a accepté le vote de la diaspora, même si cela n’est pas encore effectif. Même l’ex-président Blaise Compaoré, lorsque nous avons évoqué le sujet pour la première fois, avait plaisanté en nous posant cette question : « Si grâce à ce vote, le président du Faso est élu, sera-t-il élu président des Burkinabè de l’intérieur ou de l’extérieur ? » Nous n’allons pas bomber le torse pour dire ce qu’on a pu faire, mais on peut dire que c’est grâce à nos actions qu’un consulat a été créé au Niger.
Quels ont été vos principaux échecs ?
C’est ce qui est arrivé avec le Pr Albert Ouédraogo et qui ne devrait pas arriver. Notre ambition était de couvrir tout le territoire avec des sections, mais nos moyens très limités ne l’ont pas permis. De l’extérieur, les gens croient que le TOCSIN est une grosse citadelle où il y a plein d’argent à manipuler, alors que nous ne vivons que de nos cotisations. Nous avons des sponsors pour des actions ponctuelles bien précises.
Quel est le spectre du TOCSIN aujourd’hui en termes de géographie et d’action ?
En plus de Ouagadougou où est implanté le siège, nous avons des sections à Bobo, à Ouahigouya et à Banfora. Ces sections étaient animées par des fonctionnaires sur place. Dès que ceux-ci quittent, s’il n’y a pas de relais, les choses sont bloquées. Aujourd’hui, il n’y a que la section de Bobo qui marche plus ou moins bien et un peu aussi Banfora, mais Ouahigouya est presque mort. Dans le cadre de nos réflexions, il s’agira de voir comment dynamiser ces sections. Nous envisageons d’ouvrir une section à Tenkodogo. Pour une association qui fonctionne sur ses propres fonds, ce n’est pas facile.
D’aucuns pensent que depuis le départ du Pr Albert Ouédraogo, le TOCSIN ne sonne plus. Qu’en dites-vous ?
Si le TOCSIN ne sonnait plus, on n’allait même pas célébrer le 20e anniversaire. Peut-être que Albert Ouédraogo, à l’époque, en tant que professeur d’Université et professeur de lettres, avait un certain verbe et se faisait voir partout. Sinon, le TOCSIN est là et travaille dans la discrétion, pour que les choses marchent assez bien. Et la preuve, l’association a poursuivi sa lutte pour le vote de la diaspora, si bien que le 22 février 2016, le Chef de l’Etat nous a reçus.
C’est déplorable qu’il ne soit pas venu
Il n’a pas été aperçu le 25 novembre dernier à la commémoration des 20 ans du TOCSIN. Pourquoi ?
Nous l’avons invité à cette commémoration. Que l’invitation ne lui soit pas parvenue, cela, je ne peux pas l’attester. C’est déplorable qu’il ne soit pas venu. Sinon, il aurait été le bienvenu. S’il n’est pas venu, je ne saurais en donner les raisons. Pour nous, il reste un ancien camarade avec qui les relations humaines demeurent.
Quels rapports entretenez-vous avec le Professeur Albert Ouédraogo ?
Nos rapports sont bons. Personnellement, il n’y a pas d’animosité entre lui et moi. La preuve, c’est que récemment, nous étions à l’assemblée générale des OSC à Koudougou. On a bien causé, on s’est salué. C’est vrai qu’il y a eu des incompréhensions entre nous à un certain moment, mais cela ne doit pas nous amener à saper toutes les relations qu’il y a entre nous. On était d’abord des camarades, des copains, des amis avant la création du TOCSIN.
De quelles incompréhensions parlez-vous ?
