Chers amis et amies panafricanistes, héritiers et héritières des idéaux de sa Majesté l’Empereur Hailé Sélassié, héritiers et héritières de ceux du grand Osagyefo Kwame Nkrumah, de Gamal Abdel Nasser, de Julius Nyerere, d’Ahmed Sékou Touré,de Samora Machel, d’Amilcar Cabral, d’Augustino Neto, de Ben Bella, de Marcus Garvey, de William Tubman, de Booker Washington, de William Dubois, de Georges Padmore, de Patrice Lumumba, de Thomas Sankara et j’en passe…
Chers sœurs et frères,militantes et militants de la Renaissance Africaine, vivant aux quatre coins de notre continent ; mais aussi au-delà des océans, issus de cette géographie éclatée à laquelle tous nous appartenons, je m’adresse à vous. Je vous salue, vous aussimes sœurs et frères, éparpillés par les vicissitudes de l’Histoire. Douloureuse séparation entre frères, entre sœurs, entre enfants et parents aux destins pourtant communs !
Voici cinquante années que l’Organisation de l’Unité Africaine, aujourd’hui Union africaine, a vu le jour sur les terres africaines d’Ethiopie. Ces terres belles, généreuses et libres qui accueillent le siège de l’organisation depuis un demi-siècle déjà. Cinquante années, déjà ! Cinquante années de vie commune : quelle longévité dans un environnement où l’obsolescence programmée est devenue un théorème régissant les œuvres de conception et de construction humaine ! L’Union de l’Afrique, nos mères et nos pères fondateurs, le rêvaient et leur rêve chaque jour que le soleil se lève et se couche devient réalité mais certainement pas au rythme voulu. Ils ont rêvé et se sont battus pour que leur rêve se concrétise. Certains, pour cela, sont allés jusqu’à consentir le sacrifice suprême, en donnant le bien le plus précieux qu’ils avaient, leur vie.
C’est tout cela que nous commémorons aujourd’hui. Nous le faisons parce que toutes les sociétés humaines ont toujours incrusté dans le cours de leur Histoire, des repères, moments et lieux de référence, la nécessité de se ressourcer à partir du point de départ pour envisager un nouveau cycle.
Aussi,célébrons-nous,cette année, en ce 25 mai, non seulement une séquence significative de notre histoire millénaire foisonnante de péripéties diverses et variées, célébration du cinquantenaire, acte hautement symbolique, mais également, ne s’agit-il pas de pousser,à cette étape, un moment de ferveur et de solennité dans le cours tumultueux de l’Histoire pour déployer de nouvelles énergies ?
Ce faisant, nous nous érigerons en artisans et artisanes d’un futur à oser inventer sans cesse, à modeler en orfèvre, à tailler, à ciseler, une œuvre d’art à laquelle imposer la forme, le tour, les contours de l’esthétique et de la fonctionnalité que nous lui voulons.
La célébration des 50 ans de l’existence de l’OUA/UA a été placée sous le thème « Panafricanisme et Renaissance africaine » : occasion de réfléchir non seulement sur ses réalisations et ses perspectives, mais également sur les défis auxquels le continent continue d’être confronté en matière d’intégration et de développement socioéconomique, une occasion d’affermir notre objectif de réalisation d’une Union des peuples, de développer les stratégies en cours dans l’approche informative et éducative de nos citoyens et citoyennes sur la vision de l’Unité africaine et du Panafricanisme. C’est dans cette perspective que j’ai souhaité partager avec vous, à travers ces propos,les pensées qui m’animent en cette illustre journée de retrouvailles.
Chères sœurs, chers frères, chère jeunesse militante, chers travailleurs et travailleuses, chers paysans et paysannes, chers ouvriers et ouvrières, chers africains et africaines des villes et des campagnes, du continent et de la diaspora, l’OUA/UA a aujourd’hui 50 ans ! Il est certainement lointain le temps où naquit le Panafricanisme, mouvement de pensée précurseur ou inspirateur ! Loin le temps où Henry Sylvester Williams ; écrivain et avocat de Trinidad lâcha pour la première fois ce mot dans un congrès à Londres pour affirmer l’essence d’une idéologie liée à la conscience d’une origine commune des noirs des Caraïbes et des Etats-Unis, une idéologie d’orientation des luttes communes, individuelles et collectives, contre la ségrégation raciale. Williams s’insurgeait alors contre l’expropriation des terres des noirs sud-africains par les européens et clamait le droit des noirs à disposer d’eux-mêmes.
