L’année 2017 qui s’achève n’a pas été de tout repos pour la Direction générale de contrôle des Opérations d’aménagements et de construction (DGC-OAC) au regard des chantiers qui poussent un peu partout au Burkina Faso et qui souvent, sont exécutés en violation des textes. Son directeur général, Claude Marcel Kyélem, dans cet entretien fait le bilan, parle de la réglementation en matière de construction et des défis majeurs à relever.
Sidwaya (S.) : Pouvez-vous nous décliner les missions de votre direction ?
Claude Marcel Kyélem (C.M.K.) : La direction générale du contrôle des opérations d’aménagement et construction qui existe depuis 2008 est comme son nom l’indique, chargée de contrôler tout ce qui se fait comme aménagement sur l’étendue du territoire et tout ce qui se construit comme bâtiment sur l’étendue du territoire. Donc c’est un rôle de contrôle que nous exerçons.
S. : Quelles sont les démarches à entreprendre avant toute opération de construction ?
C.M.K. : En matière de construction, il y’a une réglementation à respecter sur l’ensemble du territoire. Avant toute construction, le promoteur doit se munir d’un permis de construire. Le permis de construire est un document délivré par le maire de la commune quand il s’agit des particuliers. Il est délivré par le ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat quand il s’agit de bâtiment à caractère administratif. Ce permis est délivré après étude d’un dossier de demande que le promoteur aura déposé au niveau du Centre de facilitation des actes de construire (CEFAC).
S. : Est-ce que ces démarches sont respectées par les promoteurs?
C.M.K. : Il faut dire que le travail de sensibilisation qui est effectué depuis un moment est compris par beaucoup de promoteurs. En tous cas, pour certains cas, la procédure est véritablement respectée. Mais à l’analyse, il y’a encore des gens qui ne sont pas dans la dynamique mais que nous travaillons toujours à récupérer.
S. : En la matière, quelles sont les infractions que vous rencontrez sur le terrain ?
C.M.K. : En ce qui concerne les constructions, c’est essentiellement l’absence de permis de construire. Mais il y’a également l’absence de panneaux de chantier pour les quelques rares personnes qui peuvent nous montrer leur permis de construire alors que tout ça, ce sont des exigences qui sont quand même édictées par la démarche à construire au Burkina Faso.
S. : Votre rôle, c’est de sensibiliser et de contrôler le respect de la règlementation en vigueur, et dans ce cadre, vous avez effectuez des sorties-terrain. Faites-nous le bilan de vos opérations au cours de l’année 2017.
C.M.K. : Chaque jour que Dieu fait, nous sommes sur le terrain. Nous avons compétence sur l’ensemble du territoire et en ce qui concerne les régions, nous organisons des campagnes spéciales en relation avec nos directions régionales. Ces campagnes ont pour but de faire un contrôle étalé sur pratiquement une semaine dans l’optique de sensibiliser et de contrôler également les chantiers qui sont en cours d’exécution dans les différentes régions. En 2017, nous avons exécuté des contrôles dans les régions du Plateau central et du Centre-Sud. Le résultat naturellement est toujours mitigé parce que nous avons toujours l’impression que les procédures ne sont pas respectées, les gens ne suivent pas forcément les obligations à respecter avant toute construction ou tout aménagement. Donc on se rend compte qu’il y’a encore du pain sur la planche et nous n’aurons de cesse de continuer à sensibiliser et de contrôler les opérations d’aménagement et de construction sur l’ensemble du territoire.
S. : Combien de chantiers ont été arrêtés durant vos sorties ?
C.M.K. : Il faut dire que l’ensemble des chantiers qui n’ont pas pu justifier d’un permis de construire ont été arrêtés. Au niveau de Ziniaré par exemple, nous avons contrôlé 107 chantiers de construction et autour de 57 chantiers ont été arrêtés. Nous avons interpellé les promoteurs et nous leur avons demandé de régulariser leur situation et je crois qu’ils sont en train de le faire. Parmi ces chantiers arrêtés, il y’a des bâtiments de santé, des bâtiments pour les particuliers, des stations-services, etc. A Ouagadougou il y’a eu également des cas où nous avons procédé à l’arrêt des chantiers de construction. Il s’agit de constructions sur des espaces qui ne sont pas prévu, pour ça, notamment des constructions de lieux de culte sur des espaces verts et sur la base des procès-verbaux d’audition, nous avons invité les occupants à libérer ces espaces parce que ce n’est pas prévu pour ça.
