Dans cette lettre ouverte, la coalition Ditanyè, qui regroupe plusieurs mouvements et associations de la société civile, interpelle le président français Emmanuel Macron sur des dossiers qui font l’actualité au Burkina Faso et en Afrique.
«Monsieur le Président, le peuple français a choisi de vous hisser à la magistrature suprême en mai 2017. Six mois après, vous avez décidé de fouler le sol de Ouagadougou, la capitale du pays des « hommes intègres ». Comment ne pas saluer et remercier tous ceux qui viennent au Burkina Faso pour entendre, voir et surtout témoigner des vertus de notre peuple mais aussi de tout peuple qui décide de prendre son destin en main ? Ici, sur la terre libre du Burkina Faso, le peuple a décidé de ne plus subir son destin, mais de l’assumer et de le chérir à jamais. L’historique insurrection populaire d’Octobre 2014 a constitué pour notre peuple une étape qualitative nouvelle dans sa marche en avant pour la liberté et la dignité.
Monsieur le Président, la France a une histoire commune avec l’Afrique, vieille de plusieurs siècles. Il est temps de solder le passif afin de permettre à nos deux peuples des relations saines et dépassionnées. En effet, de nombreux africains de l’espace francophone ont le sentiment que des faits historiques comme la colonisation, le néocolonialisme avec son corollaire la françafrique expliquent la condition actuelle de leurs Etats qui est faite de souffrances des peuples au niveau socio-économique et d’une gouvernance politique loin d’être au service des citoyens.
Les relations de nos Etats avec la France ou plus précisément les relations des dirigeants de nos Etats et des dirigeants français ont longtemps permis à des individus de s’éterniser au pouvoir, de faire de la prédation des ressources publiques et la patrimonialisation du pouvoir des modes de gestion de l’Etat. Tout cela, bien souvent avec la bénédiction des réseaux de la françafrique. Cette réalité a constitué et constitue encore un frein à la démocratisation réelle de nos pays. Dire cela n’est pas renier la part de responsabilité des Africains dans la marche de leur histoire.
Mais c’est mettre en lumière une vérité historique qui doit être assumée avec courage, de sorte que l’on ouvre une nouvelle ère des relations entre nos pays et la France. Relations fondées sur le respect mutuel et un partenariat où aucune des parties n’est lésée, voire humiliée. Voilà pourquoi, au moment où nos peuples élèvent la voix contre les régimes autocratiques au Togo, au Burundi, au Tchad, au Congo Brazzaville, en République démocratique du Congo, au Cameroun, au Gabon, à Djibouti, … il est du devoir de ceux qui, comme la France, prétendent être nos alliés historiques, de se démarquer de ces régimes qui ont fini de prouver qu’ils ne sont pas là pour le bien-être des peuples. Nous voulons la fin du paternalisme qui étouffe les efforts de certains peuples pour se débarrasser des dictatures.
Monsieur le Président, la lutte contre l’impunité a constitué un des moteurs de l’insurrection populaire d’Octobre 2014 au Burkina Faso. Trois ans après cette victoire du peuple sur la dictature Compaoré, le peuple attend que justice lui soit rendue. A ce sujet, il est urgent que l’on se parle un langage de vérité, car de cela dépend l’harmonie de nos relations futures. Nous pensons ici à certains dossiers de justice parmi tant d’autres et dont le traitement est cher à notre peuple. Un des dossiers judiciaires qui constitue une tâche dans les relations entre le Burkina Faso et la France est le dossier Thomas Sankara.
Des informations collectées, il ressort des faisceaux d’indices sur une probable responsabilité de la France dans l’assassinat du Président Thomas Sankara. Pour lever tout doute, le juge en charge du dossier a demandé une commission rogatoire à la justice française et l’ouverture des archives sur la période Sankara. Le temps passe et la France se mure dans un silence assourdissant. Devons-nous comprendre que la France « si belle et si propre », pays des droits de l’Homme, a quelque chose à se reprocher dans cet horrible assassinat ? Une fois de plus, le peuple burkinabè s’impatiente de voir une franche collaboration des autorités politiques et judiciaires françaises pour permettre d’élucider l’un des crimes politiques les plus effroyables du siècle passé.
Monsieur le Président, à l’instar de la Belgique sur le dossier Lumumba, il est nécessaire que la France ouvre enfin ses archives sur celui de Thomas Sankara ; afin que la vérité et la justice triomphent pour les générations présentes et futures. Cette France là n’en sortira que grandie, l’amitié et le partenariat s’accommodant mal de la suspicion.
