Ouagadougou, 16 nov. 2017 (AIB)-S’endetter durablement dans l’espoir d’avoir un chez-soi et se retrouver à patauger dans une maison mal construite, un environnement insuffisamment viabilisé et sous les menaces d’expulsions des propriétaires terriens… Pour avoir réussi à dépeindre, avec justesse, le calvaire des bénéficiaires des logements sociaux de Bassinko (Ouagadougou), Habibata Wara a été sacrée meilleure journaliste burkinabè de l’année 2017.
Le prix de la meilleure journaliste burkinabè d’une valeur d’un million de FCFA a été attribué le vendredi 10 novembre 2017, à Habibata Wara des Editions Sidwaya par le Centre national de presse Norbert Zongo, en marge de la 7e édition du Festival international de la liberté expression et de presse (FILEP).
Mme Wara a été gratifiée pour son article: « Logements sociaux de la cité de Bassinko : l’arnaque sous de bonnes intentions», réalisé en septembre 2016.
Voici l’intégralité de son travail:
Logements sociaux de la cité de Bassinko
«L’arnaque» sous de bonnes intentions
L’Etat burkinabè a lancé un programme de construction de 10000 logements sociaux et économiques en 2007, en faisant appel à des promoteurs immobiliers privés. 1500 logements sont prévus à Bassinko, un quartier de l’arrondissement n°8 de Ouagadougou.
Des habitats ont certes, émergé de terre, mais leur qualité laisse souvent à désirer. La viabilisation même de la zone se pose avec acuité. Conséquences, des centaines de maisons restent inhabitées. Un tour sur les lieux nous a permis de comprendre la réalité des choses et le constat est amer.
En 2015, Céline Guibouapprend qu’elle est attributaire d’un logement social à la Cité de Bassinko, localité située à la sortie-nord de Ouagadougou, sur la route nationale n°2.
La nouvelle est accueillie avec joie et soulagement tant l’envie d’obtenir un «chez-soi» était pressante. Après quelques travaux effectués dans la maison, elle décide le 9 juillet 2015 d’intégrer la cité. C’est le début des problèmes de Céline.
«Le véhicule qui transportait mes bagages s’est embourbé deux fois dans la cité. On a fini par l’abandonner en cours de route et décharger le contenu pour l’amener à pied chez-moi», raconte-t-elle. Ce calvaire, elle le vit depuis les premières pluies, car ne pouvant pas mettre les pieds dehors.
«Il y avait de l’eau dans ma cour et dehors autour de la maison. Je ne pouvais même pas descendre de la terrasse. Il fallait attendre le lendemain pour que la situation se normalise», confie-t-elle, toujours dépitée. Mme Guibou dit avoir vécu ainsi durant toute la période hivernale. C’est le désenchantement.
Si aujourd’hui le problème semble être atténué grâce au remblaiement de la cour, le cauchemar reste toujours entier à la devanture de sa porte. «Dès qu’il pleut, je reste isolée avec ma famille. Impossible de sortir», décrit-elle.
Le «logis» de Mme Guibou est bâti dans un bas-fond. Pour y accéder, il faut patauger dans la boue, se frayer un passage dans les herbes avec tous les risques de morsures des reptiles.
Vu l’état des routes ce 11 septembre 2016, date de notre passage, l’on s’imagine aisément à quoi pourrait ressembler la cité de Bassinko un jour de pluie. Devant la porte de Céline Guibou, des briques superposées servent de barrières afin d’empêcher l’eau d’atteindre le portail.
Comment arrivez-vous à tenir ici? «Je n’ai pas le choix. C’est avec l’aide de Dieu», rétorque-t-elle, après un long soupir. La conversation avec les autres résidents a permis plus tard de comprendre la détresse des uns et des autres. La vie est dure pour les résidents de la cité. Sibiri Birba, bénéficiaire d’une villa, refuse d’y déménager à cause de l’inaccessibilité.
En effet, devant le logement social de type F3 (deux chambres-salon avec douche interne) de M. Birba, se trouve une étendue d’eau. C’est le «Lac de la cité de Bassinko», surnom donné par les résidents. Son «chez soi» lui coûte environ 44000 F FCA par mois, payable en 20 ans.
Aujourd’hui, M. Birba dit être en location et croule, selon lui, sous le poids des dépenses de logement qui engloutissent presque la moitié de son salaire.
«Nos difficultés sont devenues des attraits touristiques»
Selon le secrétaire général du comité des résidents des logements cité Wend Panga de Bassinko, Fabrice Ouédraogo, le problème de viabilisation se pose avec acuité. Il n’y a pas d’électricité et d’eau courante.