S. : Justement est-ce que vous n’êtes pas souvent confronté à des incompréhensions de la part de ces personnes ?
C.M.K. : Naturellement il y’a des tensions. Ce qu’il faut relever, c’est que ceux qui construisent se disent qu’ils sont en train de faire des investissements, ils comprennent mal donc qu’on leur dise d’arrêter les chantiers parce qu’ils n’ont pas respecté la réglementation. Ils le vivent très mal. Nous avons toujours eu le courage nécessaire de leur parler de bout en bout, de leur expliquer qu’en réalité nous comprenons leur sentiment mais qu’ils devraient quand même respecter la réglementation car elle existe pour tout le monde. Donc nous arrêtons nécessairement le chantier quel que soit le plaidoyer du promoteur et nous demandons plutôt une régularisation. Nous sommes désolé parce que la régularisation n’est pas la meilleur forme mais dans la mesure où les promoteurs ont déjà engagé le chantier, nous ne pouvons que nous replier sur cette alternative mais nous pensons qu’en leur faisant cela, ils vont se conformer pour les prochains chantiers. Nous disons cela parce que généralement, ce sont toujours les mêmes qui sont sur les chantiers, non seulement les entrepreneurs mais également les professionnels dans le domaine ; donc du coup, si nous insistons sur un chantier, nous pensons que sur le prochain chantier, ils auront au moins ce réflexe d’avoir le meilleur comportement qui sied.
S. : Au-delà des arrêts de chantiers, est-ce qu’il y’a des sanctions fermes ?
C.M.K. : La loi portant code de l’urbanisme prévoit des sanctions comme toute bonne loi. Il y’a des sanctions pécuniaires comprises entre 200.000 et 2 000 000 de F CFA en fonction de la catégorie dont relève le bâtiment.
Par exemple pour la catégorie A, si vous entreprenez un chantier sans le permis, vous êtes amendé à 200.000 francs que vous devez payer à la régie. Pour les chantiers de catégorie B, vous êtes amendé pour 1 000 000 de francs et pour la catégorie C qui concerne les immeubles R+2, 3,4 en allant, si vous êtes pris en train d’exécuter sans permis, vous êtes amendé à 2 000 000 francs CFA. Pour certains cas, il y’a la peine de privation de liberté. C’est généralement les cas où l’exercice du contrôle est empêché par le promoteur, c’est-à-dire qu’on nous empêche de rentrer sur un chantier pour vérifier ou que nous demandons à vérifier des papiers et qu’on nous les refuse. Nous appelons cela une obstruction au contrôle et dans ce type de cas, il y’a la peine pécuniaire et aussi la peine privative de liberté.
S. : Il y’a aussi ceux qui après l’obtention d’un type de permis bien précis en change la destination. Qu’en dites-vous ?
C.M.K. : Vous demandez un papier pour faire quelque chose, et vous partez faire autre chose. Je ne sais pas dans quelle catégorie on peut placer une telle personne mais véritablement, il y’a infraction parce que vous êtes autorisé à faire ce que vous avez montré que vous voulez faire, on vous a donné l’autorisation pour cela et vous n’avez pas le droit de faire autre chose. Dans le cadre des constructions, après votre chantier il y’a le certificat de conformité que vous devez demander. Ainsi, l’autorité vérifie qu’effectivement entre ce que vous avez demandé et obtenu l’autorisation et ce que vous avez fait, il y’a conformité, avant de vous donner la permission de mise en consommation de votre bâtiment. C’est ce qui permet de se rendre compte de ces manquements et de sanctionner.
S. : Est-ce que les lenteurs administratives ne sont pas pour quelque chose dans le non-respect de la réglementation ?
C.M.K. : Oui, nous sommes souvent confrontés à ces situations. Nous avons des promoteurs qui nous font part effectivement de ces préoccupations et nous également à la vérification, nous nous rendons compte que ce n’est pas faux. Il y’a naturellement la délivrance d’un certain nombre de documents administratifs qui mettent malheureusement du temps et les promoteurs estiment ne pas vouloir attendre 6 à 7 mois pour avoir un bornage alors qu’en réalité, c’est une opération qui aurait pu s’effectuer en une semaine ou deux maximum. Mais pour pallier tout cela, nous avons la chance d’avoir le centre de facilitation des actes de construire qui a également été créé en 2008 et qui contribue justement à faciliter comme son nom l’indique, les choses pour les promoteurs. Il s’agit pour ce centre de négocier avec certains services techniques qui délivrent des documents dont on a besoin pour composer le dossier pour qu’ils accélèrent de manière à ce qu’on puisse dans le cadre de la facilitation ou de l’amélioration du climat des affaires au Burkina, réussir certaines choses dans des délais raisonnables. C’est pour cela qu’on va passer de neuf à sept mois pour la délivrance du permis à deux ou trois semaines avec l’action du CFAC. Tout ça c’est pour créer des conditions pour que chacun veuille effectivement aller sur le bon chemin.
