Bobo-Dioulasso, la capitale économique du Burkina Faso est en pleine croissance démographique. En deux décennies, sa population est passée du simple au triple. Cet accroissement non maîtrisé a des multiples conséquences en termes d’infrastructures éducatives, sanitaires, de logements et de gestion des ressources naturelles. Bienvenu dans l’univers démographique bobolais et ses lots de conséquences.
El Hadj Sayouba Kinda réside à Bobo-Dioulasso depuis 1987. La population de Sya, il l’a vue croître au fil des années. Mais pour lui son augmentation exponentielle est due à la volonté divine. «A l’époque, nous n’étions pas nombreux dans la ville comme de nos jours. Mais les enfants sont des dons de Dieu», est-il convaincu. Commerçant de pièces détachées au secteur n°8 (Sikassocira) de Bobo-Dioulasso. El Hadj Kinda est père de 11 enfants. Si Dieu lui fait « grâce » d’un nouveau bébé, dit-il, ce dernier sera le bienvenu dans la famille Kinda. « Mon dernier enfant est né en 2014, mais si Dieu m’en donne encore, je vais prendre », affirme-t-il, tout joyeux. « Ladji » pense que la limitation des naissances est purement et simplement laissée au bon vouloir de Dieu. Le sexagénaire tient mordicus : les méthodes contraceptives ne doivent pas être un frein pour celui ou celle qui souhaite avoir beaucoup d’enfants. Avec un sourire, le vieux Kinda soutient : « chacun doit laisser Dieu accomplir son œuvre. S’il te donne 5, 6, 7,…enfants, il faut s’en réjouir». Polygame, ses deux épouses n’ont opté pour aucune méthode contraceptive, encore moins fréquenté un service de santé de la reproduction. Ce véto, il le leur a imposé. Celles qui partagent le cœur de Ladji ont régulièrement manifesté le désir d’être sous contraception. Même si, leur domicile familial est « peuplé », la décision de leur époux est « sans appel ». La surpopulation de la cellule familiale est étroitement liée à la domination masculine et à la négation des droits de la femme. Sekou Zoromé est du même avis. A 44 ans, il est déjà père de trois enfants. Mais, il ne compte pas s’arrêter en si « bon chemin ». Dans sa stratégie de contribuer au peuplement de Sya, dit-il, M. Zoromé envisage épouser bientôt une seconde femme pour avoir ses 11 enfants dont il a toujours rêvé. « J’aime beaucoup les enfants. Si je me limite à trois enfants seulement et que Dieu les rappelle tous à lui, que vais-je faire ? », s’interroge le jeune mécanicien. Pour lui, l’enfant est une richesse qu’il faut fructifier à souhait. Donc, planifier les naissances serait un frein à sa prospérité économique et sociale. A 22 ans, Mariam Zoromé pense que son conjoint est le seul « décideur » du nombre d’enfants que la famille doit avoir. Même si elle garde toujours en mémoire les multiples séquelles physiques, morales et sanitaires de ses deux précédents accouchements.
"C’est mon mari qui décide”
Enceinte de 4 mois, Mme Zoromé dit qu’elle n’est pas là que pour concevoir. « Une femme ne doit pas enfanter plus de 4 fois », estime-t-elle. Cela peut contribuer à la dégradation de la santé maternelle et infantile. « Mais, comme, c’est mon mari qui décide de tout, je ne peux pas le contredire », se résigne la future mère. La croissance démographique est « folle » à Ouagadougou, la capitale qui dépasse désormais 2,7 millions d’habitants (en 2017) et voit sa population croître de +7,2 % par an, soit l’un des taux les plus élevés du monde. Or, Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du Burkina Faso, a vu sa population augmenter encore plus vite que la capitale, à environ +11 % par an. Au premier recensement de 1985, elle comptait 231 162 habitants. Au fil des ans, la population a cru de 7,23 %, ce qui donnait en 1995, 412 000 d’habitants. Au recensement de 2006, la ville comptait 489 967 âmes. Une décennie après, sa population est estimée, de nos jours, à 1 235 117 millions.