L’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) a fait des installations, mais sans branchements. Cependant, il a pu installer quelques bornes-fontaines. M. Ouédraogo remet en cause le choix de ce site pour abriter des logements sociaux attribués aux citoyens à revenu modeste.
«Les maisons sont construites dans un bas-fond. C’est le cas de celles des familles Maïga, Bessin, Guibou… Certaines font face à des tombeaux. Se déplacer dans la cité relève d’un parcours du combattant à cette saison hivernale, car il n’y a pas de voirie. Certains résidents sont obligés d’escalader les murs de leur voisin pour accéder à leur cour ou pour en sortir. Leur porte est bloquée par l’eau», confie-t-il.
Pour éviter des drames, certaines ont été évacuées. «Nous avons l’impression que nos difficultés sont devenues des attraits touristiques. Nous n’avons pas choisi de venir ici, c’est l’Etat qui nous a attribué ces logements.
Qu’il fasse quelque chose», martèle le représentant des résidents. Avant de poursuivre: «Lorsqu’une délégation ministérielle vient ici, elle reste aux abords de la cité et ne cherche pas à aller en profondeur. Nous avons d’ailleurs espéré la visite du président du Faso lors de sa sortie à Bissiguin. C’est sûr qu’ici, il allait attraper sa tête».
A titre indicatif, la cité Wend Panga concerne les premiers logements de la grande cité de Bassinko. Au regard de la situation, les résidents se sont adressés au promoteur qui leur a fait savoir que la question de la viabilisation relève de l’Etat.
Interpellé, le ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat s’est montré ouvert au dialogue et plusieurs rencontres ont eu lieu. «Mais elles sont restées sans suite», selon M. Ouédraogo.
« Dès le mois de février dernier, nous avons attiré l’attention du Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, Maurice Dieudonné Bonanet, à travers une correspondance. Nous avons souligné la nécessité de prendre des mesures d’urgence pour permettre aux résidents de se déplacer et de donner envie aux non-résidents de rejoindre le site», ajoute-t-il. Pour permettre un accès facile aux lieux, le ministère et le promoteur ont réagi positivement au mois d’août.«Mais tous les engins se sont embourbés. Les travaux ont été suspendus», laisse entendre le SG du comité des résidents.
C’est dans le cadre du programme 10 000 logements sociaux et économiques initié en mars 2007, que le site de Bassinko, localité située à une vingtaine de kilomètres du centre-ville, a été choisi pour abriter ces habitats extensibles de types F2 (chambre-salon, douche interne, cuisine interne ou externe), F3 (deux chambres-salon, douche interne, cuisine interne) et F4 (trois chambres-salon, douches internes, cuisine interne). Le coût de ces logements varie d’un promoteur à l’autre. Il va de 5,5 millions F CFA à 7,5 millions F CFA pour les types sociaux. 9 millions F CFA et plus pour les types économiques.
Le gouvernement avait promis à l’époque que la cité de Bassinko serait une cité autonome dotée de toutes les commodités, de tous les services sociaux.Une initiative bien saluée par les Burkinabè qui, par souscription volontaire ou par tirage au sort, y ont adhéré. Le hic, c’est qu’une grande partie de ces logements sont érigés sur des terrains à accès difficile.
La question de la viabilisation (eau, électricité, voirie, canalisation…) se pose. En plus, des infrastructures d’accompagnement telles que les écoles, les centres de santé, les services de proximité prévues,font toujours défaut. Le président du comité de gestion du Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) cité de Bassinko, Tidiane Dembélé, révèle que depuis le mois de mars, des démarches sont entamées en vain pour que cette structure soit fonctionnelle.
«Nous avons appris que le CSPS n’a pas été réceptionné par l’autorité. Il est sans électricité, sans eau. Il y a des infrastructures comme le vidoir au niveau de la maternité qui n’a pas été installé par l’entrepreneur. D’après les techniciens de la santé, il est difficile de faire fonctionner la maternité sans cet élément», affirme-t-il.
En outre, il y a une difficulté d’approvisionnement en produits pharmaceutiques car le CSPS n’aurait pas été pris en compte dans la mesure visant la gratuité des soins des enfants de 0 à 5 ans.
Le directeur de l’école primaire, Moussa Sawadogo, dénonce l’absence d’alimentation en eau et en électricité de son établissement. Il déplore le fait que le bâtiment a été érigé sans installations électriques. «Il va falloir casser les murs», regrette-t-il.
Le premier habitant (depuis le 2 octobre 2014) des logements construits par le Groupe CGE Immobilier, est Aimé Koenou. Coordonnateur du comité provisoire d’action et de suivi de ces résidents, il explique qu’à son déménagement, il a subi, en plus des difficultés inhérentes à la viabilisation, les menaces des autochtones qui revendiquent ces parcelles.
