Comme attendu, le président français, Emmanuel Macron, a tenu, le mardi 28 novembre à l’Université Ouaga I Pr Joseph Ki-Zerbo, son discours sur l’Afrique devant un millier d’étudiants, dans une ambiance à la fois contractée et conviviale. Dans ce discours dit de Ouagadougou qu’il ne prétend pas être la politique africaine de la France, le président Macron a déroulé ses orientations sur la coopération, l’éducation, la lutte contre le terrorisme, l’immigration, la démographie et la démocratie. Et sans occulter les sujets sensibles actuels et qui ravivent les tensions au sein de la population africaine : les « crimes de la colonisation », le Franc CFA, l’esclavage en Libye ou encore l’assassinat de Thomas Sankara.
10 ans après le discours d’un certain Nicolas Sarkozy dans un amphi de Dakar et dont le contenu a été dévastateur et qui a renforcé le ressentiment de la présence française sur le continent avec ce bout de phrase : «l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire », Emmanuel Macron tient un discours à l’opposé tout en tentant de gommer les clichés et préjugés qui ont longtemps marqué les relations entre la France et des Etats africains. Mais avant que le président français ne se présente devant eux pour dévoiler le contenu de son Discours de Ouagadougou, ses interlocuteurs directs, c’est-à-dire le millier d’étudiants venus des universités publiques et privées du Burkina réunis dans les amphis baptisés Union africaine et Syrte, gracieusement offerts par Mouammar Kadhafi, semblaient tellement impatients qu’ils y scandaient des slogans ‘’à bas l’impérialisme !’’, rappelant le temps où le père de la Révolution burkinabè, Thomas Sankara, combattait l’assujettissement des Africains par les ex-colonies. C’est dire que l’ambiance était par moments électrique au point que les présidents d’universités du Burkina, par la voix de Stanislas Ouaro, ont dû leur lancer un message d’apaisement en leur demandant de rester calmes en attendant d’avoir connaissance d’abord du discours de l’hôte français avant toute manifestation d’humeur. Message reçu ! La tension baisse. L’horloge affichait 9h 30. Des étudiants se sont même entre-temps assoupis. Mais à peine une dizaine de minutes qu’une voix stridente du fond de la salle fait relancer le brouhaha. On scande encore : « l’impérialisme, à bas ! ». De quoi inquiéter des officiels français notamment composés des membres du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) et des élus qui venaient à peine de prendre place. Ça devise un peu de l’ambiance dans laquelle le président Macron et son homologue Roch Marc Christian Kaboré pourraient être accueillis.
10h 58 ! On annonce l’arrivée des deux chefs d’Etat. Ils sont plutôt accueillis par une standing ovation. L’honneur est revenu à Rabiou Cissé de faire une brève présentation de l’Université Ouaga I Joseph Ki-Zerbo dont il est le président et qui « accueille environ 70 000 étudiants » de diverses nationalités. Il est 11h 03, lorsque le président Emmanuel Macron s’est levé pour son adresse solennelle. Et ce, encore sous des applaudissements nourris. Tout de go, il tente de conquérir son auditoire avec une formule choc empruntée à l’icône de la jeunesse africaine, Thomas Sankara : « oser inventer l’avenir ». Puis, il précise qu’il « n’est pas venu pour définir la politique africaine de la France ». Selon lui, « il n’y a plus de politique africaine de la France ». Cela dit, et tout en insistant que la France n’a pas de leçon à donner à qui que ce soit, il s’est attaqué aux sujets sensibles dont ceux qui ravivent les tensions au sein de la jeunesse africaine comme l’esclavage en Libye, la démographie, les « crimes de la colonisation », l’assassinat de Thomas Sankara ou encore le Franc CFA.
Des « crimes incontestables de la colonisation »
Abordant les paradigmes des relations franco-africaines, Emmanuel Macron ne s’est pas empêché de faire savoir que par le passé, « il y a eu des fautes et des crimes, de grandes choses et des histoires heureuses », tout en reconnaissant que « les crimes de la colonisation européenne sont incontestables ». Mais pour lui, « c’est un passé qui doit passer ». Et étant lui-même d’une génération qui n’a pas connu la colonisation comme les 70% de la population africaine, il estime que dorénavant, entre l’Afrique et l’Europe, « ce n’est pas simplement un dialogue franco-africain que nous devons reconstruire ensemble, mais bien un projet entre nos deux continents, une relation nouvelle repensée à la bonne échelle ».
