Dans ces lignes de ‘’Mardi Politique’’, l’homme du ‘’tékré’’, Me Hermann Yaméogo, président de l’UNDD, fait sa lecture de la situation sociopolitique tout en insistant sur la suppression de la Justice militaire et le retour de Blaise Compaoré dont il a aussi bien dorloté que combattu le régime.
« Le Pays » : Comment va votre parti ?
Me Hermann Yaméogo (HY): L'UNDD est un parti polytraumatisé, qui travaille à la consolidation de ses lésions, dans un contexte difficile. Mais il y travaille résolument seul, comme dans le cadre spécifique de la réconciliation nationale avec la CODER, ou dans celui des relations avec d'autres partis membres d'alliances passées, dans un cadre politique plus global.
Votre appréciation sur le jugement des dossiers insurrection et putsch par la Justice militaire des juridictions d'exception ?
L'impression est forcément négative. La Justice militaire fait partie de ce que j’appelle les juridictions d’exception. En ce qui me concerne, je n'ai jamais été partisan de ces juridictions politiques et je pense que dans un pays en manque de réconciliation nationale, elles peuvent contribuer à mettre de l'huile sur le feu et à poser les bases d'une vendetta. Comme je le répète, tant qu'à juger, il faut le faire correctement, sans calculs, avec des juridictions habilitées à cet effet et dans le souci que le pays ne s'en trouve pas plus entravé. Ce n'est visiblement pas le cas avec ces dernières. Et je m'en explique notamment dans mon livre « La Justice militaire, on supprime ou on supprime".
Sur quoi reposait ce besoin d'écrire sur le Tribunal militaire ?
J'ai toujours été contre les juridictions d'exception par conviction et pour des raisons personnelles.
Par conviction, car comme l'Organisation des Nations unies et tout son système, comme les ONG de défense des droits humains, les éminents juristes qui combattent ces types de juridictions, je pense qu'elles sont des survivances de régimes de non-droit, et que leur disqualification vient du constat qu'elles ne peuvent pas servir le droit en équité et dans l'indépendance et l'impartialité requises par la Constitution et nombre d'instruments internationaux que notre pays a signés et ratifiés.
« Le Tribunal militaire a montré une triple dépendance qui accuse, je dirais, triplement sa partialité »
Et quelles sont les raisons personnelles de votre opposition ?
Elles tiennent au fait que je n'en garde pas un bon souvenir car mon père et moi avons été jugés en 1968 par un tribunal de ce type, naturellement plus regardant sur les instructions venant du pouvoir politique, que sur les droits de la défense et l'équité procédurale.
En quoi, selon vous, le Tribunal militaire ne serait-il pas à même d'administrer la justice comme un tribunal ordinaire ?
Comme déjà relevé, contrairement à la Constitution et aux traités mentionnés plus haut, le Tribunal militaire a montré une triple dépendance qui accuse, je dirais, triplement sa partialité. Il est dépendant à la fois du gouvernement, par son rattachement au ministre de la Défense qui a l'initiative des poursuites, dépendant de l'armée par le statut militaire et, circonstances obligent, dépendant de l'opinion insurgée. Rien que de ce fait, le Tribunal militaire ne peut être ni indépendant ni impartial.
Avez-vous des éléments qui confirment vos dénonciations ?
Ça ne peut pas manquer. Pour ne pas faire dans le détail, je vous relèverai quelques cas significatifs. Il y a cette opposition à l'inculpation des officiers supérieurs, malgré l'existence de faits probants. Je soulèverai aussi ces pressions multiples venant du parti au pouvoir et d'OSC au sujet de certaines libérations provisoires dont celle de Djibrill Bassolé qui a même été retoquée par un arrêté ministériel. Je passe sur la multitude de nullités qui font actuellement l'objet de pourvois.
Lors de votre conférence de presse la semaine dernière, vous avez parlé d'infraction idéologique. Qu'est-ce que cela veut dire ?
C'est la pénalisation d'une croyance, d'une opinion, contrairement à la Constitution et à de multiples traités ratifiés par le Burkina Faso, qui protègent la liberté de croyance, de pensée et d'opinion. C'est ainsi qu’applaudir un coup d'Etat ne saurait exposer à des poursuites judiciaires. Si les auteurs de l'insurrection qui est une infraction, ne sont pas inculpés, a fortiori ceux qui ont approuvé un putsch ne devraient pas l'être.
Vous avez aussi fait cas du putsch de septembre 2015 en parlant de l’infraction instantanée. Quel en est le sens au juste, et en quoi ce putsch serait- il une infraction instantanée ?
Dans le système de catégorisation des infractions, ils s’en trouvent qui ont besoin de plusieurs actes pour être consommés, et d'autres qui le sont dès les premiers actes matériels commis. C'est le cas du putsch. Cela est compréhensible sans démonstration, car le succès même du coup d'Etat est lié à sa rapidité d'exécution dans la discrétion. C'est pour cela que j'ai eu à dire en d'autres temps, au sujet des lenteurs et tergiversations d'un fait déclaré coup d'Etat, qu'il n'y a pas de coups d'Etat pause-café. Le putsch de septembre 2015 a été consommé dès l'accord de l'état-major obtenu et la déclaration faite. C'est-à-dire le même jour.
« On ne saurait tirer prétexte de l'envoi des 50 millions de F CFA le 19 septembre, pour dire qu'il y a participation au coup d'Etat »
Quelles conclusions pouvez-vous en tirer ?
