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Sidwaya N° 7463 du 19/7/2013

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Orpaillage dans la Bougouriba : Bataille judiciaire entre le pagne et le pantalon
Publié le samedi 20 juillet 2013   |  Sidwaya




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La paix sociale est sur une pente raide à Nicéo, village situé à la sortie-ouest de Diébougou, chef-lieu de la province de la Bougouriba, dans la région du Sud-Ouest. Des tas de terre entreposés sur un site aurifère dans la localité par une quarantaine de femmes a pourri le climat entre celles-ci et le détenteur d’un permis d’exploitation artisanale traditionnelle. Une bataille entre "le pagne et le pantalon" s’est alors engagée.

La nature reprend petit à petit ses droits à la verdure à Nicéo, localité située à une vingtaine de kilomètres de Diébougou, chef-lieu de la province de la Bougouriba, dans la région du Sud-Ouest. La presque totalité de sa population est occupée par les travaux champêtres, en ce mois de juillet 2013. Dans le village, c’est presque le calme plat. Mais dans ce silence apparent, brûle un feu qui risque de plonger toute la zone dans un conflit, si rien n’est fait pour ramener les différentes parties à de bons sentiments. L’atmosphère est, en réalité, pourrie dans la cité. L’extraction de terre qui serait riche en or en est la cause. Deux parties revendiquent, chacune, la propriété dudit site. Comment des personnes qui travaillaient ensemble sont-elles arrivées à se regarder en chiens de faïence ?

Un permis d’exploitation remis en cause


Installées depuis 2010 sur ce site, 43 femmes (elles sont en réalité plus que cela si l’on prend en compte celles qui sont parties, entre-temps) ont, durant deux ans, entreposé des tas de terre issus de l’exploitation artisanale de l’or. Estimant qu’il est temps pour elles de jouir des fruits de leur labeur, elles ont fait appel à un acheteur d’or, du nom de Adama Pafadnam, représentant la société Burkina-or-métal dans la région du Sud-Ouest. Erreur ! Selon le groupe de femmes, après avoir installé son comptoir d’achat, Adama Pafadnam a prélevé une partie des agrégats afin de tester la teneur en or. Un test qui s’est avéré concluant. Il décide alors d’acheter cet amas au profit de sa société. Mais les différents prix qu’il propose aux orpailleuses sont jugés dérisoires par celles-ci. Elles rejettent, en bloc, les propositions de l’acheteur. « Lorsque nous avons obtenu des quantités suffisantes de minerais, nous lui (Ndlr : Adama Pafadnam) avons donné notre parole de les lui vendre, si ses propositions nous convenaient. J’ai convenu avec mes consœurs de ne vendre qu’à Adama Pafadnam, bien que d’autres acheteurs nous courtisaient. Quand il est venu, ses offres étaient en deçà de nos attentes », explique la présidente des femmes du site, Haoua Ouédraogo. Avant de s’offusquer : « Des gens m’ont proposé d’abord d’acheter mon tas à 22 millions de FCFA. Ensuite, un autre groupe m’a fait une offre de 32 millions de FCFA. J’ai refusé toutes ces offres parce que nous lui avons donné notre parole. Lorsqu’il est venu, il m’a proposé d’acheter le même tas à deux millions de FCFA. Mon refus a été catégorique ».
Elle n’était pas la seule à être désabusée. Un orpailleur à qui le sieur Pafadnam proposait de prendre le tas en contrepartie de 200 000 F CFA, l’a liquidé, finalement, à 1 200 000 F CFA à une autre personne. Les femmes, quant à elles, réunies autour de leur présidente, ont décidé de se tourner vers d’autres preneurs. Il n’en fallait pas plus pour provoquer le courroux de Adama Pafadnam. Il n’est pas « question » que les orpailleuses revendent les minerais à un tiers. Pourquoi ? « Le comptoir nous appartient. Les tas de terre aussi. Les femmes n’ont pas le droit de les vendre à quelqu’un d’autre tant que nous n’avons pas montré notre incapacité de les acheter. Mon offre a été rejetée. Si elles refusent de me les vendre, personne d’autre ne doit l’acheter », rétorque Adama Pafadnam.
Pour M. Pafadnam, il n’était pas obligé d’acheter les tas de terre parce que sa société possède un permis d’exploitation artisanale traditionnelle du site aurifère, délivré en bonne et due forme par le ministère en charge des Mines. En outre, avant de s’installer sur le site, dit-il, il a rempli tous les droits coutumiers en matière d’orpaillage et a soutenu la mairie de la commune rurale de Dolo (département dont relève Nicéo) avec « une moto et un vélo ». Pourtant, les orpailleuses ne reconnaissent pas la légitimité de son permis d’exploitation. Pour elles, M. Pafadnam a obtenu ses documents de manière « frauduleuse ». Elles sont unanimes. Adama Pafadnam a acquis son permis après leur refus de lui vendre leurs tas de terre. « Nous ne savons ni par quelle voie ni par quel soutien, il a pu obtenir son permis. Seulement, les papiers dont il parle sont venus après que nous avons obtenu notre bien à la sueur de notre front et au péril de nos vies », s’indigne une orpailleuse. En effet, par décision numéro 12-035 /MCE/SG/DGMG, le ministère des Mines et de l’Energie a délivré à la société Burkina-or-métal, une autorisation d’exploitation artisanale traditionnelle du site aurifère de Nicéo. Il a été signé le 18 décembre 2012. L’article 3 de ce document mentionne clairement : « La présente décision est valable pour une durée de deux (2) ans, à compter de sa date de signature ».

