Aujourd’hui, 27 novembre 2017, « le grand chef des Blancs », pour emprunter l’expression de l’écrivain camerounais Ferdinand Oyono dans « Le vieux nègre et la médaille », entame à Ouagadougou une visite officielle de 72 heures. Pour un évènement historique, c’en est un. Car, cela fait 31 ans qu’un chef d’Etat français n’a pas foulé le sol de Ouagadougou, dans le cadre d’une visite officielle. La dernière visite officielle remonte au 17 novembre 1986. L’occupant du palais de l’Elysée n’était autre que l’homme qui s’était rendu célèbre par son discours mémorable sur la démocratie, tenu à la Baule, c’est-à-dire François Mitterrand. Son interlocuteur, on se rappelle comme si c’était hier, était le jeune révolutionnaire Thomas Sankara dont une des caractéristiques était qu’il était friand de tirades iconoclastes et franchement dérangeantes. Le vieux Mitterrand en avait d’ailleurs pris pour son grade. Trente- un ans après, les acteurs et le contexte ont changé.
Le Burkina revient de loin
Côté français, c’est le jeune Emmanuel Macron qui est aux affaires de « nos ancêtres les Gaulois » et côté burkinabè, c’est le premier civil issu de la première alternance véritablement démocratique, qui tient les manettes du pays et cela, après une insurrection populaire historique qui a conduit à la chute du président Blaise Compaoré et une transition politique à bien des égards mouvementée. Le Burkina revient donc de très loin. De ce point de vue, la visite officielle que lui rend le premier des Français, de surcroît la première du genre en Afrique depuis que Macron a déposé ses valises à l’Elysée, peut être décryptée comme une prime à la démocratie. En tout cas, l’on peut se risquer à dire que c’est un honneur fait au pays des Hommes intègres. Et celui d’entre eux qui doit le plus se frotter les mains, c’est sans conteste le président Roch Marc Christian Kaboré ; lui qui, depuis son élection, n’a pas eu le moindre répit du fait non seulement des tirs groupés de l’opposition politique, mais aussi de bien des organisations de la société civile. A propos justement de la visite de Macron, des organisations de la société civile et pas des moindres, ont leur lecture bien à elles et entendent, de ce fait, manifester contre ce qu’elles appellent le « pillage » des ressources naturelles par les multinationales, notamment françaises, présentées comme « impérialistes ». Ces organisations sont également vent debout contre la présence militaire française au Burkina et contre le maintien du franc CFA. Et le démocrate qu’est Emmanuel Macron, ne doit pas s’en offusquer outre mesure car c’est le signe qu’au Burkina, il y a une opinion qui sait, par moments, se montrer très critique. Et c’est cette posture qui n’a pas permis à Blaise Compaoré de régner à vie sur le Burkina. Cette lecture au second degré des évènements est, peut-on dire, une des marques déposées du pays des Hommes intègres et n’a jamais fait défaut, depuis que le Burkina a accédé à l’indépendance. Et le sanctuaire de cette pensée critique a toujours été l’université. Et si Emmanuel Macron a choisi ce cadre pour s’adresser à la jeunesse africaine, il ne doit pas s’offusquer de voir sur quelques pancartes, des slogans stigmatisant la politique française de l’Afrique en général, et du Burkina en particulier. C’est cela aussi, une des richesses du Burkina. Et même si Emmanuel Macron n’est pas de la génération de mai 68 dont l’un des slogans phares était « il est interdit d’interdire », il est censé comprendre qu’une frange de la population burkinabè, même si elle est mineure, veuille perturber son séjour au Burkina. Car, cette frange a lu les écrivains du siècle des Lumières et s’est nourrie des idées révolutionnaires développées par Marx, Lénine et dans une certaine mesure Thomas Sankara. Et ce qui complique davantage les choses pour Macron, c’est que certains Burkinabè ne décolèrent toujours pas sur la manière dont la France a organisé l’exfiltration de Blaise Compaoré. D’autres piaffent d’impatience de voir la Justice française livrer le présumé commanditaire de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, c’est-à-dire François Compaoré, au Burkina. D’autres Burkinabè encore pensent à tort ou à raison, que la France est derrière le meurtre de Thomas Sankara. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le grand chef des Blancs est attendu sur plusieurs dossiers. Sans oublier qu’ils sont nombreux, les Burkinabè qui croient dur comme fer que la pauvreté de leur pays est en partie imputable à la France qui aurait substitué à la colonisation, une néocolonisation via la classe politique. Et ce dernier grief porté contre la France n’est pas seulement le fait des Burkinabè. Il est aussi porté par l’ensemble de la jeunesse africaine.
Les Burkinabè doivent réserver à Macron un accueil digne de son rang
De ce point de vue, l’on peut se poser la question de savoir si le jeune Macron, via le discours qu’il va prononcer à l’université de Ouagadougou, va faire dans la rupture au point de faire rêver la jeunesse africaine. Il faut l’espérer. Car, l’Afrique est en train d’accoucher de plus en plus d’une jeunesse avertie, qui pense à juste titre qu’elle a droit à une éducation de qualité, qui débouche sur des emplois décents. Elle pense par ailleurs que ses dirigeants ont abdiqué face à ses préoccupations, en complicité avec la France. Il appartient donc à Emmanuel Macron de les rassurer. Il ne faut surtout pas qu’il se donne l’outrecuidance de prononcer un discours condescendant sur fond de poncifs, comme l’avait fait l’un de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy, à Dakar. Il doit se garder également de ramener les malheurs de l’Afrique au taux de fécondité jugé excessif des femmes de ce continent. Bref, Emmanuel Macron doit soupeser tous ses mots avant de les prononcer. Il doit d’autant plus le faire qu’il marche sur des œufs et que la période où l’idée selon laquelle « ventre plein, Nègre content » était de mise, est révolue. Pour revenir au cas spécifique du Burkina, Macron doit peser de tout son poids pour véritablement aider le Burkina à sortir la tête de l’eau. Car, le Burkina a l’avantage d’avoir un peuple courageux, qui ne rechigne pas au travail. Un des défis que la France doit l’aider à révéler, est celui que lui imposent les terroristes. Un autre défi est celui de l’énergie. A ce propos, l’on peut déjà saluer, à sa juste valeur, la mise en place de la Centrale solaire de Zagtouli dont la réalisation a été rendue possible grâce à la France. En tout cas, les deux peuples, français et burkinabè, ont besoin de cheminer ensemble dans le respect mutuel, pour le bien des deux pays. Et c’est pour cette raison que les Burkinabè, tout en se montrant critiques sur la visite de Macron, doivent lui réserver un accueil digne de son rang.