Le TOCSIN mène la lutte pour le vote de la diaspora depuis 2005. Les autorités, en son temps, n’étaient pas pour, parce que ce n’était pas très clair. Cela a été accepté ensuite, et une loi le consacre et on avait cru qu’en 2010, cela allait se concrétiser. Ce ne fut pas le cas et manifestement, il a été difficile d’organiser le vote de la diaspora en 2015. Nous avons dit qu’il fallait prendre toutes les dispositions pour que le vote de la diaspora soit effectif en 2020. Voilà d’où est venue l’incompréhension entre Albert et nous. Pour lui, nous avons capitulé parce qu’il souhaitait que la diaspora fasse du bruit devant les ambassades. Il a même fait un écrit qui est passé dans la presse sans que nous ne soyons au courant. A l’époque, à l’audience avec le Secrétaire permanent du Conseil supérieur des Burkinabè de l’étranger, la question de cet écrit a été abordée et, devant le fait accompli, nous nous sommes confondus en excuses tout en avouant que le TOCSIN n’en était pas l’auteur. Après cette audience, nous avons immédiatement alerté le bureau exécutif pour demander une réunion urgente. On a rencontré la presse après, pour faire comprendre notre position, et c’est de là que remonte notre incompréhension avec Pr Albert Ouédraogo.
Faut-il être de la diaspora pour être membre du TOCSIN ?
Voilà ! ça, c’est la meilleure des questions, depuis ce matin. Beaucoup pensent ainsi. Mais, toute personne est ou peut être membre du TOCSIN, qu’elle soit Burkinabè ou pas ! Aucune personne, Burkinabè ou pas, ne peut dire qu’elle n’a pas un parent hors de son pays de résidence. Cela signifie que vous êtes d’office membre ou sympathisant du TOCSIN. Donc, c’est archifaux de dire qu’il faut être de la diaspora pour être membre du TOCSIN. Nous avons même des Européens, des Canadiens qui étaient membres du TOCSIN. Toutes les réunions que nous organisons chaque mardi après 18h à notre siège, sont ouvertes au public.
Quel est l’impact des actions du TOCSIN sur les conditions de vie et de travail de la diaspora à l’intérieur et à l’extérieur du Burkina ?
Il faut dire que c’est le soutien apporté aux personnes en détresse. Nous sommes membres du CCNOSC, membre du Réseau Ouest africain d’édification de la paix. Le plus grand impact, c’est d’amener les Burkinabè de la diaspora à vraiment penser au pays. Puisqu’ils ne comprennent pas certaines situations. La dernière fois, quand nous sommes sortis, il y en a qui pensaient même que nous étions des envoyés du gouvernement, venus pour expliquer certaines situations, et nous avons dit « non ! » En tant qu’OSC, s’il y a des actions qui peuvent améliorer la situation au pays, nous le disons et s’il y a aussi des préoccupations, nous les relevons. La carte consulaire, au début, avait une durée de validité de 3 ans par exemple. Nous avons protesté en son temps et Djibrill Bassolé a fait monter la durée de validité de ladite carte à 5 ans. La bataille que nous n’avons pas encore remportée, c’est le prix de la carte consulaire que nous trouvons élevé. Les Burkinabè de l’intérieur et de l’extérieur ont les mêmes droits. Si nous faisons des cartes d’identité nationales à 500 F CFA ou 2500 F CFA, il n’y a pas de raison qu’on fasse payer 6 000 F CFA à un Burkinabè de la diaspora pour l’obtention de la carte consulaire. Il faut que ce soit le même tarif pour nos compatriotes de la diaspora. Dans le cadre du vote de 2020, il est question de refaire les cartes consulaires qui peuvent servir pour le vote. C’est une autre paire de manches. Il ne faut pas penser que les Burkinabè de l’extérieur sont riches. Nous avons des parents de la diaspora dans des localités reculées, qui sont très pauvres. Si vous demandez à un père de famille de 10 enfants de payer 6 000 F CFA par enfant pour s’adjuger la carte, c’est compliqué voire impossible.
Comment le TOCSIN est-il financé ?
Vous faites bien de poser cette question. Après sa création en 1997, le TOCSIN a été reconnu Association d’utilité publique par décret. Avec cela, nous avions cru que nous allions avoir quelques petits subsides, des subventions en l’occurrence, comme d’autres structures que nous connaissons. Mais, jusqu’au moment où je vous parle, nous n’avons rien reçu de l’Etat. Même le siège que nous avons, nous le payons sur nos propres fonds.
D’aucuns pensent que votre structure est politisée. Si tel est le cas, pour qui roule le TOCSIN ?
