Pour le commun des Burkinabè, il suffit d’avoir les poches pleines et le plan de son immeuble pour pouvoir construire. Alors qu’il n’en est plus ainsi depuis des lustres. Certains l’ont même appris à leurs dépens en plein chantier. Depuis 2008, la question est d’actualité, et construire ou démolir requièrent une autorisation au préalable. Claude Marcel Kyelem, directeur général du Contrôle des opérations d’aménagement et de Construction (DGCOAC), dans cet entretien qu’il nous a accordé le 14 novembre 2017, nous en dit plus. « A Ouagadougou, sur 300 chantiers contrôlés en 2016, il n’y avait pas plus de deux promoteurs qui avaient le permis de construire. C’est regrettable que nous en soyons encore là malgré les campagnes de sensibilisation».
Que représente votre direction, quelles sont ses missions et ses prérogatives ?
C’est une direction du ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme qui a été créée pour aider le ministère dans les actions de contrôle des opérations d’aménagement et de construction. C’est en quelque sorte la « police » qui s’assure que les aménagements et constructions se font dans le respect des normes édictées par la loi 017. Notre direction existe depuis 2008 et émane de la loi 017 dans laquelle il est question de créer une structure qui sera chargée de faire appliquer les dispositions contenues dans ladite loi. Elle est compétente également en ce qui concerne l’occupation des espaces publics. Nous traquons ceux qui les occupent illégalement.
Vous arrêtez parfois des chantiers de construction. Sur quoi vous basez-vous pour le faire ?
Le plus souvent, c’est pour défaut du permis de construire, qui est délivré par la mairie sur la base d’une demande contenant un certain nombre de pièces comme les dessins architecturaux, les notes de calcul, lesquelles permettent aux techniciens d’apprécier le bâtiment qui va être construit. Notre direction a pour mission de vérifier que les chantiers s’exécutent avec les autorisations nécessaires. Les arrêts de chantiers concernent ceux qui ne se sont pas conformés à la loi et qui démarrent leur chantier sans le permis de construire. Nous arrêtons les travaux avec l’obligation de régulariser la situation. Pour construire au Burkina, il y a des normes, et tout le monde a l’obligation de les respecter.
Il est aussi question d’autorisation pour démolir. Pourquoi une telle exigence et pour quel type d’infrastructure en faut-il ?
Pour démolir il faut effectivement un permis, et la première raison en est la sécurité des riverains. Pour démolir un bâtiment de type R+1 ou 2 défectueux, il faut forcément que nous nous assurions que la démolition ne causera pas de dégâts aux voisins. Cela concerne les grands bâtiments et pas les dix, quinze tôles. Une autre raison est la sauvegarde du patrimoine culturel. C’est l’exemple du château d’eau du Moogho Naaba. Il appartient à l’ONEA en réalité et on lui a donné le nom de l’empereur des Mossé à cause de sa situation géographique. Il n’est plus utilisé et, à un moment donné, il était question de sa destruction. Mais dans la mesure où l’édifice a pris un caractère un peu culturel en portant le nom du Moogho Naaba, on ne peut le détruire même s’il ne fonctionne plus. Si l’ONEA n’avait pas demandé le permis de détruire, le technicien n’aurait pas eu cette information, et il aurait été détruit alors qu’il doit être classé dans le patrimoine culturel.
Tout le monde n’entend pas les choses de cette oreille et ne se conforme pas à la règle. Qu’est-ce que les contrevenants encourent comme sanctions ?
Comme toute bonne loi, elle prévoit des sanctions contre les contrevenants. Pour le défaut de certificat d’urbanisme, de permis de construire, de certificat de conformité et de permis de démolir, la loi dit très bien que quiconque viole ces dispositions réglementaires est puni d’amende pécuniaire. Et pour certaines fautes il y a la privation de liberté. Le fait de ne pas respecter le permis de construire en zone aménagée est puni d’une amende de 200 000 à 2 000 000 F CFA. On a également une amende de 500 000 à 1 500 000 francs quand on est en zone non aménagée. Elle prévoit aussi une privation de liberté de 6 à 24 mois.
Parmi les constructions contrôlées, combien de chantiers ont été arrêtés ?
Nos opérations de contrôle se font à deux niveaux : il y a le contrôle quotidien, qui se fait dans la ville de Ouagadougou sur la base d’un programme ou des appels de dénonciation ; au-delà, nous avons une programmation pour faire des campagnes spéciales dans les chefs-lieux des régions. En 2016 dans la ville de Ouagadougou, nous avons contrôlé 300 chantiers de construction et 200 cas d’occupation d’espaces publics. En matière de chantiers, ils n’étaient pas plus de deux à avoir un permis de construire. C’est préoccupant et regrettable que, depuis 2006 que la loi existe avec tout ce qui a pu être fait comme campagne de sensibilisation à la télé, à la radio, par des sketchs et des affiches, tout ce qu’il y a comme véhicules de l’information, aujourd’hui il y ait des statistiques qui fassent froid dans le dos. Il n’est pas normal qu’on dise 15 ans après qu’on ignore cette disposition. Si ce n’est pas de la mauvaise foi, je ne sais pas ce que ça peut être.