William E. Dubois, plus tard, lui également appellera à l’Union de tous les peuples d’Afrique pour une plus grande force dans le cadre d’un Code International. Et tout cela pour la revendication des droits à l’autonomie graduelle et à l’indépendance d’une communauté, celle à laquelle nous appartenons, celle des nombreux descendants d’Afrique dont nous nous revendiquons.
Il est aussi lointain le temps où les pères fondateurs et mères fondatrices de l’OUA, ceux et celles que j’appelle les « bâtisseurs de l’Aurore », se faisant l’écho des aspirations profondes de nos peuples, portaient sur les fonts baptismaux notre organisation continentale en Mai 1963. A l’époque, ils instruisaient déjà le fait de l’inéluctable nécessité de nous mettre ensemble. L’un d’eux, Kwame Nkrumah, disait avec clairvoyance ceci :
Si nous n’abordons pas les problèmes de l’Afrique avec un front commun et une résolution commune, nous perdrons notre temps en marchandage et en arguments vides jusqu’au moment où nous serons de nouveau colonisés et nous serons devenus des instruments d’un colonialisme bien plus puissant que celui dont nous avons souffert jusqu’à présent.
C’est ici le lieu de rappeler que pendant l’avènement de notre organisation, nos mères et pères fondateurs mettaient l’accent sur la nécessité de libérer le continent du joug du colonialisme. Leur détermination, la force de leur engagement ont servi de levain et de levier dans les luttes qui ont été menées pied à pied pour qu’aujourd’hui dans toute l’Afrique ou presque, nous jouissions de notre indépendance, de nos facultés entières d’autodétermination et de notre souveraineté.
Mais, visionnaires, ils avaient aussi élaboré un plan d’action, un plan guide dont la stratégie d’approche aujourd’hui nous éclaire notamment avec ces recommandations pour la mise en œuvre d’organes.
1) une commission chargée d’élaborer une Constitution pour un gouvernement d’union des Etats africains ;
2) une commission chargée d’élaborer un plan d’envergure continentale qui organiserait un programme économique et industriel unifié et commun pour l’Afrique ; ce programme doit comporter des propositions sur la création :
a) d’un marché commun pour l’Afrique ;
b) d’une monnaie africaine ;
c) d’une zone monétaire africaine ;
d) d’une Banque centrale africaine ;
e) d’un système continental de télécommunications ;
3) Une commission chargée d’élaborer un plan détaillé de politique extérieure et de diplomatie commune ;
4) Une commission chargée de présenter des plans de systèmes communs de défense ;
5) Une commission chargée de présenter les propositions de création d’une citoyenneté africaine commune.
Depuis ce jour mémorable, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Je ne voudrais pas qu’ici soit le lieu de dresser une liste de victoires éclatantes ou mitigées, de m’attarder à égrener les succès que notre organisation a engrangés, ni de me complaire dans les jérémiades sempiternelles auxquelles l’on a coutume de se livrer dès lors que l’on évoque les insuffisances et échecs.
Nous savons que nous venons de loin : plusieurs siècles d’esclavage, des décennies de colonisation, et comme le poète le dit, les pas que nous faisons sont nécessairement des pas de géant : « Un pas, encore un pas, encore un autre pas et tenir gagné chaque pas. »
Mes sœurs et frères, mes pères et mères,c’est aussi face à l’impérieuse nécessité de l’exécution de pas nouveaux, puisque chaque génération a le devoir de continuer la marche, que je vais remuer notre quiétude, nous titiller.
1) LE PANAFRICANISME ET LA RENAISSANCE AFRICAINE c’est d’abord la conviction de la réalisable utopie africaine
La Renaissance africaine que nous appelons de toutes nos forces et que nous appuyons de toutes nos énergies constructives est étroitement liée à la vision politique et idéologique que nous avons de notre continent.
Elle dresse, au centre de nos réflexions et de nos agissements, la problématique de l’adéquation, des constructions idéologiques et politiques que nous élaborons, avec les aspirations profondes des peuples d’Afrique.
Il est bien entendu que chaque pays, chaque peuple, à sa manière et selon ses propres codes, a revisité l’état colonial hérité des affres de notre histoire, en a dressé après diagnostic les limites et a tenté de substituer avec plus ou moins de bonheur, à ce qui paraissait se situer dans le continuum d’une ère d’exploitation, une forme de gouvernance adéquate et en fonction de ses réalités du moment.