De nouveaux défis
Le vendredi 18 août 2017, il est 11h dans la capitale économique du Burkina Faso. Les artères de la ville grouillent de monde. Au rond-point de la Femme, les usagers de la route marquent un arrêt lorsque le feu passe au rouge. La fumée dégagée par les automobiles et motocyclettes les embaument. La marée humaine qui se dirige dans tous les sens, tel dans un labyrinthe, témoigne de la surpopulation dans cette partie de la ville. Avec une superficie de 13 678 ha, soit 136,78 Km2, la ville surpeuplée a eu pour corollaire le redécoupage administratif de la capitale économique et la construction de nouvelles infrastructures routières. Cette concentration humaine a engendré la création de nouveaux arrondissements et secteurs à Bobo-Dioulasso. Selon les autorités communales, cette situation est imputable au taux élevé de naissances. De facto, elle pose un grave problème, en termes de pollution de l’air, de transports, de sécurité...Les infrastructures de Sya ne sont pas du tout adaptées à une telle population en plein « boom », disent-elles. Ce qui a pour conséquence, l’émergence de nombreux habitats spontanés, communément appelés « quartiers non-lotis ». A cela, s’ajoutent, le manque d’espaces culturaux, d’infrastructures sanitaires, socio-éducatives, les embouteillages, le chômage chronique, la surpopulation des salles de classe, la pollution de l’air. Moussa Ouédraogo habite le secteur n°14. Technicien supérieur d’agriculture, il s’inquiète de la croissance démographique que connaît sa ville natale au fil des années. La superficie de la capitale économique n’augmentera d’aucun iota, rappelle-t-il. Or, la population s’accroît de jour en jour. Cette situation aura un impact sur la production alimentaire. «Les lotissements ont occupé tous les espaces culturaux de la ville. Dans les années 2 000, il y avait assez d’espaces jusqu’à Bama pour pratiquer l’agriculture. Mais, de nos jours, on ne peut même pas faire une bonne production », explique le technicien supérieur d’agriculture. Pour faire face aux défis de la sécurité alimentaire, l’agronome soutient qu’il faut obligatoirement limiter les naissances. C’est ce qu’a décidé Alima Sanou qui a donné naissance à Oumar Sanou, le 14 août 2017 à la maternité Guimbi-Ouattara, sise au quartier Kôkô au secteur n°4. « Mon époux et moi avons décidé qu’il sera notre unique enfant », rassure la primipare. Ménagère, elle avoue que le revenu mensuel de sa famille et les défis économiques et démographiques ne leur permettront pas de subvenir aux besoins éducatifs et sanitaires de la famille, liés à l’évolution de la ville. Mathieu Millogo est instituteur à Dafesso, village situé à la périphérie de Bobo-Dioulasso à environ 15 Km. Après 12 années de mariage, son fils Paul Millogo, âgé de 13 ans, n’a pas encore de frère cadet. « J’avais opté pour l’enfant unique. J’ai beaucoup discuté de ce sujet avec ma famille. Je suis l’aîné d’une famille de 10 enfants. Je sais ce que cela me coûte comme charges d’avoir beaucoup d’enfants », relate-t-il. Faute de moyens de ses parents, il joue actuellement le rôle de père pour ses 9 frangins. Cette situation a également porté un coup à son cursus scolaire. « A cause du nombre élevé d’enfants dans la famille, je me suis limité à la classe de terminale. J’envisageais aller à l’université, car j’étais parmi les meilleurs élèves de ma classe. Mais les moyens de mes parents ne pouvaient pas me permettre d’avancer», regrette-t-il. Des convictions religieuses et des préjugés socio-culturels favorisent la croissance démographique dans la cité de Sya. « On pense que l’enfant peut changer notre condition sociale. Ce qui n’est pas évident. Donc, c’est sur ces convictions que chacun se base pour avoir un nombre élevé d’enfants», témoigne Mathieu Millogo. C’est le cas de Bibata Ouédraogo, mère de Moustapha Gassambé, âgé de 6 ans. Elle compte mettre au monde six enfants. Malgré les difficultés de la vie, Dieu pourvoira à leur éducation et à leur « prise en charge », soutient-elle. « Si Dieu le veut, je pourrai bien m’occuper d’eux », lance-t-elle, tout sourire. La surpopulation de la ville se ressent désormais dans les écoles. Ce qui porte un coup sur la qualité de la formation et de l’éducation. « Dans une classe, on a 150 élèves, or l’Etat n’a pas assez de moyens de construire des classes », déplore M. Millogo. Pour lui, si une issue favorable n’est pas trouvée à ces problèmes à court terme, s’adjoindront d’autres comme, la délinquance juvénile, la prostitution, etc.
