L’audience en appel contre l’ordonnance de non-lieu, de non-lieu partiel, de requalification et de transmission de pièces au président de la chambre de contrôle de l’instruction s’est tenue hier, 24 octobre 2017, au tribunal militaire de Ouagadougou. Le parquet militaire s’est désisté de l’acte d’appel qu’il avait formulé et, à sa suite, la plupart des avocats en ont fait de même. Les quelques recours qui ont été maintenus ont finalement été rejetés par la chambre de contrôle. Place donc à l’audience de la mise en accusation qui débute ce matin même au tribunal militaire.
En juillet 2017, le juge d’instruction du tribunal militaire en charge du dossier du putsch manqué du 16 septembre 2015 a pris une ordonnance de clôture de l’instruction et transmis le dossier à la chambre de contrôle. Dans cette ordonnance, il a prononcé des non-lieux et des non-lieux partiels en faveur de certains inculpés tandis que d’autres ont vu les charges qui pesaient contre eux requalifiées.
Le parquet militaire avait immédiatement fait appel de cette ordonnance. Dans la foulée, les avocats de la défense avaient également interjeté appel de cette ordonnance. Des appels à titre conservatoire puisqu’ils ne savaient rien du contenu de l’ordonnance.
Enrôlé une première fois le 14 septembre dernier, le dossier des appels avait été renvoyé au 24 octobre 2017, notamment en attendant que le Conseil constitutionnel vide sa saisine du recours en inconstitutionnalité de l’article 99, alinéa 9, du Code de justice militaire qui restreint le droit d’appel de l’accusé.
Hier matin, les inculpés, assistés de leurs avocats, étaient devant la chambre de contrôle de l’instruction. Alors qu’on s’attendait à des empoignades judiciaires, il n’en a rien été finalement. On a en revanche assisté à des désistements d’appel de la part des avocats, lesquels font suite à celui du procureur militaire.
Dans ces conditions, beaucoup d’inculpés et leurs avocats n’avaient plus rien à faire au prétoire militaire et ont donc quitté les lieux.
De son côté, le cabinet SCPA Ouattara Sory & Salembéré a formulé une requête de sursis à statuer sur les appels au motif qu’il avait saisi, le 26 septembre 2017, le Conseil constitutionnel d’un recours en inconstitutionnalité de la loi N°24/ADP du 24 mai 1994 portant Code de justice militaire.
Si la SCPA Ouattara Sory & Salembéré n’avait pas la notification de la décision du Conseil constitutionnel, la chambre de contrôle, elle, avait le document émanant des grands juges. Madame le conseiller-rapporteur a déclaré avoir été mise au courant, par téléphone, de la décision des Sages vers 20h, précisant que c’est le président de la chambre de contrôle qui lui a donné l’information.
Estimant qu’en tant que requérant, on devait lui notifier également la décision du Conseil constitutionnel, Me Paulin Salembéré, bien que refusant de rester pour les débats, a affirmé que son cabinet ne s’était pas désisté pour les appels interjetés au nom de ses clients. En conséquence, la SCPA Ouattara Sory & Salembéré a quitté la salle d’audience. A ce propos, lire l’encadré « On venait ce matin pour obtenir le sursis à statuer ».
Sur cet incident, le procureur militaire a soutenu que le Conseil constitutionnel a vidé sa saisine le jeudi 19 octobre et que ce n’est que le lendemain, vendredi, que la notification est parvenue à la justice militaire. Dans leur décision, les Sages ont jugé la requête en inconstitutionnalité «recevable mais mal fondée» et déclaré que la loi portant Code de justice militaire était «conforme à la Constitution».
Dans sa version des faits, Alioun Zanré, le procureur militaire, a soutenu que c’est le président de la chambre de contrôle qui a appelé lundi soir Madame le conseiller-rapporteur pour lui dire que le Conseil constitutionnel avait rendu sa décision sur la requête en inconstitutionnalité et d’en tenir compte dans son rapport.
En examinant les recours en appel des inculpés qui ne se sont pas désistés, la chambre les a jugés recevables dans la forme mais les a rejetés dans le fond.
