Les salles d’audience nos 1 et 3 du Tribunal de grande instance de Ouagadougou (TGI) n’ont pas désempli dans la journée du 13 novembre 2017. Elles ont été investies par bon nombre de citoyennes et de citoyens qui ne voulaient pas se faire raconter le déroulement de certaines affaires inscrites à l’ordre du jour. Font partie de celles-ci le dossier dit ministère public contre Pascal Zaïda et trois autres. A cela s’ajoute l’affaire de l’enregistrement téléphonique impliquant Safiatou Lopez et Idrissa Noogo. Retour sur un marathon judiciaire.
Après avoir vidé le contentieux opposant le procureur du Faso au cinéaste Tahirou Tasséré Ouédraogo, les juges de la chambre correctionnelle du TGI ont aussitôt appelé l’affaire «Zaïda Pascal et trois autres». L’horloge affichait 14h 40. Il est reproché au coordonnateur du Cadre d’expression démocratique (CED) et à ses codétenus d’avoir tenu une «manifestation illicite, commis des actes de vandalisme, des violences et voies de fait en forçant le dispositif sécuritaire de la police».
Avant d’entrer dans le vif du sujet, Me Eliane Marie Natacha Kaboré demande aux juges de citer quatre témoins à comparaître, requête à laquelle ils ont accédé. «J’ai aussi des exceptions à soulever», ajoute-t-elle. Elle estime grosso modo qu’il y a eu violation du règlement UEMOA régissant la profession d’avocat dans l’espace communautaire ; notamment en son article 5 qui garantit la présence de l’avocat auprès de son client en enquête préliminaire. «Dès qu’ils ont été interpellés, je n’ai pas pu leur porter assistance, il m’a été interdit l’accès à leur lieu de détention. On m’a dit que les ordres, ce sont les ordres ; que je ne suis pas accréditée et que je n’entrerais pas», raconte-t-elle. Les autres avocats constitués auprès des prévenus, Me Paul Kéré et Abdoul Dabo, ont également soutenu qu’il y a eu violation des droits de la défense en invoquant les articles 4, 7 et 8 de la Constitution burkinabè. Pour eux, les procès-verbaux doivent être frappés de nullité.
En réponse, le procureur du Faso a fait noter l’attachement du ministère public au respect dudit règlement de l’UEMOA et qu’il ne manque pas de le rappeler aux Officiers de police judiciaire (OPJ) dès que l’occasion se présente. Selon ses propos, Me Kaboré, en fonction de ce qu’il a glané comme informations, est arrivée au moment où l’audition se terminait. Il n’en fallait pas plus pour que les deux parties pinaillent jusqu’à 15h15 ; moment où la Cour a décidé de suspendre l’audience pour trancher.
«La place de la Nation nous a été refusée mais la manif n’a pas été interdite »
16h 07 : la Cour est de nouveau annoncée. La présidente entame les débats sur la base des déclarations faites devant le parquet puis écarte par conséquent les P-V dressés pendant l’enquête préliminaire par la police. «Monsieur Zaïda Pascal, vous êtes né le 31 décembre 1979, célibataire sans enfant, vous n’avez jamais été condamné ni décoré», commence-t-elle en s’adressant au coordonnateur du CED qui se trouvait à présent à la barre avec ses trois compagnons. Après s’être vu notifier les charges, tous ont nié les faits.
«Pourquoi vous êtes ici alors ?» interroge la juge. «Au mois d’août, nous avons informé la mairie et l’état-major de l’armée d’une activité que nous voulions tenir à la place de la Nation le 23 septembre. La mairie nous a accordé l’autorisation mais l’état-major a dit que la place était occupée du 18 au 30 septembre ; il nous a proposé soit le 16 septembre ou le 7 octobre. Nous avons réintroduit une demande de modification de date et avons obtenu de la mairie la date du 7. Pour la sécurisation de l’activité, nous avons payé des frais à la police nationale à hauteur de 280 000 francs CFA », explique Pascal Zaïda. Il précise que c’est dans l’après-midi du 3 octobre qu’ils ont été informés d’une correspondance les concernant à l’hôtel de ville de Ouagadougou. Celle-ci disait en substance que l’autorisation pour la manifestation du 7 avait été annulée. L’état-major est saisi de nouveau et c’est la date du 21 octobre qui a été retenue. S’en sont suivies les deux convocations à la Sûreté, où ils se sont entendu dire qu’ils assumeraient les conséquences en cas de dérapage. En ultime recours, Pascal Zaïda et des camarades ont opté pour le rond-point des Nations unies mais pour lui, la manif n’a même pas eu lieu puisqu’ils ont été bloqués vers la station Total. «C’est quand nous repartions vers l’hôtel que les journalistes ont souhaité faire des interviews ; nous nous sommes alors arrêtés à côté de la station Shell.» La police est venue nous dire de libérer la voie. Le commandant nous a dit de descendre du goudron, d’en descendre encore, c’est là que j’ai vu des gens armés de gourdins, de machettes qui fonçaient sur nous. On m’a dit d’entrer dans le véhicule de la police pour assurer ma sécurité. C’est ainsi que j’ai été arrêté », conclu Zaïda.