Sur ce plan, se dresse un constat : de façon générale, notre destin de phœnix jusque-là nous guide. Et des questions subsistent également : qu’a t-on fait des aspirations de nos peuples en marche ? Où a t-on placé le bonheur de nos peuples ? Et, ce sont les réponses insatisfaisantes à ces interrogations légitimes qui nous dictent l’impératif de la Renaissance.
Nous devons renaître ! Renaître à nous-mêmes et il ne devrait pas s’agir d’un slogan creux. Comment donc renaître à nous-mêmes aussi en politique ? Comment renaître à nous-mêmes psychologiquement ? Comment nous débarrasser de nous-mêmes en expurgeant nos complexes avilissants, nos tares paralysantes ? Quelles sont les voies à scruter, à proposer, à emprunter à nos formes de gestion de nos sociétés traditionnelles, aux propositions que le monde nous suggère ? Le poète Aimé Césaire en paraphrasant l’un de nos héros célébrant l’indépendance du Congo a dit ceci :
« Congo, notre mère
Et surtout Kongo, notre enfant,
L’enfant de nos veilles, de nos souffrances, de nos combats.
Camarades et frères de combat, que chacune de nos blessures se transforme en mamelle !
Que chacune de nos pensées, chacune de nos espérances soit rameau à brasser à neuf, l’air !
Pour Kongo ! Tenez. Je l’élève au dessus de ma tête ;
Je le ramène sur mon épaule.
Trois fois je lui crachote au visage
Je le dépose par terre et vous demande à vous : en vérité, connaissez-vous cet enfant ? Et vous répondez tous ; c’est Kongo, notre roi !
Belle envolée lyrique que je ne puis me permettre d’analyser ici ! Mais s’impose à moi ces brûlantes interrogations : Où plaçons-nous l’Afrique ? Où la tenons-nous dans nos rêves, nos actions, nos pensées ? Où tenons-nous ce trésor légué par nos parents, nos ancêtres, et dont nous tous en tant que leadership, jeunes et vieux, femmes et hommes conscients du bonheur de nous tous, avons la garde, puisque nous en avons l’usufruit ?
La Renaissance africaine ce sera notre capacité à réaliser l’utopie que nos peuples nous dictent. Ce sera dans la force de penser et d’agir de sorte à construire une société où tout citoyen mérite liberté, dignité et respect ; une société où toute femme est égale à tout homme dans ses droits et devoirs ; où tout enfant rencontre les conditions de son éducation scolaire, les conditions de sa protection au plan sanitaire ; où tout jeune rencontre les conditions d’un emploi décent pour ne pas être tenté de s’embarquer dans l’aventure de l’émigration ;une société où tout citoyen participe à la recherche des solutions aux problèmes communs ;une société performante où l’utilité marginale de chaque individu est optimisée ; une société où, pour le principe de la dignité, n’existe ni mendiant, ni prostituée ; une société de solidarité où chaque membre est à l’écoute de l’autre ; une société où tout homme et femme libre et digne possède un toit où s’abriter, possède sa nourriture quotidienne suffisante, rencontre les conditions de son épanouissement intellectuel et culturel, vit dans la paix, éprouve la nécessité de préserver son intégrité et son altérité à la fois.
Cette prouesse là, nous en sommes tous capables, au-delà de toutes les constructions organiques constitutionnelles ou non, les orientations et choix de politiques possibles et divers. Le jeu politique qui devrait être rassembleur, hélas a bien tendance à se muer en un jeu de positionnement sectaire, ethnique et pire clanique qui fait fi du sentiment nationaliste panafricaniste. Mon vœu le plus ardent c’est que la balkanisation territoriale dont nous avons fait l’objet (et pour preuve les guerres civiles nombreuses qui démontrent que les histoires de famille ne sont pas encore refaites) ne nous prédispose pas à une balkanisation de la volonté de croître, ensemble.
L’Afrique a toujours été marquée par le destin du phœnix. Elle a résisté à tous les assauts meurtriers de l’adversité ; elle a toujours su renaître de ses cendres en puisant en elle-même ses ressources pour opérer la résilience et la transformation.
