C’est un signe des temps. Même les monarques dédaignent désormais le règne à vie, qui est pourtant l’essence même du pouvoir monarchique. Ils se mettent eux aussi à l’alternance, à l’instar des dirigeants démocratiquement élus, en abdiquant. L’abdication du roi Albert II de Belgique est la dernière en date d’une série de départs anticipés de personnalités appelées à régner à vie. Le coup d’envoi en a été donné par le premier responsable de l’Eglise catholique. On avait en son temps parlé de « renoncement ». N’empêche que son acte provoqua un séisme dans l’univers catholique, tant il est rarissime. Puis suivit la reine Beatrix des Pays-Bas. En moins de deux ans, on a donc assisté à trois passations de pouvoir anticipées au sein d’institutions où les longs règnes sont la règle. Le phénomène a même dépassé les frontières européennes, pour s’étendre au Qatar, où l’émir a passé la main à son fils. Phénomène de mode ou changement de fond ? Visiblement, en ce qui concerne les monarques européens, c’est le départ d’une nouvelle ère. Les rois, bien qu’ils n’aient de pouvoirs réels, ne veulent sans doute plus passer pour des personnages ringards, dans des sociétés où tout se renouvelle à une vitesse grand V. Ils épousent ainsi de plus en plus leur temps.
Ces abdications en cascades doivent interpeller les rois africains. Il y a d’abord les rois de la tradition. Ils détiennent certes leur pouvoir de père en fils, selon un timing et un scénario de succession écrit d’avance et bien huilé (encore que des guerres de succession sont légion en raison surtout de la politisation de cette chefferie). Mais ils doivent cesser de croire qu’il s’agit d’un pouvoir divin qui leur donne tous les droits, y compris celui de vie ou de mort sur leurs sujets. A défaut d’alternance, comme on le voit en Europe, le pouvoir traditionnel doit se moderniser davantage. Ce qui suppose qu’il se mette en marge de la politique, pour ne s’occuper que de certains aspects de la vie sociale. Car le mélange des genres ne permet pas souvent de faire la part des choses entre monarchie et République. Mais il faut se rendre à l’évidence, cette immixtion du traditionnel dans la sphère politique perdure du fait des hommes politiques eux-mêmes, et notamment des dirigeants au pouvoir. Tant que l’instrumentalisation de cette chefferie à des fins politiciennes et électoralistes sera de mise, le cordon ombilical ne pourra pas être coupé.
La confusion des rôles a un autre effet néfaste. Elle amène certains chefs d’Etat à se prendre pour des rois. Ils règnent sans partage, restent scotchés à leur fauteuil (ou plutôt trône) le plus longtemps possible, à l’aide d’artifices divers, se préparent une succession dynastique avec de préférence le fils comme dauphin, etc. Bref, une conception du pouvoir complètement ubuesque, aux antipodes de la démocratie et, de plus en plus, de la monarchie en Occident. Dans les palais royaux, comme dans ceux présidentiels, il y a donc une même vision du pouvoir. Tout comme en Occident d’ailleurs, mais cette fois-ci, dans le sens contraire. Les monarques occidentaux sont sur les traces des chefs d’Etat ou de gouvernement, en favorisant l’alternance. Les Africains, eux, sont solidaires dans le pouvoir à vie. Mais les dirigeants africains élus par la voie des urnes sont les plus interpellés.Ils doivent être démocrates jusqu’au bout, c’est-à-dire partir quand ils ont fini leur mandat légal. Au Burkina, on prête l’intention au chef de l’Etat, au pouvoir depuis 26 ans, de vouloir tripatouiller la Constitution pour rester en place au-delà de son dernier mandat, en 2015. Par malheur, le premier intéressé lui-même reste muet et flou, entretenant la suspicion sur ses desseins. Résultat, on assiste à un gâchis, avec un pays en ébullition et qui glisse dangereusement vers le chaos. Pourtant, il lui suffit de dire qu’il respectera la Constitution, pour que le pays retrouve le calme. Voilà à quoi mènent les longs règnes et les velléités de pouvoir à vie .