«On nous a mené la vie dure en nous menaçant de déguerpir. Nous étions vus comme des envahisseurs», dit-il. Il reproche à l’Etat de n’avoir pas fait la réfection de la principale voie avant de créer la cité. Djénéba Kafando, résidente à la même cité, s’en inquiète également.
«Les propriétaires terriens reprochent aux résidents d’occuper leurs champs, leurs terres. Ils ont même agressé des gens», lance-t-elle.
Mariam Ouédraogo, présidente de la mutuelle des femmes de la cité CGE plaide, elle, en faveur de l’implantation d’un marché, de la vulgarisation d’adduction d’eau (les branchements de l’ONEA restent limités à quelques villas) et de l’électricité.
La qualité dépend du prix
La qualité des bâtiments est décriée par la plupart des attributaires. Il y a beaucoup à améliorer: clôture inachevée, murs fissurés, douche et terrasse dégradées, toilettes extérieures à construire…
Les logements ne seraient pas des «prêts à habiter» et les indispensables réfections varient d’un promoteur à un autre et peuvent coûter au minimum 700000 FCFA.
Le 15 juin 2012, au lancement officiel des travaux de construction de la cité, le Premier ministre en son temps, Luc Adolphe Tiao avait pourtant tiré la sonnette d’alarme en ces termes: «J’insiste aussi sur la qualité des ouvrages, car il ne s’agit pas de bâcler le travail. D’ailleurs, je ferai des visites de temps en temps pour vérifier que les normes de construction seront respectées».
Aboubakary Barro est le responsable de l’association des résidents de Bassinko, cité CEGECI (Centre de gestion des cités, une société d’Etat de promotion immobilière). «Les difficultés auxquelles nous avons fait face sont entre autres l’accès à la cité qui est rendu difficile à cause des radiés, l’insécurité et la qualité de la maison», déclare-t-il.
Il confie avoir dépensé plus d’un million pour rendre son logement économique habitable avant d’y intégrer en novembre 2014. Aujourd’hui, il se réjouit de la présence d’une équipe de la Brigade anti criminalité (BAC) sur le site.
Si certains demandeurs de logement ont eu la chance d’avoir leur maison, d’autres par contre attendent toujours. Le délai d’attribution fixé par les promoteurs est largement dépassé.
Afin d’apporter des réponses idoines à certaines questions soulevées, nous avons rencontré des promoteurs, dont le PDG de la Société immobilière internationale, Wend Panga, Julien Ouédraogo. Il reconnait d’emblée la nécessité de la viabilisation de la zone. Mais estime qu’il appartient à l’Etat de le faire.
Il demande aux bénéficiaires de ces logements de prendre leur mal en patience. Selon lui, si les travaux ont pris du retard, c’est peut-être dû à l’instabilité que le pays a connue. Quant à la qualité, M. Ouédraogo pense que les maisons sont solides.
«Les travaux de construction sont régulièrement suivis par des contrôleurs du ministère en charge de l’habitat. Avant la réception, le travail est jugé et validé par les techniciens dudit ministère et de la Banque de l’habitat», explique-t-il.
Selon lui, on ne doit pas être étonné de constater des dégradations sur une maison fermée durant trois ans. A l’entendre, la non-exécution des travaux de finition est prévue.
«C’est pourquoi des maisons sont vendues à 5 500 000 pour un type F2: chambre-salon, cuisine, toilette, portail et clôture à la façade. Et les murs mitoyens élevés de deux couches», note-t-il. «Nous ne gagnons pas de bénéfice avec des logements à ce prix. Nous voulons accompagner l’Etat à faire du social», poursuit-il.
A ce jour, le PDG de Wend Panga dit avoir construit environ 1 000 logements dans la cité de Bassinko et se dit également prêt à apporter son soutien à toutes actions pouvant améliorer les conditions de vie des résidents.
En attendant, il demande compréhension et patience car des concertations sont en cour. Le directeur général du groupe CGE Immobilier, Christian Vande Craen, réagissant sur le retard accusé dans l’attribution des maisons évoque des raisons indépendantes de sa volonté. Elles sont, entre autres, la réaction des propriétaires terriens qui les ont obligés à suspendre les travaux, l’absence d’interlocuteur au niveau de l’Etat, compte tenu du soulèvement populaire. Le groupe doit construire 600 logements sociaux sur le site.
Le mea culpa de l’Etat
Pour le directeur de cabinet du ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, Karim Ilboudo, le bilan du programme 10000 logements est plus ou moins mitigé. Environ 5000 logements ont été réalisés à ce jour.