Le TOCSIN a une organisation hiérarchisée. On a d’abord l’AG du TOCSIN qui regroupe toutes les sections, le bureau exécutif et tous les membres. C’est elle qui donne l’ordre de prendre les grandes décisions. Le Conseil d’administration est un organe d’orientation composé de personnes d’expérience, qui connaissent la philosophie du TOCSIN, et s’assurent qu’il va dans ce sens. L’une de ses actions, c’est d’éviter que le TOCSIN ne tombe dans le piège politique. Par exemple, le TOCSIN ne doit pas prendre position pour un parti politique et tous ceux qui viennent au TOCSIN, doivent laisser leur manteau politique à la porte. A sa création, le pouvoir, à l’époque, disait que le TOCSIN était une création de l’opposition, et quand on égratigne un peu l’opposition, cette dernière dit que nous sommes une création du pouvoir. Il y a des aspects qui ont failli nous amener vers la politique, mais il faut dire que les membres ont su résister, notamment au moment où on parlait de l’article 37, de la mise en place du sénat, etc. C’est même cela qui a créé une certaine rupture entre les membres du TOCSIN. Le TOCSIN est apolitique. La preuve est que lorsque Pr Albert Ouédraogo, en son temps, a été nommé ministre, nous lui avons demandé de démissionner de son poste de président du TOCSIN par écrit. C’est quand il a quitté le gouvernement qu’on l’a nommé PCA jusqu’à ce que la question du vote de la diaspora crée un clash entre nous ; ce qui a amené Albert à quitter le TOCSIN.
Le TOCSIN a-t-il encore sa raison d’être aujourd’hui ?
Oui, nous pensons que le TOCSIN a sa raison d’être jusqu’au jour où nos compatriotes n’auront plus de problèmes à l’extérieur. Et parfois, nous devrons servir d’interface entre Burkinabè de l’intérieur et ceux de l’extérieur, de sentinelle du bien-être ou du mal-être entre les Burkinabè de la diaspora et ceux de l’intérieur.
Quel rôle le TOCSIN envisage-t-il de jouer dans la perspective de la participation de la diaspora aux élections de 2020 au Burkina ?
2020 se prépare aujourd’hui. Et il faut travailler à amener les autorités à rendre disponibles et fonctionnels (le moment venu) les bureaux de vote au-delà des consulats, vu le nombre important de nos compatriotes. Cela, pour ne pas les confiner (à voter) dans les consulats. En Côte d’Ivoire où on a le plus de Burkinabè de la diaspora, on a 2 consulats pour le moment, à savoir celui de Soubré qui est en perspective et celui d’Abidjan. Notre combat, c’est de faire en sorte que nos compatriotes ne soient pas perdus. Dans certains pays d’émigration comme le nôtre, l’argent que la diaspora fait rentrer au pays est supérieur à l’aide publique au développement. C’est de l’ordre de 900 000 000 000 de F CFA pour certains pays. Pour le Burkina, c’est 90 000 000 000 de F CFA et c’est très insuffisant. C’est dire qu’il y a tout un travail à faire. Pour nous, l’année 2018 est une année où tout doit démarrer. Dans les jours à venir, nous aurons une rencontre avec la CENI. Le président du bureau exécutif du TOCSIN a dû rencontrer le président de la CENI, hier, à cet effet. En tout cas, nous ferons en sorte que les autorités démarrent les préparatifs en 2018, pour que soit effectif le vote de la diaspora en 2020.
Quelles sont désormais les perspectives du TOCSIN ?
Notre première action urgente, c’est de travailler à rendre effectif le vote des Burkinabè de la diaspora. Les autorités le disent, certes, mais il ne faut pas baisser la garde. Les autres peuvent suivre. Nous voulons d’ici là avoir la Maison de la diaspora, puisque beaucoup de nos compatriotes qui arrivent au pays, ne savent pas où aller. Nous avons besoin de partenaires pour nous aider à mettre en place cette Maison. Il y a le renforcement des bases du TOCSIN, avec la dynamisation des sections et la création d’autres sections dans d’autres zones du pays. Nous avons revu nos textes et nous aurons dans les différents pays, des « points focaux » qui pourront nous remonter les informations ou certaines préoccupations. Il y a la mise à jour de notre site web qui permettra de donner plus de visibilité à notre structure.
Propos recueillis par
Lonsani SANOGO