«Pourquoi vous n’avez pas suivi les voies de recours pour attaquer la décision de la mairie annulant votre manifestation ?» lui demande le parquet. A en croire le coordonnateur du CED, il réunissait des pièces dans ce sens en vue de saisir le tribunal administratif. Dans son entendement, c’est le lieu de la manifestation qui leur a été refusé mais pas l’activité elle-même. Ils ont finalement jeté leur dévolu sur le rond-point des Nations unies, car c’est un «symbole mondial de la liberté d’expression». Zaïda a du mal à comprendre que d’autres (ndlr : OSC) puissent manifester sans autorisation pendant qu’on leur refuse ce droit avec toutes les démarches entreprises. «Est-ce que vous pensez que c’est possible de manifester quand on veut, où on veut, avec qui on veut sans autorisation ?» renchérit le magistrat du parquet. A cette question, Zaïda répond par «si », après avoir expliqué que si l’idée émane de la base et que la loi fondamentale garantit la liberté de manifester, il n’y voit aucun inconvénient. Après à peine une minute, il fait un rétropédalage en disant «non », ce qui lui aurait été soufflé par un de ses conseils, selon le procureur. Il pense qu’il n’y a pas non plus eu d’actes de vandalisme, de violence ni de voie de fait, car il n’y avait aucune barrière nulle part.
«L’objectif est atteint » : c’est l’affirmation qui aurait valu à Dieudonné Tapsoba son arrestation. « Le plus âgé » du groupe explique qu’ils craignaient les débordements, les casses et les invectives. Rien de tout ça n’ayant été, il a dit le 21 octobre que l’objectif était atteint. «Peut-être que c’est un abus de langage ?» ajoute-t-il.
Mohamed Compaoré, lui, a entendu tout simplement que Zaïda voulait aborder la question des non-lotis, le seul motif qui l’a poussé à se joindre à la manif. Il n’a pas cherché à savoir si ce dernier avait une autorisation ou pas.
Emile Compaoré, lui était dans les environs pour «acheter un téléphone portable». Il a accueilli Zaïda parce qu’il voulait mettre un visage sur le nom qu’il entendait depuis un certain temps. Il se considère comme un «complète-nombre » parce que la police serait revenue 30 à 45 minutes plus tard sur les lieux pour l’embarquer.
«La conséquence est que toute la procédure doit être annulée »
Pour les avocats de la défense, annuler ou écarter les P-V en enquêtes préliminaires signifie que la procédure n’a plus de raison d’être puisque le ministère public a été saisi sur la base de ces éléments. Une observation que la juge décide de joindre au fond avant de donner la parole au parquet pour ses réquisitions. Au terme de plus de deux heures d’horloge, celui-ci requiert 12 mois d’emprisonnement ferme pour Pascal Zaïda et Dieudonné Tapsoba ainsi qu’une amende de 500 000 francs CFA. Il propose aussi une peine de 6 mois de prison assortie de sursis à l’encontre des deux autres prévenus. La défense estime qu’elle n’a pas eu suffisamment de temps de parole et pense que la procédure a été instruite pendant «4h» par le ministère public. Les témoins n’ont pas comparu. «Le tribunal a été suffisamment éclairé», déclare la présidente qui a renvoyé le dossier au 20 novembre 2017 pour la suite avec les plaidoiries des conseils. Il était 20h32.
Aboubacar Dermé
J. Benjamine Kaboré (Stagiaire)
Encadré
«Mes forces m’ont lâché, je ne suis plus lucide pour mener un débat »
(Idrissa Nogo)
Dans la salle d’audience no 3, c’est finalement à 20h38 que l’affaire de l’enregistrement téléphonique impliquant Safiatou Lopez et Idrissa Nogo a été appelée à la barre. Rappelons que ces deux se retrouvent dans le box des accusés, attraits en justice par Ali Badra Ouédraogo, Manssourou Guiro et Michel Rabo. Le premier des plaignants était absent. Pour Idrissa Nogo, ses forces l’ont lâché et il n’était plus lucide pour mener des débats sur un sujet aussi «sérieux». Les deux parties n’y ayant pas vu d’inconvénient, le dossier a été renvoyé au 20 novembre pour une bonne administration de la justice et une sérénité des débats.
A.D.
J. B. K.