Il y a trois ans jour pour jour, et sous la pression de la rue, le président Blaise Compaoré est contraint à la démission après 27 années à la tête du Burkina Faso. Sa volonté de modifier l’article 37 de la Constitution que le pays s’est donné le 2 juin 1991, et qui limite à deux quinquennats successifs le mandat du président du Faso, n’a finalement pas prospéré.
L’épilogue des journées folles d’octobre 2014 s’est écrit dans la rue. En sortant massivement pour barrer la route à la modification de l’article constitutionnel qui empêchait Blaise Compaoré de briguer un nouveau mandat à la tête de l’Etat, les Burkinabè, héroïques, ont imprimé un nouveau tournant à l’histoire de leurs pays. Allant d’ailleurs jusqu’à réduire, le 30 octobre 2014, le siège de l’Assemblée nationale en cendres, comme pour incinérer une bonne fois pour toutes la fièvre du changement constitutionnel qui s’était emparée du pouvoir alors en place et de ses thuriféraires. Avant de réclamer et d’obtenir, le 31 octobre à la mi-journée, la démission du chef de l’Etat, à une année du terme de son mandat.
Au-delà des violences qui ont caractérisé ce changement de cap, la prouesse du peuple burkinabè, salué même en dehors du continent, promettait une ère démocratique nouvelle. De toutes les capitales d’Afrique s’est en effet élevée les clameurs de ce qu’on avait appelé, en son temps, la «Ouag’Attitude». Applaudi par les populations africaines dont les réalités sociopolitiques sont à peu près semblables, l’exemple burkinabè a toutefois très vite été considéré comme «dangereux» par bon nombre de dirigeants politiques menacés, eux aussi, par l’étendard du «dégagisme» hissé dans le ciel continental.
Il n’y a pas jusqu’à François Hollande qui n’ait pas félicité le courage et la pugnacité des «Hommes intègres». «Ce qu’a fait le peuple burkinabè doit faire réfléchir ceux qui veulent se maintenir au pouvoir en violant l’ordre constitutionnel», avait notamment prévenu l’ancien de l’Etat français dans son allocution d’ouverture du 15e Sommet de la Francophonie, qui s’est tenu fin novembre 2014 à Dakar, au Sénégal.
On peut bien s’en rendre compte aujourd’hui, plusieurs peuples africains caressent le rêve de faire tomber leurs dirigeants en empruntant la voie burkinabè, malheureusement parfois sans confronter au préalable les différences et les similitudes de leur propre jeu politique et institutionnel avec le tableau que présentait le Burkina de 2014. Les récentes manifestations qui ont colonisé les rues du Togo, par exemple, en sont une parfaite illustration.
Et s’il est vrai que certains chefs d’Etat ne comprennent d’autre langage que celui de la force et de la contestation populaire, il est tout aussi vrai qu’à force de vouloir faire du «copier-coller» systématique et aveugle, on peut exposer les populations à un drame bien plus grand. Il serait donc plus indiqué, dans chaque pays, d’agit avec discernement et intelligence pour réussir au final à obtenir, comme au Burkina, le rapport de force favorable à «l’inversion des courbes».
En tout état de cause, trois années après le départ en catastrophe de Blaise Compaoré du pouvoir, le Burkina Faso reste à la croisée des chemins. Les petits sifflets de «Allons seulement» et les trompettes de «Plus rien ne sera comme avant» ont finalement exécuté une symphonie brouillonne de «Où allons-nous?» Les défis sécuritaires n’ont jamais été aussi graves, la reprise économique annoncée reste dans les starting-blocks et la gouvernance globale du pays évolue en dents de scie. La déception rythme le quotidien des populations et la poussée contestataire s’aiguise chaque jour un peu plus dans tous les secteurs de la vie sociale et politique du pays.
Dans ces conditions, comment reprendre la main et renouer avec les espoirs d’octobre 2014 au moment où, dans les chaumières de ce pays en marche résolue vers son incroyable destin, le panier de la ménagère reste plombé par mille et une contingences? Comment redessiner la perspective au moment où les Burkinabè ne croient plus en leur justice qui, depuis ces trois années, attend de concilier le temps de la clarification et de la résolution correcte des affaires, nombreuses, avec le temps des pressantes attentes des populations, et notamment des victimes multiples et multiformes de l’insurrection populaire — 19 personnes tuées et 625 blessés —, mais aussi du putsch manqué de septembre 2015 qui aura fait… quatorze morts et 200 blessés!
Comment «terroriser le terrorisme» qui s’est invité dans nos contrées depuis janvier 2016 lorsque le moral des troupes est au plus bas? Comment réarmer le moral des Burkinabè, mais aussi et surtout impulser une véritable dynamique du changement et du développement lorsque se multiplient des exemples d’un délitement fonctionnel et hiérarchique dans toutes les strates de la société et surtout dans les hautes sphères de l’administration publique et de la vie politique, censées donner l’exemple et ciseler le modèle?
Non, il ne saurait y avoir ni renoncement ni regret. Les grandes nations se construisent et se fortifient à l’épreuve du temps, des contradictions auxquelles il faut trouver des réponses hardies, et aussi grâce au génie de peuples majeurs qui s’investissent dans les compromis historiques nécessaires pour sublimer leurs luttes et leur quête perpétuelle pour le mieux-être et le mieux vivre ensemble. Repère incontournable de la marche du Burkina Faso, les 30 et 31 octobre 2014 restent donc, de ce point de vue, un phare qui continuera d’éclairer — il n’y a pas lieu d’en douter — la construction démocratique du «pays des Hommes intègres». Pour y arriver cependant, chacun doit s’interroger humblement sur son rôle et sa contribution dans l’édification d’une nation burkinabè plus libre, plus juste et prospère pour tous…