C’est en catimini qu’il a, pour des raisons de sécurité, quitté le Zimbabwe pour se planquer en Afrique du Sud, le puissant voisin. Aujourd’hui, lendemain de la démission de Robert Mugabe, poussé vers la sortie par l’armée et son parti, la ZANU-PF, c’est en héros qu’Emmerson Mnangagwa est revenu au bercail. Même si l’on ne peut pas, de façon péremptoire, affirmer qu’il est le commanditaire du coup d’Etat, il en est en tout cas le principal bénéficiaire. N’est-ce pas suite à son limogeage spectaculaire de la vice-présidence que l’armée, dans laquelle il compte beaucoup de soutiens, est entrée en scène et a montré à celui qui dirigeait le pays depuis 37 ans la porte de sortie ?
C’est donc en principe une ère nouvelle qui s’ouvre aux Zimbabwéens et où tous les espoirs sont permis : espoirs d’une vraie élection libre et transparente, d’une indépendance de la justice, de la liberté de la presse, du respect de l’opposition et des droits de l’homme. En un mot comme en mille, l’espoir d’une vraie démocratie. Et, surtout, d’une relance économique, dans la mesure où 37 ans de Bobisme ont conduit le pays à la banqueroute, avec une inflation qui donne le tournis et un chômage endémique.
«Aujourd’hui, nous assistons au début d’une nouvelle démocratie ; nous voulons la croissance de notre économie ; nous voulons des emplois », a d’ailleurs lancé celui qui doit présider aux destinées du pays à ses quelque cent partisans rassemblés hier devant le siège de la ZANU-PF. C’est tout un programme et, étant un pur produit du système, il sait de quoi il parle. Mais pour quelle raison le Zimbabwe devrait-il faire confiance à celui qui est au cœur du pouvoir depuis toujours, qui a servi fidèlement, parfois même avec beaucoup de zèle, celui dont il fut le ministre de la Sécurité, de l’Intérieur, de la Justice et Vice-président ? Certains lui attribuent le massacre de 20 000 civils dans le Matabeleland en 1980. C’est dire que ses sobriquets de Crocodile ou de Simba (le lion), il les a vraiment mérités. Et c’est un tel monsieur qui va présider aux destinées du Zimbabwe nouveau ! Si on ajoute à cela qu’à 75 ans il a l’avenir derrière lui, Mnangagwa est tout sauf le futur d’un pays dont la plupart des habitants sont nés après la guerre d’indépendance et ne sauraient se reconnaître en cette vieille garde.
En fait, Emmerson Mnangagwa est loin d’être le démocrate pour lequel il voudrait passer. Aujourd’hui, n’eût été son éviction, il aurait incontestablement aidé Papy Bob à fêter son 100e anniversaire au pouvoir comme il l’avait promis. S’il y a donc un souhait à formuler, c’est qu’il soit juste de passage et qu’il conduise une courte transition qui l’enverra à une retraite politique … bien méritée. Il faut donc noyer le Crocodile au plus vite. Y a-t-il une morale à tirer de cette histoire ? Quand on voit ce qui est arrivé à Mugabe et, avant lui, à ces vieux dinosaures politiques qu’étaient Ben Ali, Kadhafi, Blaise Compaoré ou Yahya Jammeh, on se demande finalement ce qu’ils croient, ces présidents qui veulent mourir au pouvoir, à l’image d’un Paul Biya ou d’un Obiang Nguema qui, soit dit en passant, vient de remporter sa dernière élection avec un score plus que stalinien de … 100%. Bien sûr, ils répliqueront que les réalités ne sont pas les mêmes. Et ce qui doit arriver arrivera !
Issa K. Barry