Monsieur le Président, ce sentiment que la France constitue un frein à la justice est le même qui nous anime en ce qui concerne Monsieur François Compaoré. En tant que suspect sérieux dans l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, nous avons été tristes de constater que François Compaoré pouvait aller et venir en toute quiétude sur le territoire français. Il trouve d’ailleurs encore gîte et couvert en France. Il n’était aucunement inquiété jusqu’à une période très récente où il fut mis aux arrêts par la police des frontières françaises avant d’être remis en liberté conditionnelle.
L’extradition de monsieur François COMPAORE est pour nous une composante nécessaire à la bonne marche des relations franco-burkinabè. Nul n’ignore que pendant les évènements d’Octobre 2014, c’est l’armée française qui a exfiltré Blaise Compaoré et son frère cadet François Compaoré alors qu’ils avaient des comptes à rendre aux Burkinabè après 27 ans de gestion du pouvoir ponctuée par des crimes économiques et de sang. Les démocrates burkinabè souhaitent qu’il soit remis aux autorités judiciaires burkinabè afin qu’il puisse aider à élucider le dossier de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de ses trois compagnons d’infortune.
Toute manœuvre tendant à empêcher le triomphe de la vérité et la justice sur les dossiers sus-cités ne sera purement et simplement qu’une caution à l’impunité et l’histoire s’en rappellera.
Monsieur le président, vous avez un rôle historique à jouer ici. Un rôle qui est décisif et qui mettra les relations franco-burkinabè sur de possibles nouveaux rails.
Monsieur le Président, à propos de notre monnaie, le Franc CFA, vous savez bien qu’il est le legs d’une histoire coloniale. Elle a survécu à la décolonisation et même à la création d’une monnaie unique européenne.
Aujourd’hui, une bonne partie des réserves des États africains de l’espace CFA est déposée dans la Banque de France. Vous avez des compatriotes dans les conseils d’administration de nos deux banques centrales. Monsieur le Président, cette situation soulève toute l’incongruité du discours politique qui veut sonner la fin de la françafrique. La monnaie étant un signe d’indépendance, nous souhaitons enfin assumer notre indépendance. À quand la fin de cette domination monétaire ?
Monsieur le Président, la présence militaire française s’est renforcée ces dernières années avec la montée de l’extrémisme violent dans certaines régions du continent dont le sahel burkinabè. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, votre pays appuie les forces de défense et de sécurité burkinabè dans le cadre de la mise en place du G5 sahel. Nous sommes conscients que le terrorisme et le crime organisé constituent des menaces réelles pour nos Etats déjà fragiles. Ils constituent aussi une menace pour la paix internationale.
Voilà pourquoi, toute aide d’où qu’elle vienne, tant qu’elle est dépouillée de toute intention néo impérialiste est la bienvenue. Mais au-delà des efforts déployés pour la mise en place du G5 sahel, censé freiner la montée en puissance du terrorisme dans le sahel, ce G5 sahel en lui-même suscite des interrogations légitimes au niveau des opinions publiques dans nos pays ; et ces interrogations méritent d’être clarifiées. Cela d’autant plus que les instances régionales comme la CEDEAO étaient à pied d’œuvre pour travailler à endiguer le phénomène du terrorisme.
Le G5 sahel, en ne tenant pas compte de l’ensemble des pays de la CEDEAO, ne fragilise-t-il pas les efforts régionaux de lutte contre le terrorisme ? Les dynamiques continentales et régionales en cours en vue de consolider les Etats particuliers de la sous-région ne sont-elles pas là face à une concurrence qui risque de faire piétiner davantage l’intégration régionale, gage d’une paix durable dans la région ? Ces questions doivent être résolues et la dynamique du G5 sahel doit en tenir compte afin de ne pas constituer une solution éphémère pour les Etats du sahel et pour la sous-région ouest-africaine en général.
Monsieur le président, vu de l’Afrique et plus particulièrement de l’Afrique francophone, votre élection apparait comme le signe d’une nouvelle ère politique dans la vie du peuple français. Nous osons espérer que votre passage à la tête de la France marquera aussi une nouvelle étape dans la politique française vis-à-vis de l’Afrique en général et du Burkina Faso en particulier.
Vive l’amitié entre les peuples !
Gloire éternelle aux peuples en lutte pour leur dignité !
La patrie ou la mort, nous vaincrons !»
Pour la Coalition
Le Balai Citoyen, le Repère, la Génération Cheikh Anta Diop, la Génération Joseph Ki-Zerbo, Cadre deux Heures pour nous, deux Heure pour Kamita, le Mouvement des Sans Voix Burkina, la Ligue panafricaniste.