Place donc à l’audience de la mise en accusation qui débute ce matin même au tribunal militaire. Une audience marathon qui pourrait durer au moins deux à trois semaines, voire un mois.
Signalons qu’au finish, en fin de matinée, la décision du Conseil constitutionnel a été notifiée à la SCPA Ouattara Sory & Salembéré.
San Evariste Barro
Aboubacar Dermé
Hugues Richard Sama
Me Ollo Larousse Hien, avocat de Jean Bénédicte Bila
«Mon client a bénéficié d’un non-lieu, je ne peux qu’être satisfait »
«L’audience du jour était consacrée à l’examen des appels qui avaient été interjetés par les différentes parties. Il y a beaucoup de conseils qui se sont désistés de leurs appels parce qu’ils ont estimé que ce n’était plus nécessaire. En effet, pour la plupart d’entre eux, lorsqu’ils interjetaient ces appels, ils n’avaient pas encore l’ordonnance du juge pour apprécier. C’est donc après avoir pris connaissance de cette ordonnance qu’ils se sont désistés. Même le parquet militaire est dans cette situation.
L’appel du ministère public concernait aussi mon client ; comme il s’est désisté à son sujet, je n’avais plus rien à faire dans la salle. Mon client est Bila Bénédicte Jean, il a bénéficié d’un non-lieu dans cette ordonnance.
Selon l’appel du parquet militaire, cela voulait dire qu’il n’y avait pas de raison qu’on lui accorde un non-lieu. Mais si aujourd’hui lui-même reconsidère sa position en se désistant, je ne peux qu’en être satisfait.
Lorsque le juge lance son ordonnance de clôture pour dire que l’instruction est terminée, il peut prononcer un non-lieu pour certains inculpés, ce qui veut dire qu’il n’y a plus de charges contre ces personnes. Il peut aussi requalifier les faits ou enfin retenir toutes les infractions concernant des personnes. Donc, les avocats, eux, interjettent appel soit pour dire qu’il n’y a pas de charges suffisantes contre leurs clients, soit pour faire comprendre qu’ils ne sont pas contents de la requalification ou que les infractions retenues contre leurs clients ne sont pas celles qui devraient être retenues. C’est pourquoi ils avaient formulé des appels à titre conservatoire.»
A.D.
Me Séraphin Somé, avocat de l’Etat burkinabè et de certaines victimes
«Nous avions signalé dès le départ que ces appels étaient irrecevables»
«Une grande partie des inculpés se sont désistés de leur appel, de sorte que les appels qui étaient soumis à l’examen de la chambre de contrôle ce matin ne concernaient qu’un tiers des appelants. En tant qu’avocat de la partie civile, nous avions signalé dès le départ que les appels interjetés par les accusés étaient irrecevables parce que l’article 99, alinéa 9, du Code de justice militaire a prévu les cas dans lesquels ils peuvent faire appel.
C’est d’abord lorsqu’ils critiquent la compétence du tribunal militaire ; ensuite si les faits pour lesquels ils sont poursuivis ne sont pas qualifiés de crimes ou de délit par la loi pénale ; enfin lorsque la procédure n’a pas été communiquée au ministère public ou si celui-ci n’a pas présenté ses réquisitions. C’est limitativement énuméré, donc en dehors de ces cas, l’inculpé ne peut pas faire appel d’une ordonnance devant la chambre de contrôle.
Au cours de l’audience de demain (ndlr : Nous sommes le 25 octobre 2017), la chambre de contrôle va vérifier la régularité de la procédure suivie par le juge d’instruction et examiner, concernant chacun des inculpés, s’il existe des faits, des charges suffisantes pour justifier les poursuites judiciaires qui ont été diligentées contre eux. En termes simples, la chambre de contrôle va chercher à savoir si le juge d’instruction a fait son travail conformément au Code de procédure pénale et si les charges qu’il a maintenues contre les inculpés sont vraiment justifiées.