2) LE PANAFRICANISME ET LA RENAISSANCE AFRICAINE nous imposent une nouvelle approche de notre économie
Parmi les « bâtisseurs de l’Aurore », l’un d’eux encore a dit ceci : « Les ressources sont là. Il nous appartient de les mobiliser pour les consacrer au service actif de nos peuples. Si nous ne le faisons pas au moyen d’efforts concertés, dans le cadre de notre planification commune, nous ne progresserons pas au rythme qu’exigent les évènements d’aujourd’hui et la volonté de nos peuples. Les symptômes de nos troubles ne feront que croitre et ces troubles eux-mêmes deviendront chroniques. C’est alors qu’il sera trop tard même pour que l’Unité panafricaine, nous assure la stabilité et la tranquillité, dans les efforts que nous déployons pour créer un continent de justice sociale et de bien-être matériel. Si nous ne créons pas dès maintenant l’Unité africaine, nous qui siégeons ici aujourd’hui, nous serons demain les victimes et les martyrs du néo-colonialisme… Notre continent est probablement le plus riche du globe, au point de vue de la production de minéraux et de matières premières pour l’industrie et l’agriculture… Très certainement, notre continent dépasse tous les autres dans son potentiel d’énergie hydro-électrique…Evidemment, on dit que nous n’avons pas de capitaux, de techniques industrielles, de voies de communication, de marchés intérieurs, et que nous ne parvenons même pas à tomber d’accord entre nous sur la meilleure façon d’utiliser nos ressources pour nos propres besoins sociaux… Et pourtant toutes les bourses du monde se préoccupent de l’or, des diamants, de l’uranium, du platine, des minerais de cuivre et de fer qui existent en Afrique. Nos capitaux coulent en véritables torrents pour irriguer tout le système de l’économie de l’Occident… Et nous sommes assis ici à parler de régionalisme, de progression graduelle, d’une étape après l’autre. Avez-vous peur de saisir le taureau par les cornes ?
Certes, les temps ont changé. C’est la loi de la dialectique que les temps changent.Ces temps modernes nous plongent de fait dans un monde globalisé. Et c’est difficilement que nous pouvons échapper à l’économie du marché même si nous lui connaissons un visage largement inhumain et que les crises structurelles, financières et finalement sociales mettent à nu dans le monde entier.
Devrons-nous nous arrêter et contempler bouche bée l’irrésistible marche du monde ? Il y a bien longtemps que nos structures communautaristes à économie de subsistance autarcique et de troc ont éclaté, au nom d’un certain type de développement. Le mouvement du monde nous y a poussés. La dette nous a secoués, asphyxiés pendant plusieurs décennies. Je ne reviendrai pas ici dans mon propos, m’embourber dans ses méandres et celui de ses implications et conséquences notoires, secrets pour personne. La dépendance de notre économie vis-à-vis des capitaux étrangers nous a minés, à l’instar des programmes qui les ont accompagnés.
Il me serait bien loisible de me dresser contre les faiseurs d’augures qui du haut de leurs observatoires et miradors scrutent l’Afrique au peigne fin, épient ses moindres gestes, élaborent des pièces de prédictions catastrophiques ou laudatives dignes d’horoscopes et tarots. Mais force est de reconnaître aussi les bienfaits de la mondialisation dans notre économie. Ces récentes décennies nous ont projetés vers un développement conséquent, une réorientation et une diversification de nos pôles d’échanges. L’investissement afflue, soutenue par la création de différents fonds privés ou souverains. Certains de nos pays locomotifs, tels que le Nigeria, l’Afrique du Sud et bien d’autres connaissent un taux de croissance louable. Si la croissance économique du continent, aété de 5,5% en moyenne depuis 2000, elle atteindra sans doute selon les prévisions 6,2% en 2013, un rythme deux fois plus élevé que celui de la population.
Six des dix pays connaissant la plus forte croissance dans le monde sont en Afrique, dont le Nigeria (7,4%) et la Côte d’Ivoire (8,5%). La richesse par habitant a crû de 3,5% par an depuis une décennie. « Huit lions africains affichent un revenu par habitant de 10 000 dollars (7832 euros), supérieur à celui des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). L’inflation est contenue à 8%. La balance commerciale est excédentaire de 4% du produit intérieur brut(PIB). Le déficit et la dette publics sont limités à 2% et 33% du PIB… Les investissements internationaux ont doublé dans les années 2000 et progressent de 30% par an » Une véritable révolution économique que nous devons tenir pas à pas, tenir gagné à chaque pas en diversifiant davantage les secteurs de notre économie, en ayant davantage la maîtrise de l’exploitation de nos ressources minières, la maîtrise des nouvelles technologies, en créant des infrastructures qui nous permettent de nous décloisonner et qui fluidifient les échanges entre nous, en accélérant et fortifiant les politiques d’intégration sous régionaleset régionales de nos économies.
