Le 06 octobre 2017, la chambre de contrôle du tribunal militaire de Ouagadougou tenait l’audience de mise en accusation des personnes poursuivies dans le cadre du putsch du général Gilbert Diendéré. Après avoir estimé que certaines pièces « essentielles » du dossier ne leur avaient pas été communiquées, les avocats de la défense ont annoncé qu’ils avaient également introduit devant le conseil constitutionnel, le 27 septembre dernier, un recours en inconstitutionnalité contre l’ensemble de la loi régissant le tribunal militaire. La chambre de contrôle a donc renvoyé le dossier au 25 octobre 2017. C’est le deuxième renvoi du genre, puisque le 15 septembre le dossier avait déjà été renvoyé au 06 octobre 2017. Pour sa part, le commissariat général du gouvernement a dénoncé ce qu’il a appelé « la stratégie du dilatoire » des avocats.
Avant qu’elle débute, cette audience de mise en accusation des personnes poursuivies dans le cadre du dossier du coup d’Etat du 16 septembre 2015 avait des allures de retrouvailles entre celles en détention préventive et celles en liberté provisoire. En pareille circonstance, les chaudes poignées de main et les tapes à l’épaule sont légion sans oublier les interminables accolades.
L’audience se déroulant à huis clos, la presse devait rester dehors, carrément hors de l’enceinte du tribunal militaire. Les entrées des locaux étant fortement gardées par des gendarmes qui font preuve de courtoisie pour renseigner les visiteurs et de fermeté lorsqu’on veut pénétrer dans la cour.
Du coup, les journalistes se sont confinés dans le maquis-restaurant jouxtant le tribunal militaire pour guetter et assaillir de questions les avocats qui y viendraient, qui pour acheter un bidon d’eau minérale, qui pour s’offrir un café. Auprès des hommes de médias, il y a aussi les parents ou camarades de certaines personnes poursuivies devant le tribunal militaire.
Tout en ignorant ce qui se passait au prétoire, beaucoup de journalistes s’accordaient pourtant à dire que le dossier serait renvoyé, une fois de plus, au vu des recours introduits par les avocats devant le conseil constitutionnel. Dans les débats informels, les gratte-papier soutenaient qu’il fallait attendre la décision des gardiens de la Constitution et également l’audience en appel contre l’ordonnance de non-lieu, de non-lieu partiel, de requalification et de transmission de pièces au président de la chambre de contrôle de l’instruction qui devrait se tenir le 24 octobre prochain.
En fait, après deux ans d’instruction, le dossier du putsch est pratiquement prêt à être bouclé et transmis à la chambre de jugement. L’audience de mise en accusation permet de signifier à chaque accusé les faits qu’on lui reproche et dont il devra répondre lors d’un procès devant le tribunal militaire.
C’est dire que c’est l’ultime phase de la bataille des avocats pour épargner à leurs clients l’épreuve du procès d’assises militaires. C’est la raison du baroud d’honneur et de tous les recours que les avocats formulent pour remettre en cause l’ensemble ou des pans entiers de la procédure intentée contre leurs clients.
La cote i348, la pièce à problème
Dans ce contexte, le dossier connaît beaucoup de péripéties : ainsi, le 14 septembre 2017, la chambre de contrôle de l’instruction devait statuer sur les appels interjetés contre l’ordonnance de non-lieu, de non-lieu partiel, de requalification et de transmission de pièces au président de la chambre de contrôle. Ce jour-là, les avocats avaient invoqué le non-respect des dispositions des articles 101 et 103 du Code de justice militaire et du Code de procédure pénale au motif que les conseils avaient reçu du greffier de la chambre de contrôle les lettres les informant de la tenue de l’audience alors que ces lettres devaient émaner du commissaire du gouvernement.
De plus, les avocats ont annoncé avoir saisi le conseil constitutionnel d’un recours en inconstitutionnalité concernant l’article 99 alinéa 9 du Code de justice militaire qui limite, selon eux, le droit d’appel des accusés. Face à cette situation, la chambre de contrôle ne pouvait que renvoyer le dossier en attendant la décision du conseil constitutionnel. C’est ainsi que l’examen des appels a été renvoyé au 24 octobre 2017.
Le 15 septembre, l’audience de mise en accusation a été renvoyée, car les avocats ont demandé qu’on attende que les grands juges vident leur saisine. Le dossier a donc été renvoyé au 06 octobre 2017.
Ce renvoi ne garantissait en rien la tenue effective de l’audience. Et on en a eu la preuve vendredi dernier quand, au bout de près de 4 heures d’échanges, le dossier a été renvoyé au 25 octobre. Les avocats ont dénoncé l’absence de certaines «pièces essentielles » du dossier qui leur a été communiqué : il s’agit notamment de la cote i348 relative à un rapport d’expertise des téléphones portables des accusés. L’expert a travaillé à extraire, entre autres, les SMS de ces téléphones. Les avocats ont également annoncé la saisine du Conseil constitutionnel, le 27 septembre, d’un recours en inconstitutionnalité de l’ensemble de la loi régissant le tribunal militaire.
Pour sa part, le commissaire du gouvernement, Alioun Zanré, a déclaré avoir « mis à disposition » des avocats l’ensemble des pièces du dossier plus de deux semaines avant la tenue de l’audience alors que la loi ne lui fait obligation de le faire qu’au plus tard 72 heures avant. Le commissaire du gouvernement, pour montrer sa bonne foi, a déclaré qu’il a même eu recours aux services d’un huissier pour constater que le dossier était depuis « mis à disposition » des avocats. Alioun Zanré a confessé que la cote qui manquait a été retirée du dossier par un conseiller rapporteur de la chambre de contrôle et que lorsque Me Thiam, un avocat sénégalais, est passé, le parquet militaire a bien voulu lui donner sa propre pièce (la cote i348) pour consultation tout en s’opposant à ce que l’avocat l’emporte.
Le commissaire du gouvernement a également appris à la presse que, le 5 octobre 2017, le Conseil constitutionnel avait débouté les avocats par deux fois de leurs recours en inconstitutionnalité contre l’article 99 alinéa 9 et l’alinéa 2 de l’article 3 du code de justice militaire. Ces deux recours avaient été formulés respectivement le 13 et le 25 septembre 2017.
Le dossier est donc renvoyé au 25 octobre, soit au lendemain de l’examen des recours en appel. La question que tout le monde se pose est de savoir si les 24 et 25 octobre prochains les audiences programmées auront effectivement lieu. Rien n’est moins sûr, car les avocats pourraient sortir de leur chapeau d’autres arguments qui pourraient gripper la machine. Cette éventualité agace d’ailleurs le commissaire du gouvernement, pour qui les avocats de la défense jouent à fond la carte du «dilatoire» et l’opinion doit savoir que « ces multiples reports ne sont pas le fait du parquet militaire ».
Nous vous proposons dans les encadrés qui suivent les avis et arguments des avocats et du commissariat général du gouvernement.
San Evariste Barro
Aboubacar Dermé
Hugues Richard Sama
Rabiatout Congo (stagiaire)