Qu’est-ce que l’autisme ? Ils ne sont pas bien nombreux, les citoyens burkinabè qui pourront répondre correctement à cette question. Pourtant, ce trouble mental, bien que rare (2,5 cas pour 10 000, soit 67 000 000 de personnes atteintes dans le monde), affecte des enfants et des parents (voir en encadré le témoignage d’une mère) qui ont besoin d’informations y relatives et de prise en charge. Au Burkina d’ailleurs, la prise en charge, très lourde, pose problème en raison du manque de structures adaptées, à part quelques privés (à l’image de l’Association d’aide aux enfants autistes (3A)) qui se battent tant bien que mal pour sortir les cas de l’ombre. Dans ce dossier, le psychologue et responsable de l’école Enfant en situation de handicap, Ibrahim Zoungrana, aborde la question de l’intégration sociale des autistes, et le Dr Lompo, neurologue à l’hôpital national Blaise-Compaoré (confer interview), celle de leur prise en charge sanitaire.
Lundi 9 octobre 2017. Il est 9 h à l’école Paspanga, située en face du camp militaire éponyme, à Ouagadougou. Les élèves sont en classe. Seule une vendeuse du Petit marché (PM), assise à l’ombre d’un arbre, guette impatiemment l’heure de la récréation. A un des angles de la vaste cour se trouve une bâtisse «isolée». Elle s’apparente au bureau de l’administration, même si aucune inscription n’indique ce que c’est. En réalité, c’est une école dans l’école : celle d’enfants autistes. En franchissant la porte d’entrée, on se rend compte que ce qui a l’air d’une maisonnette est en fait un bâtiment comportant 2 salles de classe, 1 bureau du directeur et 1 salle de réception.
Comme à l’école «classique», à pareille heure, les activités vont bon train. Deux encadreurs assistent une dizaine d’élèves, des garçons de tous âges (1), qui ont devant eux des livres et des cartons imagés. On entend du bruit et parfois des cris provenant de la pièce d’à côté abritant d’autres élèves mais dont la porte est fermée. Selon le directeur de cette école dénommée Enfant en situation de handicap, Ibrahim Zoungrana, psychologue de formation, c’est un établissement né de l’initiative de l’Association d’aide aux enfants autistes (3A) dont il est membre fondateur.
Ayant travaillé dans une structure de prise en charge du handicap mental, tous types confondus, cadre dans lequel il suivait, avec un de ses collègues, des enfants autistes à domicile, ils se sont convaincus de la nécessité d’aider ces enfants qui ont un fort potentiel. «On a remarqué que sur le plan cognitif, ces enfants avaient un potentiel qui ne pouvait malheureusement être exploité parce qu’ils avaient un problème de comportement, ils ne restaient pas tranquilles. Ce qui fait que, dans les écoles ordinaires, on ne les accepte qu’au niveau Maternelle.
C’est pourquoi nous avons décidé d’amener ces enfants dans une école spécifique où on prend en compte leur type de handicap », a-t-il relaté. Ont donc vu le jour l’Association 3 A en 2013 qui regroupe des parents d’autistes, puis l’école Aide aux enfants autistes, construite sur fonds propres et que l’école Paspanga a bien voulu abriter. Mais en raison du problème des locaux, qui sont restreints, et surtout à cause de la cherté de la scolarité qui s’élève à 600 000 FCFA l’an, y compris les frais de cantine, elle ne reçoit qu’une quinzaine d’élèves. Cependant, foi du directeur de l’école, cette année, ce nombre pourrait être dépassé, car des parents continuent de les joindre au téléphone pour avoir des renseignements en vue d’inscrire leurs enfants.
« Ce sont les riches qui s’intéressent à l’autisme de leurs enfants »
Au regard du coût élevé de la scolarité, nul besoin de préciser que les élèves de l’école Enfant en situation de handicap sont issus d’une classe sociale plus ou moins aisée. Cela n’est pas faux, acquiesse M. Zoungrana ; mais, relève-t-il, cela ne veut pas dire que le mal s’attaque uniquement aux enfants de riches mais plutôt que généralement ce sont les personnes dites riches qui cherchent à comprendre le problème et à accompagner leurs enfants. Même en l’absence de statistiques, il se dit convaincu qu’il y a de nombreux autistes, considérés à tort comme des encéphalopathes ou des génies, qui sont gardés dans les concessions à l’abri du regard de la société.