Pour veiller au maintien de cette croissance, il sera nécessaire de pourvoir à la stabilité du continent. La paix reste et demeure une condition primordiale. Elle n’est pas juste un état de non guerre. Elle est davantage présence de la justice c’est aussi et encore faire en sorte que les peuples puissent se nourrir, se soigner, se loger, se vêtir, s’éduquer…
La démographie croissante caractérisée par une population de plus en plus jeune, exige de nous une meilleure planification de nos ressources, une meilleure urbanisation de nos villes, devenues centres importants de consommation, de fortifier les acquis, de créer au sein de notre continent un véritable marché du « produisons ce que nous consommons, consommons ce que nous produisons »,etc. La vie, la survie ne peuvent être possible que s’il y a une obligation de chacun à protéger l’autre, à cultiver son humanité en l’autre au lieu de la détruire.
C’est pourquoi nous devons faire en sorte que l’exigence du développement qui impose une mobilisation des capitaux, ait pour baromètre le devoir de veiller à ne pas créer nous-mêmes des goulots d’étranglement dans une course effrénée du développementisme, suggérée et orchestrée parfois dans les officines étrangères mues par des intérêts étrangers aux nôtres.
Il est quand même assez paradoxal qu’étant le continent qui fournit au monde une grande partie de matières premières, nous n’en ayons pas la maîtrise des unités de transformation, la maîtrise des technologies qu’elles permettent de générer, d’impulser, le bonheur d’en jouir à l’instar des autres qui nous revendent les produits finis à des taux bien au-delà de nos bourses.
En nous mettant ensemble, nous pourrons générer à l’échelle régionale ou continentale, plus d’unités de recherche technologiques de pointe, de grandes usines de lourde sidérurgie, des unités de transformations alimentaires, etc.
3) LE PANAFRICANISME ET LA RENAISSANCE sont aussi les leviers d’une révolution des consciences, une révolution culturelle
La Renaissance est pour nous le mouvement inéluctable du défi à l’existence, à la vie. Et notre postulat idéologique le panafricanisme, c’est de nous unir. Il s’agit de l’unité de tous les peuples de ce continent du nord au sud, de l’est à l’ouest, l’unité des bras vigoureux d’hommes et defemmes, la mutualisation des intelligences, de nos savoirs faire, de nos volontés créatives… Exister dans la conscience de nous-mêmes, pour exister en tant qu’Histoire, mémoire, culture, force de proposition, stratégies et prospective.
Le panafricanisme que nous célébrons aujourd’hui, n’est pas juste ce mouvement du cœur, mouvement émotionnel, je dirais même mu par l’instinct grégaire et identitaire d’appartenance à une même communauté géographique et de destin. Il est plus que cela, et devra se conjuguer davantage comme une philosophie de la vie. Il s’agit d’être nous-mêmes, de revenir à nous-mêmes, au centre de nous-mêmes ; de refuser de nous éloigner constamment de nous, de refuser de tourner à la périphérie de nous-mêmes pendant que les autres nous font vivre et subir leur regard sur nous. D’aucuns, parmi nos jeunes militantes et militants inventifs,parleraient d’Africentricité.
Emile Cioran du haut de sa sagesse légendaire a dit ceci « Chaque civilisation croit que son mode de vie est le seul bon et le seul concevable, qu’elle doit y convertir le monde ou le lui infliger ; il équivaut à une espèce l’altérocide, en fait un impérialisme élégant, mais qui cesse de l’être aussitôt qu’il s’accompagne de l’aventure militaire. On ne fonde pas un empire seulement par caprice. On assujettit les sujets pour qu’ils se modèlent sur vous, sur vos croyances et vos habitudes vient ensuite l’impératif pervers d’en faire des esclaves pour contempler en eux l’ébauche flatteuse ou caricaturale de soi-même. »
Il n’est plus de doute que les sociétés qui ont été véritablementcolonisées finissent par intégrer les patrons, les schémas et modèles hiérarchiques et les représentations définies par le maître colonisateur. Ainsi elles organisent leurs systèmes de représentation à partir d’un système dédié à une mission d’exclusion et de déshumanisation.
Nos systèmes d’éducation pour la plupart ne permettent pas la remise en cause de ces mauvais acquis. Nous finissions par nous constituer en double victimes de la même mission prétendue civilisatrice que nous sublimons, méconnaissant nos cultures et les valeurs qui les fondent, notre propre Histoire, nos propres technologies, nos sciences et nos savoirs faire endogènes.
