Ancien bâtonnier du Sénégal, Me Yérim Thiam est l’un des avocats du général Djibrill Bassolé dans le dossier du putsch manqué de septembre 2015. C’est aussi lui qui défend les intérêts de Léonce Koné et d’Hermann Yaméogo dans cette même procédure judiciaire. Venu défendre ses clients à l’audience de mise en accusation devant la chambre de contrôle de l’instruction, l’avocat a accepté de se prêter à nos questions. Dans cet entretien qu’il nous a accordé au téléphone le 07 novembre 2017, il nous a dit ce qu’il pense du travail du magistrat instructeur et a soutenu que deux de ses clients, Léonce et Hermann, sont poursuivis pour des délits d’opinion. En attendant que le général Bassolé comparaisse à l’audience de mise en accusation, l’avocat n’a pas voulu s’étendre sur son cas, préférant réserver ses arguments à la chambre de contrôle.
Depuis quand êtes-vous constitué dans ce dossier ?
Je suis constitué par Léonce Koné, Hermann Yaméogo et le général Djibrill Bassolé, pratiquement depuis l’enquête préliminaire, depuis le début de l’instruction lorsque mes clients ont été entendus par les gendarmes sur commission rogatoire.
Vous les connaissiez avant ou comment avez-vous été contacté pour être leur avocat ?
Je connaissais Hermann et Léonce, qui sont des amis d’enfance et de la faculté. C’est pourquoi ils m’ont fait appel. Quant à Monsieur Bassolé, ce sont des connaissances à lui qui lui ont suggéré de me faire appel.
Le général Bassolé est en résidence surveillée. Vous avez certainement pu le rencontrer, comment se porte-t-il ?
Je n’ai pas encore eu le temps de lui rendre visite depuis qu’il est en résidence surveillée. On m’a dit qu’il est extrêmement difficile pour les avocats de le rencontrer. Il y a un énorme travail à préparer, car le juge d’instruction avait interdit aux avocats étrangers, même ceux ressortissants de pays de la CEDEAO, d’avoir accès au dossier, donc j’ai énormément de retard à rattraper dans l’étude de tout le dossier.
Mais dans le texte encadrant la résidence surveillée, il est dit que les avocats de Bassolé ont accès à lui sans limite…
Oui, mais il y a des difficultés, vous connaissez les militaires, il y a accès à lui sans limite sauf qu’on prend vos téléphones, vos appareils électroniques, donc il y a quand même des limites. Avant de repartir, si le temps me le permet j’irai le voir. De toute façon avant l’audience de confirmation des charges qui le concerne, j’irai le voir.
Comment occupe-t-il ses journées dans sa résidence surveillée ?
Je ne saurais vous le dire, puisque je ne lui ai pas encore rendu visite. Je l’ai rencontré à l’audience du 25 octobre et il avait l’air de se porter aussi bien que possible dans son état de santé.
Comment se passe l’audience de mise en accusation ?
Ça se déroule bien. Le président de la chambre mène les débats. Les différentes parties sont là et chacune argumente sa position.
On n’est pas dans le secret de l’instruction, mais en dehors des fameuses écoutes téléphoniques, y a-t-il des griefs retenus contre le général Bassolé ?
Si vous voulez, on va attendre que l’audience qui concerne Djibrill Bassolé passe. Je ne peux pas vous répondre sur ce qu’on lui reproche de manière générale. Attendez que j’aie l’exposé du parquet militaire en ce qui concerne le général Bassolé et après je pourrai vous répondre.
Concernant Me Hermann Yaméogo et Léonce Koné, qu’est-ce qu’on leur reproche ?
Le juge d’instruction a retenu à leur égard la complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat et prononcé un non-lieu pour tous les autres chefs d’inculpation. Mais le parquet a demandé qu’on retienne aussi la complicité de meurtre et la complicité de dégradation aggravée.
Le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro, est pratiquement mis hors de cause dans cette affaire d’écoutes téléphoniques, ce qui n’est pas le cas pour son correspondant à l’autre bout du fil. Qu’en pensez-vous ?
Qui vous dit que le général Bassolé était le correspondant de Soro au bout du fil ? J’ai beaucoup à dire sur ces écoutes téléphoniques, jusqu’à présent, je ne sais pas comment le juge d’instruction a pu obtenir ce document, je n’ai jamais vu cela. Une écoute téléphonique est ordonnée par un juge d’instruction, il y a une ordonnance à ce sujet, mais je ne l’ai jamais vue. Laissez-moi plaider le dossier d’abord et je vous donnerai mes arguments. C’est bien qu’ils nous disent que le général Bassolé a été le correspondant de Guillaume Soro, mais je n’en sais absolument rien. Ce dernier l’a contesté d’ailleurs. Il y a assez d’aberrations dans ce dossier, mais je vous en dirai beaucoup plus après. Laissez-moi réserver mes arguments à la chambre de contrôle.
Pourtant Bassolé est présenté par certaines personnes comme le véritable cerveau du putsch, et cela a été écrit dans certains journaux de la place. Que répondez-vous à ces affirmations ?
Je veux bien, mais les journaux en question je ne les ai pas lus, je ne connais pas leurs arguments ; cependant je serais bien étonné de trouver un argument qui compte. Comment peut-il en être le cerveau ? Vous savez comment l’affaire a débuté : ce sont les membres du RSP qui en avaient assez des agissements de Zida, lequel, soit dit en passant, a pris la fuite et n’est pas là pour soutenir les affirmations qu’il a faites à la gendarmerie, qui se sont spontanément levés et le général Diendéré a dit qu’il assumerait les responsabilités des actes du RSP. Comment le général Bassolé, qui n’était en rien dans le RSP, qui n’a été informé de rien, peut en être le cerveau ? Je ne sais pas qui manipule ce genre d’informations, qui les distille, mais franchement ça ne repose sur rien, attendez qu’on plaide le dossier publiquement. Sur ces affirmations qui tendent à dire que le général Bassolé est le cerveau de cette affaire, j’ai un seul commentaire : ridicule.
