Trois ans après l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, la réconciliation nationale peine à se mettre en place au Burkina Faso. Rencontrés par Sidwaya, certains acteurs de la vie sociopolitique nationale donnent leur appréciation du processus actuel de réconciliation et prescrivent leurs thérapies.
En octobre 2014 et septembre 2015, le Burkina Faso a connu des soubresauts sociopolitiques qui ont accentué la fracture sociale. Pour que le peuple retrouve son unité, un processus de réconciliation nationale a été entamé avec la création du Haut conseil pour la réconciliation et l’Unité nationale (HCRUN). Sans a priori, le secrétaire national chargé des secteurs structurés du parti au pouvoir, le MPP, Ludovic Bakyono, salue la création de ce cadre dans lequel les citoyens doivent réfléchir aux conditions d’une réconciliation réussie. Pour sa part, le Pr Albert Ouédraogo, membre-fondateur du Tocsin, estime que « le processus est bloqué parce que le HCRUN a manifestement montré ses limites en ce sens que, jusque-là, il n’a rien proposé de concret ». A entendre celui qui est par ailleurs chargé des groupes thématiques et des politiques au Conseil national des organisations de la société civile (CNOSC), le Haut conseil est une coquille relativement vide, qui manque de contenu, de volonté et d’engagement. C’est aussi l’avis d’Achille Tapsoba, président par intérim de l’ex-parti au pouvoir, le CDP et président en exercice de la Coalition pour la démocratie et la réconciliation nationale (CODER).
Convenir d’un schéma
En effet, il soutient que les difficultés que vit l’institution se justifient par le fait qu’«on ne peut pas asseoir les principes et les bases d’une réconciliation nationale sur une institution de l’Etat avec des gens désignés rien que par l’Etat ». Selon lui, il faut des individus au-dessus de la mêlée, capables de permettre aux uns et aux autres de se regarder en face et de regarder leur passé. Pour aboutir à une réconciliation véritable, Ludovic Bakyono affirme que la position du MPP reste inchangée : le schéma est le triptyque vérité-justice-réconciliation. Et pour cause, a-t-il argué, le Burkina Faso a l’obligation et le devoir d’aller à la vérité et à la justice pour ouvrir grandement les portes à une réconciliation réussie, complète et définitive. « Nous ne devons pas balayer du revers de la main les acquis de l’insurrection. Parce que nier ce que l’insurrection a apporté à ce pays, c’est faire mourir deux fois nos martyrs et mettre les parents des victimes dans des situations encore plus douloureuses », ajoute M. Bakyono. Albert Ouédraogo, quant à lui, estime que la question des procès n’est pas antinomique à l’esprit de réconciliation, dans la mesure où la réconciliation ne saurait consacrer l’impunité. Il propose cependant un processus inclusif où il n’y a pas de justice des vainqueurs et des vaincus. Il soutient également que le triptyque vérité-justice-réconciliation n’est pas un triptyque magique parce que la justice est un moyen, l’une des modalités et non la finalité qu’est la réconciliation nationale. « En Afrique du sud, on a abouti à la réconciliation en faisant vérité-réconciliation », rappelle-t-il. Au nom de la CODER, Achille Tapsoba suggère un cadre de dialogue sans exclusion pour aboutir à un schéma consensuel. «Certains parlent de vérité-justice-réconciliation, d’autres, de vérité-réparation-réconciliation, ou de justice-réparation-réconciliation ou encore de vérité-réconciliation. En amont, il faut s’accorder sur le concept, le contenu, la procédure et les démarches. En aval, on déroule ensemble le processus dont nous avons convenu jusqu’à aboutir à la réconciliation », suggère-t-il. A l’entendre, les procès et les institutions qui sont en train de se mettre en place peuvent à la fois concourir ou devenir un frein à la réconciliation. Pour la CODER, il appartient aux Burkinabè de faire ensemble le point de la justice afin de convenir s’il faut la parfaire ou la changer de façon plus ou moins radicale, pour en faire une justice classique, transitionnelle ou d’exception. Ludovic Bakyono du MPP note pourtant que la justice burkinabè est aujourd’hui dans une dynamique d’indépendance « jamais égalée». Et d’ajouter qu’elle tient ainsi toutes les cartes pour jouer sa partition parce que le peuple la regarde et attend des résultats.
Donner le temps au temps
La réconciliation nationale est un travail de longue haleine et pour Achille Tapsoba, il ne s’agit pas de régler la crise la plus récente, mais de convoquer tout le corps national pour régler toutes les crises qui se sont succédé dans l’histoire récente du Burkina Faso depuis la Première République. « Il ne s’agit pas pour nous de l’ancien régime de vouloir provoquer une réconciliation pour échapper à qui ou à quoi que ce soit. Mais il faut arrêter la propension à la crise dans notre pays, parce que les acteurs ont des sentiments vivaces d’adversité et même d’inimitié, les uns envers les autres, chacun étant prêt à profiter de n’importe quelle opportunité pour se décharger sur l’autre», regrette-t-il. Comme Achille Tapsoba, le secrétaire national chargé des secteurs structurés du MPP pense que la réconciliation nationale a besoin de temps. En effet, a lancé Ludovic Bakyono, quel que soit le temps que cela prendra, le MPP n’est pas pour une réconciliation escamotée. Cela, explique-t-il, évitera des situations comme la Journée nationale du pardon où des familles ont refusé de prendre l’argent proposé pour les dédommager. Achille Tapsoba recommande donc qu’au lieu d’une seule institution, le HCRUN, la réconciliation nationale appelle toutes les institutions de la République et tout le peuple à discuter dans un cadre de dialogue que convoquera le président du Faso, en tant que garant de l’unité nationale, en y associant l’Assemblée nationale et le système judiciaire.
Jean-Marie TOE