«Nous reconnaissons qu’il y a des insuffisances objectives que nous allons travailler à corriger.Nous n’avons pas construit les cités pour mettre les résidents dans des difficultés majeures. Nous avons à l’esprit la volonté d’apporter une solution à leur problème de logement», confesse-t-il. Il a reconnu également que la question des voiries et de la viabilisation revient à l’Etat.
Pour rassurer les uns et les autres, il annonce que la principale voie d’accès à la zone sera, dans le cadre d’un partenariat public-privé, bitumée jusqu’à la commune rurale de Sourgoubila. «Les travaux vont démarrer incessamment. Le dispositif est enclenché. Peut-être pas au moment voulu par les résidents», assure-t-il. Il les félicite pour leur esprit coopératif et les encourage à maintenir le dialogue.
Sur la qualité des maisons mises en cause, M. Ilboudo pense que certains entrepreneurs n’ont pas brillé à ce niveau. Il souligne qu’effectivement des logements ont été construits selon des dispositifs non réglementaires et varient d’un promoteur à l’autre. N’y a-t-il pas de sanctions prévues dans le cahier des charges? Les maisons présentant des failles devraient être réparées par le promoteur mis à l’index. Selon lui, une harmonisation de tout le travail sera désormais nécessaire afin que les objectifs visés à travers la mise en place de ce programme puissent être atteints de façon collective. Foi du directeur de cabinet, des instructions seront données afin d’éviter les mêmes erreurs à l’avenir.
Quant aux infrastructures qui font défaut ou qui fonctionnent mal, il déclare que des dispositions sont prises pour apporter de façon progressive, une réponse définitive.
Karim Ilboudo regrette le désaccord avec les propriétaires terriens. «Les propriétaires terriens ont réclamé en son temps des parcelles. Environ 3500 leur ont déjà été attribuées. Il se trouve aujourd’hui, que les nouvelles revendications sont brandies par ceux qui n’avaient pas été pris en compte, notamment les moins de 18 ans», précise-t-il.
Mais assurance a été donnée par le directeur de cabinet que des négociations sont en cours avec toutes les parties prenantes pour trouver une solution définitive. Il s’agit de l’arrondissement n°8, des communes de Tanghin Dassouri, de Pabré, de Sourgoubila desquels Bassinko relève.
«Le ministère présente toutes ses excuses à tous ceux qui ont été victimes de ces agressions. Nous demandons l’indulgence des promoteurs et des propriétaires de terres de faire preuve de compréhension afin que le problème soit résolu. Nous sommes dans une bonne dynamique de recherche de solution», annonce M. Ilboudo.
Encadré 1
Clé en main, mais pas des «prêts à habiter»
Un toit à tout prix: souscription volontaire, tirage au sort, endettement... Les Burkinabè sont prêts à tout accepter pour acquérir un logement. D’où leur adhésion massive à l’initiative des logements sociaux.
Mais quels logements? La majorité de ces maisons ont une particularité: elles ne sont pas du «prêt-à-habiter». L’état dans lequel elles sont attribuées oblige leurs propriétaires, clé en main, à dépenser d’énormes sommes afin de les rendre viables. Or, la plupart de ces bénéficiaires ont un modeste revenu qui ne leur permet pas d’avoir suffisamment du «cash».
Ils s’endettent pour plus de dix ans auprès des banques pour honorer leurs engagements. Ils souscrivent au logement social espérant échapper à la galère de la location.
Cependant, la déception ne tarde pas à arriver.L’euphorie d’être propriétaire cède la place au désenchantement. Le surendettement devient leur lot. Que n’avait-on pas entendu au lancement de ces cités?
Les initiateurs du projet de la cité de Bassinko par exemple avaient, à son temps, annoncé qu’elle sera autonome, dotée de différents services sociaux. Beaucoup d’avantages miroitaient. Aujourd’hui, le constat est là. Les promesses n’ont pas été concrétisées et on a le droit de se demander si celles-ci verront le jour. Si l’idée des logements sociaux est à saluer, il n’en demeure pas moins que sa mise en œuvre, à l’état actuel, doit être repensée.
Dans la plupart des cités, la question de la viabilisation et la qualité des bâtisses se sont posées et se posent toujours. C’était le cas de la cité de Rimkiéta, de Kamboinsé... Et aujourd’hui, c’est le tour de la cité de Bassinko.Même si c’est du social, cinq millions pour le moins cher, il faut garantir le minimum de services vitaux que sont l’eau, l’électricité, la voirie, la sécurité avant toute attribution.
L’Etat doit être rigoureux dans le choix des sites et des promoteurs immobiliers. Ceux-ci doivent tenir leurs engagements vis-à-vis des demandeurs et comprendre que leur image est en jeu. Il est impératif et vital que l’Etat veille au respect des cahiers des charges afin d’atténuer la souffrance de milliers de bénéficiaires.
Habibata WARA