C’est pourquoi, dans la lancée de notre mouvement de recapitalisation des consciences et des valeurs positives, nous devons nous atteler à opérer des ruptures significatives, à déconstruire l’épais tissu de préjugés qui nous enveloppe, à construire notre subjectivité collective d’africains ; être tout simplement ce que nous sommes sans solliciter constamment le regard des autres sur nous. L’éducation de notre jeunesse aux valeurs de dignité, de courage, d’intégrité, de solidarité, de fermeté, d’abnégation, de probité, d’excellence, de créativité, d’inventivité, d’innovation, d’amour du travail, devra être notre cheval de bataille !
D’aucuns penseraient que les structures mentales et les croyances dans nos sociétés traditionnelles constituent, à certains égards des forces qui bloquent ou freinent l’avènement de véritables sociétés modernes. L’on ne pourra noter que l’arrogance d’un point de vue qui ignore le caractère pluraliste et riche de nos cultures. Comment donc pourrait-on s’auto-définir avec fierté, si l’on fait table rase de notre mémoire et cela dans un monde permanemment en évolution ? Le regard sur le passé permet de redéfinir notre dignité et de remodeler la conscience individuelle et collective, afin de mieux affronter les effets aliénants d´une communauté internationale d´interdépendance de plus en plus aigüe.
Se réapproprier sa propre Histoire, l’écrire soi-même. Lorsqu’elle est écrite par les vainqueurs, elle est faite pour leur servir. Comment donc ne pas interroger nos cultures, nos arts, nos philosophies, nos modes de pensée pour y rencontrer des points d’ancrage de notre identité, pour élaborer dans le processus de la connaissance de nous-mêmes une nouvelle épistémologie ?
Le temps est venu de s’élever contre la pensée unique des sociétés unidimensionnelles qui tendent à se cristalliser sur des dogmes, des aprioris, des préjugés. L’heure urge où le génie créateur des peuples africains doit être libéré, où nous seront fiers et dignes d’être nous-mêmes ! Et le monde s’enrichira davantage de la pluralité de ses composantes !
Nous avons installé sur un piédestal, l’élite acculturée qui s’est petit à petit constitué comme une mousse au dessus d’une matière liquide en ébullition, je dirai plutôt une crème nageant presque en état d’apesanteur, petite bourgeoisie intellectuelle ou classe moyenne, complètement sans relation avec les masses populaires, une élite surévaluée qui souvent ne trouve pas réponse à nos véritables problèmes de sociétés faute d’engagement nationaliste.
Comment ne pas générer au sein de nous-mêmes un pessimisme chronique, dès lors que les prouesses se limitent à la reproduction des schémas extérieurs à nos cultures,étrangers à nos valeurs, nos philosophies, une culture de mimétisme inconscient et de couardise, de désarroi identitaire, d’auto-négation et de mépris de soi-même, une culture de disqualification et de haine de soi-même ?
Chères sœurs, chers frères, mon propos ne pourra jamais être exhaustif quand à vouloir identifier tous les défis, les enjeux, que nous devrions mieux connaître, mieux maîtriser pour mieux nous organiser à y faire face et nous engager efficacement au service de nous-mêmes.
Nous devons avoir de grands rêves et savoir les tenir à partir d’une vision prospective concertée. Concertée oui ! Si nous ployons assez souvent face aux entraves, aux obstacles dressés sur notre chemin, c’est non seulement parce qu’au lieu d’ériger les entraves en défis à relever, nous en faisons des obstacles insurmontables ; mais aussi parce que nous nous tenons seuls face à l’adversité.
C’est par la réunion de nos forces, la mutualisation de nos acquis et la conjonction de nos intérêts communs que nous pourrons relever le défi.Notre Histoire est jalonnée de moments mémorables d’indéniables succès, chaque fois que nous nous sommes mis ensemble pour revendiquer, proposer, lutter, mettre en œuvre sereinement des décisions que nous avons prises ensemble, chaque fois que nous avons réussi à faire un pas en avant, à nous vaincre nous-mêmes, à tailler dans l’épaisse frondaison d’obstacles, une clairière pour le bonheur de nos peuples.
Faisons en sorte que cet événement du cinquantenaire que nous célébrons, soit l’avènement d’une vision nouvelle pour l’Afrique, et l’Afrique dans le Monde. Et, au-delà, nous devons faire ici et maintenant le serment de notre engagement à construire cette Afrique où règnent la prospérité et la paix et respectée sur la scène internationale.
Vive la Renaissance Africaine !
Vive le Panafricanisme !
Vive l’Afrique !
Bonne fête à toutes et à tous !
Jean-Baptiste NATAMA
Directeur de Cabinet
Union africaine