S. : L’obligation d’avoir un permis de construire est-elle une garantie pour la solidité d’un bâtiment ?
C.M.K. : Le permis de construire est quand même le premier papier vers ce chemin. Il est délivré sur la base d’un dossier comportant des documents techniques des plans de la maison, les schémas de ferraillage et tout ce qu’il y a comme élément technique entrant dans la structure du bâtiment.
C’est le technicien notamment les architectes et les ingénieurs qui étudient ce dossier, l’apprécient et donnent leur « ok » pour l’exécution du chantier parce qu’effectivement la description technique est bonne. A partir du permis, il y’a encore une autre étape qui est la mise en œuvre effective de ce que vous voulez faire. Et là, vous ne le faites plus avec ceux qui ont examiné vos dossiers mais avec d’autres personnes. Et si ces gens ne sont pas de bonne foi, ils vont vous exécuter le chantier en violation de tout ce que vous-même avez édicté comme élément technique dans la mise en œuvre de votre chantier et du coup, cela pose problème. Donc avoir le permis n’est pas totalement la garantie et ne vous fait pas véritablement sortir des difficultés dont les plus essentiels se trouvent dans la mise en œuvre. Si les deux côtés marchent bien, alors on aura un bon produit mais s’il y’a un côté qui flanche ça pose problème.
S. : Quels conseils donnez-vous aux promoteurs afin qu’ils évitent ces désagréments liés à l’exécution de leurs chantiers ?
C.M.K. : Nous avons des bâtiments dans ce pays qui font 50 ans. Nous sommes nés les trouver et il y’a des bâtiments qui ont été construits après mais qui se sont écroulés. Je crois quelque part que pour peu que l’on prenne son travail, son projet au sérieux l’on doit respecter l’ensemble de la réglementation. Il y’a des gens qui ont la compétence pour vous dire comment il faut réussir un bon bâtiment donc il suffit simplement de les écouter.
Si les promoteurs veulent mettre beaucoup de millions dans des bâtiments, il vaut mieux qu’ils acceptent en mettre un peu aussi pour des techniciens de manière à avoir des bâtiments de qualité qui répondent aux normes de sécurité car c’est là tout l’enjeu. Si la population doit vivre et travailler dans des bâtiments qui s’écroulent, je crois que ce sera vraiment dommage pour tout le monde et nous n’aurons pas réussi de bout en bout. Donc je les invite à ne pas privilégier le gain au détriment de la sécurité de ceux qui seront appelés à utiliser ces infrastructures.
S. : Qu’en est-il de la déconcentration de vos services ?
C.M.K. : Depuis deux ou trois ans, le ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat est représenté dans toutes les treize régions du Burkina. Il y’a cinq ans, ce n’était même pas possible par ce qu’on n’avait pas la capacité de nous déployer. Nous essayons encore et toujours de consolider les directions régionales de manière à pouvoir prendre en charge toutes les questions relatives aux aménagements et aux constructions dans les régions parce que la compétence, c’est sur l’ensemble du territoire nationale. Mais on va encore chercher à se déconcentrer davantage comme les autres, c’est-à-dire, aller jusqu’au niveau provincial et pourquoi pas au niveau communal.
S. : Pour terminer, parlez-nous des défis majeurs de votre direction.
C.M.K. : Nous pensons que l’avenir laisse entrevoir beaucoup de défis en tout cas en ce qui nous concerne. Ceci parce que nous sommes dans un domaine où malgré sa sensibilité, malgré ses enjeux, il y’a encore des points qui grincent.
Vous savez, quand vous parlez d’entrepreneurs, vous imaginez tout ce que ça comporte comme détails autour. Quand vous parlez de professionnels, vous imaginez tout ce qu’il y’a comme enjeux autour, donc c’est un domaine suffisamment complexe qui nécessite qu’il y’ait beaucoup de travail dans ce sens.
Nous avons plein de projets et nous comptons courant 2018, développer une grosse campagne de sensibilisation. L’ensemble des rapports concernant les difficultés rencontrées par nos directions régionales sur le terrain font état du fait que les gens estiment toujours ne pas être au courant de ces dispositions réglementaires. Et nous n’aurons pas réussi si on n’arrive pas à transporter tout ça sur l’ensemble du territoire.
Il faut qu’à un moment donné, il n’y ait personne, sauf celui qui est né hier, qui puisse dire qu’il n’a pas entendu parler de la loi portant code de l’urbanisme et de ses dispositions. Aussi, nous voulons que tout le monde comprenne l’intérêt et l’obligation qu’il a à respecter ces dispositions.
Interview réalisé par Yssouf SANA