Eviter la mortalité maternelle et infantile
A l’en croire, la solution « miracle » est la Planification familiale(PF). Installé à Bobo-Dioulasso depuis 1975, Sally Diallo dit être surprise par la croissance démographique dans la capitale économique burkinabè. Auparavant, les hommes se comptaient sur le bout des doigts à Sya et ses environs, indique-t-il. Père de six enfants, il reconnaît avoir contribué au « peuplement » de la ville. Mais, de nos jours, la nouvelle génération ne doit pas emboîter leurs pas. Il faut inverser la tendance, estime-t-il. Dans cette dynamique, l’Association burkinabè pour le bien-être familial (ABBEF) mise sur les activités de la sensibilisation : causeries-débats, projections de films, théâtres-fora au sein de la communauté, émissions radiophoniques. A ses « clients », elle offre une gamme variée de méthodes contraceptives : les injectables, Sayana Press, les implants, le norplant, les pilules, le préservatif...A l’antenne de l’ABBEF de Bobo-Dioulasso, les injectables sont les plus prisés par les femmes. Selon son coordonnateur, Jacques Saré, la population adhère aux différentes méthodes. Son service reçoit en moyenne 50 à 60 clientes par jour. Toutefois, lors des journées portes-ouvertes, le nombre varie entre 100 à 120 clients par jour. Le message « passe » grâce à l’aide des leaders communautaires, des pairs éducateurs, des leaders religieux et coutumiers, reconnait M. Saré. Malgré ces efforts, des familles n’ont pas encore compris la nécessité d’espacer les naissances. Selon Jacques Saré, les raisons sont multiples : la méconnaissance de la PF, la réticence des hommes et des femmes vis-à-vis de la PF, le choix des couples d’accélérer les naissances. « Les couples ont tendance à vouloir faire rapidement les enfants dans un laps de temps et à passer à autre chose », explique-t-il. Mais, les familles sont de plus en plus conscientes qu’avoir beaucoup d’enfants n’est pas forcément synonyme de richesse, soutient Jacques Saré. Elles voient en la PF, un moyen de lutte contre la pauvreté. Car elle permet d’éviter la mortalité maternelle et infantile. « Bobo-Dioulasso devient de plus en plus un pôle d’attraction économique, cela peut expliquer le fait que la population croisse », justifie le coordinateur de l’antenne ABBEF de Bobo-Dioulasso.
Une question de développement
La pression démographique dans la capitale économique préoccupe également l’Union des coutumiers et des religieux pour la santé et le développement/section Hauts-Bassins (URCB/SD). Pour son président, Dr Issa Tarpaga, Bobo-Dioulasso n’est pas extensible à souhait. Sa surpopulation devient inquiétante, prévient-il. Pour y remédier, la meilleure « arme » est la sensibilisation. La PF apparait aujourd’hui comme une question importante de développement. Alors, il y a lieu d’opter pour une PF responsable. « Les imams ont été formés dans ce sens. Nous n’avons jamais dit aux religieux de limiter les naissances, mais de planifier. Pour ce qui concerne les musulmans, le Coran est assez clair sur la question. On demande à chaque femme d’allaiter son enfant au moins deux ans ferme », assure Dr Issa Tarpaga. Il faut amener les populations à comprendre que la PF est avantageuse pour chaque famille. Car beaucoup d’enfants grèvent les revenus parentaux sur le plan éducatif, sanitaire, soutient-il. « Il n’y a plus de zones de culture, il faut aller plus loin pour trouver des champs. Dans certains secteurs où les populations ne vivaient que de l’agriculture, toutes les surfaces cultivables ont été loties. Comment vont-ils se nourrir ? », s’interroge M. Tarpaga. Il confie avoir attiré l’attention des maires au conseil régional sur la question des lotissements. Parce qu’en termes d’infrastructures sociales, sanitaires, de voirie, de viabilisation, cette croissance urbaine va poser des problèmes. Pour lui, il y a nécessité que politiques, administrateurs et population réfléchissent à la question et ses défis. « De nos jours, il faut une procréation responsable. L’idée selon laquelle les enfants sont une richesse est dépassée. Dieu ne nous dit pas seulement de faire des enfants, mais il faut s’en occuper », déclare le président de l’URCB/SD/section Hauts-Bassins. Par ailleurs, il faut assurer leur éducation, leur santé. L'éducation au sujet de la surpopulation, du planning familial et des méthodes de contrôle des naissances est un ingrédient de base de toute politique de modération de la démographie, pense-t-il. « Pour contrôler la natalité, il faut d'abord améliorer l'accès aux méthodes contraceptives », suggère Dr Tarpaga.
Abdel Aziz NABALOUM