Certains accusés peuvent bénéficier de non-lieu total ou partiel, c’est en réalité un deuxième niveau d’instruction ; la chambre de contrôle vérifie le travail qui a été fait par le juge d’instruction avant qu’on aille au jugement. L’audience de confirmation de charges est un terme emprunté à une juridiction comme la Cour pénale internationale. C’est une expression inconnue de notre droit. Le dossier du putsch est un dossier hors normes pour la justice burkinabè, c’est un dossier d’une centaine d’inculpés et de beaucoup de victimes, notre justice n’a pas encore manipulé de dossier de cette nature. Il faudra plusieurs jours à la chambre de contrôle pour boucler cette audience.»
A.D.
Me Anna Sory Ouattara
« On venait ce matin pour obtenir le sursis à statuer »
«Nous avons déposé, il y a trois semaines, une requête en inconstitutionnalité de la loi portant création et organisation du Tribunal militaire. Jusqu’au lundi 23 octobre, le Conseil constitutionnel ne nous avait pas notifié sa décision. Donc hier (lundi) à 14h, nous avons adressé à la Chambre de contrôle une requête à fin de sursis à statuer en attendant la décision du Conseil constitutionnel, conformément aux dispositions de l’article 152 de la Constitution. Ce matin, lorsque l’audience a été ouverte, Me Paulin Salambéré a demandé à prendre la parole.
Le président lui a fait savoir qu’il allait d’abord procéder à la vérification des identités des inculpés. Après cette formalité, il a donné la parole au conseiller-rapporteur pour qu’il donne lecture du rapport. Cette dernière a précisé à la suite de la lecture qu’elle a été informée hier (lundi) au téléphone, à 20h par le président de la Chambre de contrôle, de la décision du Conseil constitutionnel sur la requête en inconstitutionnalité, raison pour laquelle elle n’a pu mettre cette décision dans le rapport.
Lorsque nous avons pris la parole, Me Salambéré a fait savoir au président que nous, les requérants, avons saisi les Sages et jusqu’à ce matin, nous n’avons pas reçu notification de la décision nous concernant. Et on vient d’apprendre que le Tribunal militaire, le directeur de la justice militaire, le procureur militaire ont été informés de la décision du Conseil constitutionnel. Alors que nous, qui sommes les demandeurs, nous n’avons pas reçu notification d’une quelconque décision.
Par conséquent, nous ne sommes pas au courant d’une décision puisqu’en droit, c’est la notification de la décision à la personne qui rend opposable cette décision. Tant que cette formalité de notification n’a pas été faite, nous ne sommes pas censés être au courant d’une quelconque décision. Nous estimons que c’est une violation flagrante des droits de la défense parce que je ne peux pas aller en justice, demander au juge de trancher et je suis la dernière personne à être informée de la décision.
Les juges se sont retirés et ont délibéré en déclarant notre requête recevable mais en la rejetant comme étant mal fondée et ils ont engagé l’examen des différents appels.
Quand la Chambre de contrôle a refusé de nous accorder le sursis à statuer, la plupart de nos confrères sont sortis. Mais Me Salembéré et moi nous sommes entretenus et il est resté dans la salle. Il a exposé au président de la Chambre qu’il n’avait pas été en mesure de préparer utilement l’audience parce que nous avons déposé une requête de sursis à statuer et que normalement cette audience n’aurait pas pu avoir lieu si la Chambre de contrôle avait respecté les dispositions de la Constitution. Donc nous ne sommes pas en mesure de défendre nos appels puisque ce matin, on venait pour obtenir le sursis.
Nous demandons à la juridiction de nous donner acte et il a précisé par ailleurs que nous envisageons de faire un pourvoi en cassation contre la décision des juges qui ont refusé de nous accorder le sursis à statuer avant de se retirer, mais nous ne nous sommes pas déportés. Le président lui a demandé ce qu’il fait de ses clients. Me Salembéré a répondu qu’on leur a expliqué ce qu’il faut faire. Après on a appris que lorsqu’on a appelé le dossier, nos clients ont dit qu’ils ne veulent pas se défendre seuls et qu’ils souhaiteraient être assistés par leurs conseils. C’est même une obligation mais la Chambre de contrôle est passée outre et a examiné le dossier en notre absence.»
HRS