L’autisme, selon sa définition, est pourtant un trouble neuro- comportemental qui apparaît très tôt dans la vie des enfants et perturbe leur développement dans 3 domaines essentiels qui sont l’interaction sociale et personnelle (communication verbale), la communication et le comportement : dans le premier cas, explique-t-il, ces enfants sont la plupart du temps renfermés, vivent dans leur monde ; dans le second, ils ne parlent pas (un enfant normal parle à à peu près 3 ans) ou, quand ils parlent, ils utilisent un langage pour communiquer, c’est-à-dire que c’est ce qu’ils entendent qu’ils vont répéter, les chansons qu’ils ont entendues qu’ils chantent, et même qu’ils peuvent avoir un vocabulaire sans l’utiliser pour communiquer. Par exemple si vous leur posez la question « comment t’appelles-tu ? » ils ne vous répondront pas, mais vous reposeront la même question. Mieux, il y a le cas de ces enfants qui parlent correctement, mais ne peuvent jamais exprimer leurs besoins, même ceux les plus élémentaires : comme boire, faire pipi ; dans le dernier cas, en ce qui concerne le comportement, ils ont des comportements restreints, stéréotypés et répétitifs, il y en a qui font en permanence des mouvements des doigts, mettent les mains devant les yeux, font toujours les mêmes choses. Les gens trouveront qu’ils ont des comportements bizarres. En plus de ces 3 aspects fondamentaux, il y a des éléments qui dépendent surtout de l’enfant : c’est, par exemple, l’hyperactivité, l’hyper ou hyposensibilité (certains, le moindre son les perturbe). L’autisme, dira Ibrahim Zoungrana, c’est aussi une manière d’être : «En réalité, ce n’est pas une maladie. Les normes dont nous parlons sont fixées par la société, et dès que quelqu’un s’en départit, on dit qu’il n’est pas normal », a-t-il soulevé avant d’ajouter qu’accompagner les autistes revient simplement à les amener d’un point A où il y a de vraies difficultés à un point B où il y en a moins. Et les progrès de chaque enfant dépendent de son degré d’autisme. En effet, a indiqué M. Zoungrana, l’autisme se classe en 3 degrés :
- l’autisme de haut niveau ou Asperger : ce sont des cas isolés. Ces enfants, très intelligents, à la limite surdoués, vont avoir un cursus normal. Ils n’ont pas de problème de communication, en dehors de la relation avec l’autre ; ce qui fait que les gens les trouveront toujours un peu bizarres.
- l’autisme de bas niveau : ce sont les cas sévères. Il y a beaucoup de problèmes de comportement. L’intégration à une classe est difficile : c’est le cas, par exemple, de cet enfant que vous entendez crier (depuis le temps que nous enregistrons, 5 minutes environ, des cris incessants d’une petite fille nous parviennent de la pièce d’à côté : ndlr).
- le niveau intermédiaire : Ces autistes n’ont apparemment aucun problème.
« Soutenez l’autiste et il vous surprendra »
Certaines personnes tendent à considérer les autistes comme des encéphalopathes, nuance ce leader de la prise en charge de l’autisme au Burkina : les attardés mentaux ne peuvent pas faire certaines choses, envisager, par exemple, des études secondaires ou supérieures à la différence de l’enfant autiste dont, a priori, on ne peut rien dire. C’est dire que si l’autiste bénéficie d’un bon suivi, il peut faire d’énormes progrès.
Notre souhait, poursuit-il, c’est donc de pouvoir un jour intégrer « nos enfants » dans le cursus scolaire normal. Mais c’est là un véritable problème. « Déjà nous sommes situés au sein d’une école primaire publique où l’intégration est difficile. Il suffit qu’un de nos élèves fasse une crise et tout de suite se forme un attroupement pour le regarder», a-t-il fait remarquer. Une autre difficulté, non moins grande, c’est le manque de moyens financiers. A en croire M. Zoungrana, la prise en charge scolaire des autistes est très lourde en matière de ressources humaines, de formation et d’équipements didactiques. Du soutien, l’école en reçoit sauf qu’il n’est pas suffisant : «L’Action sociale nous accompagne. Le MENA (ministère de l’Education nationale : ndlr) a aussi détaché 3 enseignants à notre compte. Nous avons également le soutien de SEMAFO qui nous a offert notre premier matériel et grâce à qui on a bénéficié d’une formation par des spécialistes venus du Canada. A chaque rentrée scolaire, cette société fait d’ailleurs quelque chose pour nous. L’UNICEF et Handicap international nous accompagnent aussi, sans oublier l’appui considérable d’une Canadienne qui nous a dotés de matériel qu’on ne trouve pas ici au Burkina. Seulement ce ne sont pas de grands moyens, comparativement aux charges», a-t-il confié. Malgré ces différents soutiens, le responsable d’école pense que l’Etat ne joue pas pleinement son rôle. Il n’a donc pas manqué de lancer cet appel : «L’école est un droit et rien ne peut justifier le fait que certains enfants en sont mis à l’écart. Il faut que l’Etat s’implique dans l’éducation des enfants autistes (l’hôpital Yalgado dispose d’un service de pédopsychiatrie mais qui prend en charge tous les handicaps mentaux : ndlr), d’autant plus que de nouveaux cas sont enregistrés presque chaque jour. C’est vrai que des structures privées de prise en charge existent, mais elles ne sont pas financièrement accessibles à tout le monde. » Tout en invitant les parents d’autistes à se battre pour changer la situation de leurs enfants, il a exhorté la société à abandonner les préjugés qui font des autistes des marginalisés.
Sans qu’on sache pourquoi, l’autisme touche 4 fois plus de garçons que de filles