Dans le cas de ceux qui obtiennent l’autorisation de construire une infrastructure donnée et qui outrepassent ce droit pour faire autre chose, que faites-vous ?
On en a effectivement vu à Ouaga, Koudougou, Bobo et Banfora. Le promoteur a un permis de construire par exemple pour un R+2 et fait un R+4. C’est deux fois plus que ce qui lui a été autorisé. Pour ce cas, nous arrêtons le chantier définitivement et nous envoyons l’intéressé faire une expertise du bâtiment. Mais en attendant l’expertise pour y donner suite, nous signalons par un écrit sur les parois de la bâtisse « Bâtiment à risques ». La procédure normale, c’est de faire démolir l’infrastructure après expertise.
Certains accusent vos agents de laisser faire quelques contrevenants moyennant de l’argent. Qu’en est-il ?
En tout cas, je ne suis pas informé de cette situation. Si jamais cela est avéré, c’est un problème. Ce serait une façon pour l’administration d’accompagner les contrevenants dans leur salle besogne. Je ne crois pas qu’un agent de la DCG, malgré l’absence d’un permis de construire, peut laisser poursuivre la construction d’un bâtiment. Non !
Quel bilan faites-vous de vos tournées de sensibilisation effectuées de 2016 à 2017 ?
Après notre campagne, nous retournons sur nos pas voir si nous avions été compris. Le résultat que nous avons nous donne des raisons de croire que notre message est passé. Mais il y a lieu de reconnaître aussi qu’il n’est pas totalement passé du moment qu’il y a des gens qui ont toujours l’ancien comportement. Pour cela, nous ne cesserons jamais de faire la sensibilisation ni de vulgariser les textes d’aménagement et de construction au Burkina. Nous souhaitons faire, d’ici la fin de l’année, une grande campagne de sensibilisation. Nous organiserons une excursion en ville pour montrer de bons et de mauvais chantiers aux gens ; des occupations d’espace légales, des boutiques de rue et des boutiques dans la rue qui obstruent la circulation.
Comment expliquez-vous que, même avec l’obligation d’avoir des permis de construire, des bâtiments s’effondrent encore au Burkina ?
Une chose est d’avoir le permis de construire et une autre, peut-être la plus importante, est d’avoir un contrôle et un suivi assidus dans la mise en œuvre du chantier. Le dossier de demande de permis est étudié par des techniciens, et c’est au regard de cela qu’on délivre l’autorisation de construire. Ce qui est écrit, dessiné est parfait. Mais sur le chantier, le dosage du ciment, l’utilisation du fer par exemple peut passer des barres de 12 sur le plan à celles de 6 sur le terrain. C’est compréhensible qu’il y ait des bâtiments construits avec des permis mais qui s’écroulent, car la mise en œuvre n’est pas correcte. Il y en a eu vers chez le Moogho Naaba, à Ouaga 2000, à Kaya, à Saaba… C’est parce qu’on refuse d’appliquer les normes de construction et nous ne pouvons qu’être des témoins de telles situations. On ne peut pas tricher avec le bâtiment.
Que pouvez-vous faire à ce moment en tant que direction de contrôle de construction ?
Nous ne pouvons que rappeler les normes de construction. L’idéal serait que nous ayons une autonomie, une capacité à nous investir véritablement dans la question des constructions et des aménagements. C’est une symphonie inachevée que de s’investir pour sécuriser les gens dans la circulation et de les laisser entrer dans des bâtiments qui vont s’écrouler et les tuer. Ayons une bonne logique, et traitons la question de bout en bout : l’ONASER pour les routes et la DGC pour les aménagements et les bâtiments, et nous serons en sécurité partout.
Est-ce un plaidoyer pour que la DGC devienne un office comme l’ONASER ?
Naturellement ! Nous avons besoin d’avoir les coudées franches, assez de ressources, d’autonomie pour accompagner les citoyens. Nous sommes une direction générale, donc nous sommes limités. Nous éprouvons quelques difficultés dans la mise en œuvre de nos activités. Sur les chantiers, vous verrez que c’est écrit « Arrêt », mais les ouvriers continuent de travailler comme si de rien n’était. Nous n’avons pas de moyens de coercition, pas de police ni de gendarmerie avec nous. Il faut qu’on aille à la création d’un office comme en matière de sécurité routière.
Qu’attendez-vous des professionnels des aménagements et des constructions ?
Nous sommes convaincus que nos partenaires que sont les promoteurs immobiliers et les collectivités territoriales peuvent nous aider dans la sensibilisation pour que nous ayons des aménagements et des constructions bien faites et qui ne tuent pas. Qu’ils fassent en sorte que nous soyons de bons partenaires.
Propos recueillis par
Lévi Constantin Konfé