L’esclavage en Libye, « un crime contre l’humanité »
Aux yeux du président français, l’immigration est un des grands défis auxquels l’Afrique et l’Europe doivent faire face. Et en qualifiant la situation qui prévaut en Libye de « crime contre l’humanité », il a promis de « mettre fin à cette tragédie que j’appelle les routes de la nécessité, le pire désastre de notre histoire partagée, il faut le nommer pour agir avec force ». Ainsi, il a proposé la création d’une « initiative euro-africaine pour frapper les organisations criminelles et les réseaux de passeurs qui exploitent les migrants subsahariens en Libye ». Selon lui, même les Européens qui profitent de l’immigration clandestine, ne seront pas épargnés par les représailles. Dans le même registre, il a annoncé un certain nombre de mesures comme par exemple l’aide au retour des migrants dans leurs pays d’origine en collaboration avec l’Organisation internationale de la migration (OIM). Interpellé par une étudiante sur la responsabilité de la France d’avoir « jalousement éliminé Kadhafi » lors de la séance des questions-réponses à la fin de son discours, Emmanuel Macron a d’abord souligné qu’il n’aurait pas engagé la France dans la guerre en Libye, avant de pester en ces termes : « Qui sont les trafiquants ? Ce sont les Africains mon amie. Arrêtez de dire que le problème c’est l’autre. Présentez-moi un passeur belge, français, allemand ou que sais-je encore. Vous n’en trouverez pas».
« Nous recevons plus de soldats français que de visas étudiants »
Après l’immigration, le chef de l’Etat a déroulé sa détermination dans la lutte contre le terrorisme. Tout en rappelant les efforts déployés par son prédécesseur, François Hollande qui a fait intervenir l’armée française pour stopper l’avancée des terroristes dans le Nord-Mali en 2013, le président Macron a réaffirmé l’engagement de la France aux côtes des pays africains, notamment ceux du G5 Sahel, dans le combat contre le terrorisme. C’est ce qui l’amène à se mettre en première ligne pour rechercher les financements en vue de l’opérationnalisation de la force conjointe du G5 Sahel dont il a souhaité que les premières victoires soient visibles dans les prochaines semaines, car « elles sont indispensables pour vos populations et vos armées », a-t-il martelé. Mais, il n’en fallait pas plus pour que Macron voie rouge lorsqu’un étudiant a dit s’inquiéter de constater que « nous recevons plus de soldats français que de visas étudiants ». Réponse du berger à la bergère : « C’est comme ça que vous parlez des soldats français ? Vous ne leur devez qu’une chose aux soldats français : les applaudir !»
Désormais des visas « de circulation de plus longue durée » et une Maison de la jeunesse africaine
Sur la question de la mobilité et de la coopération, le président français a fait savoir qu’il faut avant tout « repenser nos liens et la circulation des femmes et des hommes entre nos continents ». La mobilité étant pour lui un grand défi à relever, il dit être en train de faire en sorte que « tous ceux qui sont diplômés en France puissent y revenir quand ils le souhaitent grâce à des visas de circulation de plus longue durée ». Il a souhaité également le renforcement de la coopération universitaire, avec la possibilité des doubles diplômes à travers la disponibilité des programmes de formation en ligne par exemple. Dans la même lancée, la France entend construire, d’ici au 14 juillet 2018 à Ouagadougou, « une Maison de la jeunesse africaine » qui devrait permettre les échanges interuniversitaires et offrir des formations en start-up.
La déclassification des archives sur l’assassinat de Thomas Sankara, la démographie, le Franc CFA… autant de préoccupations de la jeunesse
Sur le premier sujet, Macron a été plus que clair : « Les archives sont aujourd’hui disponibles et ouvertes à la Justice burkinabè, sauf pour les documents classifiés et couverts par le secret-défense. J’ai pris un engagement clair et je viens de le dire au président Kaboré : ces documents seront déclassifiés pour la Justice burkinabè qui aura accès à tous les documents sur l’affaire Sankara ».
Concernant la démographie, tout en regrettant son adjectif de « civilisationnel » employé lors d’un sommet en Allemagne pour parler de la démographie galopante en Afrique, il a fait savoir que c’est un défi « que nous ne pouvons pas éluder». « Quand vous avez une croissance démographique durablement supérieure à la croissance économique, vous n’arrivez jamais à lutter contre la pauvreté ». Il a par ailleurs plaidé pour l’émancipation des Africaines, tout en martelant que « je serai aux côtés des dirigeants africains qui feront le choix de la scolarisation obligatoire des jeunes filles », puis il a ajouté qu’il souhaitait que « des programmes de bourses scolaires financés par la France soient donnés en priorité à des jeunes filles ».
Par rapport à la polémique sur le Franc CFA, Emmanuel Macron n’est pas allé avec le dos de la cuillère pour répondre à un des étudiants qui a évoqué « le rapatriement des réserves d’or du Trésor français et qui servent de fonds de garantie » en ces termes : « Il ne faut pas avoir une approche bêtement anti-impérialiste, la France ne détient aucune réserve d’or d’aucun pays africain. Mais je sais que les réserves, ça donne de la stabilité monétaire ». Puis il laisse entendre qu’il appartient aux dirigeants des pays de la zone Franc, de décider du sort de cette monnaie communautaire. Et il prend un exemple assez éloquent : « Si le président Kaboré veut sortir de la zone Franc, il peut le faire quand il veut ».
Drissa TRAORE