Le général Gilbert Diendéré a exigé que certains chefs militaires de l’époque soient inculpés. Votre client est-il solidaire de cette démarche et pourquoi ?
Non, je ne demande pas qu’ils soient inculpés. Par contre je ne peux pas vous dire ce que je vais plaider pour le général Bassolé à l’audience qui le concernera puisque la date de celle-ci n’est même pas encore précisée.
Mais pour Léonce Koné et Hermann Yaméogo, j’ai demandé effectivement que le général Pingrenooma Zagré, chef d’état-major des armées, que tout le monde a vu au garde-à-vous derrière le général Diendéré lorsqu’il recevait les chefs d’Etat de la CEDEAO avec à leur tête le président Macky Sall, soit entendu ; j’ai des questions à lui poser. Pourquoi le juge d’instruction a décidé de ne pas l’entendre ? Pour ce qui est des autres militaires, je ne peux rien dire, je ne sais pas pourquoi l’avocat de Diendéré a demandé leur inculpation.
Il y a eu un incident entre vous et le procureur militaire au sujet de la mise à disposition de pièces du dossier. Racontez-nous ce qui s’est réellement passé.
Non, ce n’est pas le procureur militaire, c’est la Cour qui a ordonné que le dossier nous soit communiqué et que nous puissions le consulter sur place. Ç’a été la cause d’un premier renvoi parce que le dossier ne nous avait pas été communiqué ; ensuite, on a constaté que certaines convocations n’avaient pas été faites par le parquet militaire. C’est ce qui a fait l’objet d’une seconde demande de renvoi ; puis après, personnellement, j’ai constaté qu’il manquait une expertise très importante dans le dossier qui avait été escamotée soi-disant, d’après ce que le directeur m’avait dit, que c’était une pièce trop volumineuse. Donc nous avons obtenu un renvoi parce que le dossier ne nous était pas communiqué en entier. Après, lorsque nous avons eu communication de cette expertise, le tribunal nous a laissé quelques jours et l’affaire a été retenue pour la première fois le 25 octobre.
Comment appréciez-vous dans son ensemble la procédure judiciaire engagée dans le cadre du dossier du coup ?
Il y a deux phases dans cette procédure. La première a été l’instruction proprement dite. Nous avons dit à la chambre de contrôle ce que nous pensions du travail du juge d’instruction. Et je peux vous dire que ce n’est pas une injure ; concernant la seconde, qui est la phase terminale devant la chambre d’accusation, nous pensons que globalement les choses se passent correctement, même si nous avons un ou des griefs que nous soumettrons à la Cour de cassation plus tard. Mais globalement, la chambre de contrôle, en dehors d’un ou deux griefs, conduit la procédure en respectant les droits de la défense. Il y a des choses que nous soumettrons à la Cour de cassation mais je ne peux pas vous dire de quoi il s’agit. Pour le reste, le travail du juge d’instruction est très bâclé, et ce juge qui avait estimé que les avocats dits étrangers, dans lesquels ils englobaient les avocats de la CEDEAO, ne pouvaient ne pas assister leurs clients devant lui a été blâmé par la Cour de cassation. Ce n’était pas de sa compétence de dire si les avocats peuvent se constituer et, d’autre part, il a eu tort puisque les avocats de la CEDEAO ont le droit de se constituer et qu’ensuite, les avocats français, vu les conventions internationales, ont le droit également de se constituer.
Ensuite, en ce qui concerne Léonce Koné et Hermann Yaméogo, le juge d’instruction n’a pris aucune ordonnance disant que je ne pouvais pas me constituer. Or j’étais constitué, mais il ne m’a jamais convoqué. Vous pensez que c’est un travail sérieux, ça ? Un avocat qui est régulièrement constitué, mais il ne le convoque pas ! C’est de la fraude manifeste aux droits de mes clients.
Vous soutenez toujours que vos clients sont poursuivis pour délits d’opinion ?
Avant le coup d’Etat, je me suis battu jusqu’à la CEDEAO, j’ai obtenu une décision favorable enjoignant à l’Etat du Burkina Faso de renoncer à l’exclusion. Il est arrivé un coup d’Etat que je n’ai pas sollicité. Celui qui a fait le coup d’Etat prend la parole et dit qu’il faut l’inclusion. Si on me dit, est-ce que vous condamnez ce coup d’Etat, je dis non. Chacun a le droit d’avoir une opinion. S’il y a un coup d’Etat dans un pays, je peux en dire que je suis content ou que je ne suis pas content même si je ne suis pas citoyen de ce pays. C’est scandaleux, partir du fait que quelqu’un qui a dit je ne condamne pas le putsch et a passé tout son temps à lutter contre l’exclusion est coupable. C’est révoltant. Quant à ce qui concerne Bassolé, je vous en dirai plus une fois qu’il sera passé devant la chambre de contrôle.
Au rythme où vont les choses, l’audience de confirmation des charges risque de durer. Est-ce à dire que vous avez momentanément emménagé à Ouagadougou ?
Non, parce que moi, mes clients ont été entendus. Il reste le général Bassolé. J’attends qu’on fixe la date du procès pour m’installer à Ouagadougou…
Lors de vos passages à Ouagadougou, est-ce que vous avez le temps de sortir un peu et de goûter au poulet bicyclette ?
(Rire). Evidemment. J’adore ça.
Entretien réalisé par
San Evariste Barro
Aboubacar Dermé
Hugues Richard Sama