Ouagadougou - Après des années d’omerta sur le dossier, la justice tente de relancer l’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara, le père de la révolution burkinabè tué lors du coup d’état d’octobre 1987, suscitant l’espoir d’un procès, trente ans après.
"L’affaire Thomas Sankara n’a jamais autant bougé que durant ces deux dernières années", confie à l’AFP une source proche du dossier, soulignant que "depuis la réouverture de l’enquête en mars 2015, une centaine d’auditions - dont celle de l’ancien président ghanéen Jerry Rawlings - ont été effectuées tant au Burkina Faso qu’à l’extérieur du pays".
Le sujet de l’assassinat de Sankara était tabou sous le régime de Blaise Compaoré qui a bénéficié de sa mort pour prendre un pouvoir qu’il a occupé pendant 27 ans, jusqu’à sa chute en octobre 2014. Beaucoup d’observateurs soupçonnent l’ancien ami de Sankara, aujourd’hui en exil en Côte d’Ivoire, d’avoir commandité son assassinat.
Thomas Sankara et douze de ses compagnons avaient été assassinés par un commando dans ses bureaux alors qu’il allait assister à un conseil des ministres. Les corps avaient été enterrés en catimini le soir même au cimetière de Dagnoën, à l’est de Ouagadougou.
En septembre 1997, quelques jours avant la prescription de dix ans, Mariam, la veuve de Sankara, avait porté plainte contre X pour "assassinat". La plainte avait été enterrée et ce n’est que fin mars 2015, cinq mois après la chute de Compaoré, qu’elle a été relancée.
Les corps présumés de Sankara et ses compagnons tués avec lui ont été exhumés fin mai 2015 pour une expertise ADN, afin de déterminer avec certitude l’identité des victimes et de lever le voile sur les circonstances de leur mort.
Malgré des analyses en France puis en Espagne, il n’a pas été possible de confirmer les identités.
"Tout peut sembler au point mort, les résultats des expertises n’ayant pas prospéré. Cela ne met pas fin à la procédure", note toutefois Me Bénéwendé Sankara, un des avocats de la famille Sankara, soulignant qu’une "expertise balistique a également été réalisée".
"Un procès pourrait s’ouvrir dès l’année prochaine devant la justice militaire", qui doit également vider des dossiers pendants dont celui du putsch manqué de 2015, analyse le politologue Allassane Tiemtoré, estimant que "le dossier est suffisamment avancé pour être jugé".
Pour Bruno Jaffré, auteur de la biographie "Thomas Sankara. La patrie ou la mort" et animateur du réseau international "Justice pour Sankara", il faut désormais se tourner vers la France: "Le juge d’instruction (burkinabè) a à peu près terminé son enquête. Aujourd’hui, sa volonté c’est qu’une enquête s’ouvre en France". "Cela fait plus d’un an qu’il a lancé une commission rogatoire (...) pour qu’un juge fasse des auditions en France. Il a demandé aussi la levée du secret défense en France (...) Ce qui bloque l’ouverture d’un procès, c’est la réponse française", estime M. Jaffré.
- Inculpations -
Trente ans après l’assassinat de Sankara, une douzaine de personnes ont été inculpées parmi lesquelles des militaires de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle - l’unité qui a perpétré le coup d’Etat avorté du 17 septembre 2015 et qui a été dissoute -, dont le chef des putschistes, le général Gilbert Diendéré.
Inculpé pour "attentat à la sûreté de l’Etat" et "haute trahison" pour le putsch avorté, le militaire est également poursuivi dans l’affaire Thomas Sankara pour "atteinte à la sûreté de l’Etat, séquestration, terrorisme et crime contre l’humanité".
"Même s’il ne faisait pas partie du commando, il est soupçonné d’avoir dirigé les opérations depuis son bureau", indique une source judiciaire.
Outre cet ancien chef d’état-major du président Compaoré, l’ancien adjudant-chef Hyacinthe Kafando, un des anciens gardes du corps de Sankara, présenté comme le chef du commando, fait également partie de la douzaine d’inculpés.
Thomas Sankara est devenu après sa mort un mythe au Burkina Faso et bien au-delà, dans toute l’Afrique.
"On veut juste connaître la vérité et la justice pour que le peuple burkinabè se réconcilie avec son histoire", explique Serge Bayala, membre du comité international du mémorial Thomas Sankara.
"Nous nous réclamons des héritiers de Sankara, il est donc normal de poursuivre la lutte dans la quête de la vérité. C’est d’ailleurs l’héritage qu’il nous a laissé : lutter pour la vérité et la justice", ajoute-t-il.
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