J'en tire les conclusions suivantes en accord avec la loi, la jurisprudence et la doctrine, qu'on ne saurait tirer de faits non antérieurs et non concomitants à un putsch, des motifs à inculpation quelconque comme auteur, complice ou receleur, à ce coup d'Etat. De ce point de vue, on ne saurait tirer prétexte de l'envoi des 50 millions de F CFA le 19 septembre, pour dire qu'il y a participation au coup d'Etat. Cet argent est la première tranche d'une collecte sollicitée à des amis, comme cela se fait souvent à la veille d'élections ou de congrès et nous avions justement un besoin de liquidités pour les élections alors programmées et nos activités politiques normales. Le coup d’Etat était déjà réalisé le 16 quand mes prospections ont porté fruit. Fait à souligner : ni le Général Diendéré, ni Léonce Koné et moi ne savions que cet argent viendrait par le canal d'une opération militaire héliportée. Juste un concours de circonstances explique cette coïncidence. Une simple coïncidence qui, de toute façon, n'a rien à voir avec la participation au coup déjà réalisé.
Sur quoi vous fondez-vous pour estimer que le pays a un si grand besoin de réconciliation nationale ?
Je crois, au regard même de la désillusion d'ensemble que l'on trouve jusqu'au sein des acteurs directs de l'insurrection, que beaucoup ont pensé que si c'était à refaire, ils ne seraient pas au rendez-vous, et que le pays gagnerait à entrer résolument dans une dynamique de réconciliation. Et c’est dans cette dynamique que je préconise la justice transitionnelle. Je trouve dommage que le Président du Faso qui a vu tant de processus de réconciliation, ici et ailleurs, ne tienne pas cette réconciliation nationale pour le plus grand challenge de son mandat.
Qu’appelez-vous justice transitionnelle et en quoi serait-elle plus adaptée à la situation post-conflit ou post-crise majeure, que les tribunaux ordinaires ?
La justice classique est plus lente, plus froide, moins regardante sur la victime et sur la reconstruction nationale. La justice transitionnelle s'occupe mieux de la victime, de son corps et de son esprit. Elle se préoccupe de mettre en contact victimes et bourreaux, d'associer la société au pacte de réconciliation, et elle cherche surtout en plus des réparations matérielles et symboliques, à poser les bases de la reconstruction et à conjurer le retour aux vieux démons.
Que dites-vous à ceux qui vous accusent d'être la cheville ouvrière du putsch ?
Je trouve que ce n'est pas leur rôle et que même le juge qui a instruit le dossier et qui est censé avoir plus d'éléments d'appréciations, n'est pas parvenu à cette conclusion. Je réponds par ailleurs à mes procureurs auto-proclamés, qu'il leur appartient, comme à toute accusation institutionnelle, d’apporter les preuves de leurs accusations. De telles accusations sans preuves sont de la diffamation et une grave atteinte au principe de la présomption d'innocence.
Vous vous situez où par rapport à ce battage politique et médiatique autour de Blaise Compaoré ?
Je vous dirais que l'homme d'Etat a eu ses qualités comme ses défauts. Sa politique en a été fortement marquée. C'est le cas de tous les hommes qui se sont succédé à la tête de ce pays. Mais on retiendra globalement la stabilité qui a permis de connaître une croissance positive stabilisée et la naissance d'une classe moyenne industrieuse et imaginative qui assumait déjà une part importante du développement. Pour moi, la rupture violente a plutôt enrayée la machine. Et je trouve que nous aurions plus gagné dans une transition apaisée, arbitrée par le suffrage populaire.
Êtes-vous alors de ceux qui luttent pour son retour au pouvoir ?
Je lutte pour son retour dans la dignité au pays, pour y bénéficier de son statut d'ancien président et contribuer à la réconciliation et au redémarrage économique.
Visiblement, vous ne semblez pas être de ceux qui félicitent la gouvernance du pays ?
Oui. Je trouve que dans le domaine, on pourrait beaucoup mieux faire. Rien de convaincant n'est véritablement entrepris pour venir à bout des différentes crises. Si l'on sentait au moins une volonté d'Etat se manifester, un souci de rassemblement autour des défis communs et reposant sur une stratégie cohérente et déterminante, l'espoir serait permis. Ce n'est pas le cas. Et ce n'est pas Tahirou Barry qui dira le contraire.
Quelles solutions proposez-vous pour combattre le terrorisme ?
Un peuple divisé, préoccupé à mener des guerres intestines, ne peut pas remporter de victoire dans une guerre du genre de celle que nous imposent les terroristes. Il nous manque cruellement la solidarité, l'union sacrée par la réconciliation nationale, les motivations spéciales des Forces de défense et de sécurité (FDS). Et ce qui fait par-dessus tout défaut, c'est l'équipement adapté. Comme l'a dit le Général Pierre de Villiers, ancien chef d'état-major français : «On ne gagne pas une guerre sans effort de guerre. Les cimetières militaires, s’ils pouvaient parler, nous le diraient ».
Que dites-vous de l’état des droits de l'Homme, des libertés publiques et démocratiques ?
Si les plaintes venaient des seules franges de l'opposition, on pourrait dire que cela participe d'un jeu de rôle. Ce n'est pas du tout le cas. Au-delà des craintes et critiques venant de l'intérieur, bien des affaires sont actuellement présentées comme étant le signe d'un ressac dans le respect de ces droits. Il en va de l'affaire Zaïda qui, de ce point de vue, est d'un si mauvais signal. Il en va aussi de l'affaire UPC qui, parce que certains y voient une déstabilisation de l’Etat, dénoncent l'atteinte à la Constitution, les partis politiques étant des instruments de droit constitutionnel. Mais il y a des décennies déjà que, victime de ces mêmes faits, je dénonçais ces pratiques qui compromettaient le processus d'institutionnalisation du pouvoir en empêchant l'ancrage des partis. Je trouve seulement curieux que Blaise Compaoré parti, ces pratiques continuent de plus belle.
Propos recueillis par Drissa TRAORE