La justice a tranché

Les interprétations du même document diffèrent d’un camp à l’autre. Pour son détenteur, dès lors qu’il a pu obtenir le permis, il a le droit de disposer de tout ce qui se trouve sur le site avant ou après. Qui a tort, qui a raison ? Seule la justice pouvait trancher. Ils se sont, alors, retrouvés devant les tribunaux. D’abord au Tribunal de grande instance de Diébougou, ensuite à la Cour d’appel de Bobo-Dioulasso. A quatre reprises, la justice a tranché en faveur de M. Pafadnam. Par ordonnance numéro 075 du 22 mai 2013, le Tribunal de grande instance de Diébougou, se référant au permis d’exploitation artisanale traditionnelle du 18 décembre 2012, a alors autorisé à Adama Pafadnam à ramasser le minerai d’or. Mais, toutes les décisions de la justice ont été, à chaque fois, contestées par les femmes et les autres acheteurs. Des enjeux politico-économiques se sont-ils invités à la barre ? S’interrogent les perdants. Les intérêts sont si importants, que chaque partie est prête à tout pour protéger les siens. La valeur totale des tas de ces jeunes filles, épouses et veuves, est estimée à 350 millions de FCFA. Elles refusent de se « laisser spolier sans rien faire ». « Il veut nous faire la force parce que nous sommes des femmes sans défense. Mon mari est décédé depuis 14 ans. Je travaille sur les sites pour nourrir mes cinq enfants et les scolariser. S’il paie honnêtement nos tas de terre, nous n’allons pas nous opposer au ramassage, sinon nous allons répliquer à tout prix. J’ai le plus gros tas du site. J’ai fixé mon prix pour tout acheteur à 50 millions de FCFA », martèle Haoua Ouédraogo. Adama Pafadnam, pour sa part, jure par tous les saints qu’il ne déboursera pas une pièce d’argent pour s’adjuger les tas de terre.

Un quartier général de la CRS sur le site

Toutefois, les orpailleuses ont un soutien de taille. Les habitants de Nicéo, ayant assisté à la découverte et à l’expansion du site, sont dévoués à leur cause. « Tout a commencé devant nous. Au début, les gens n’étaient pas d’accord pour l’exploitation de l’or dans la localité. Les premiers orpailleurs l’ont fait au péril de leur vie et finalement les habitants ont baissé les armes. Parce qu’ils ont été très courageux et le site fait vivre actuellement tout le village. Maintenant qu’ils ont obtenu leur terre dans la souffrance, des gens viennent avec des documents et refusent qu’ils vendent leurs minerais à qui ils souhaitent. C’est de l’injustice. Nous n’allons pas permettre qu’ils soient spoliés », prévient le conseiller municipal de Nicéo, Drissa Diaby.
La partie adverse n’est pas restée les bras croisés, non plus. Adama Pafadnam a fait venir la police sur le site. Désormais, son entrée est gardée 24 heures sur 24 par la Compagnie républicaine de sécurité (CRS). « J’ai loué les services de la sécurité. Je les prends en charge jusqu’à ce que le droit soit dit. Nous voulons éviter des affrontements, mais si cela devrait arriver, nous allons prendre toutes nos responsabilités », souligne Adama Pafadnam. Cette présence policière a un goût amer chez les populations locales. Elles estiment que la police a « un parti pris ». Ce qui ne devrait pas être le cas pour elles. Les orpailleurs n’ont plus accès au site. Les paysans qui ont des champs au-delà du site sont obligés de faire un grand détour pour y accéder. Ils font un circuit d’environ trois kilomètres au lieu des cinq cents mètres à un kilomètre qu’ils avaient l’habitude de parcourir. Impossible pour les femmes du village d’aller ramasser les noix de karité. « A cause de la présence des forces de sécurité, personne ne s’approche pour mener une activité. Les gens ne pourront pas vivre dans cette situation pendant longtemps parce que ventre vide n’a point d’oreille. Je tente de calmer les populations avec des rencontres. Mais je ne sais pas jusqu’à quand elles vont supporter. Il faut que les autorités trouvent très rapidement une solution avant que la situation ne dégénère et que le pire n’arrive », explique le maire de Dolo, Dimanche Palm.
Le directeur régional de la police, Karim Soulama, reconnaît que ses éléments ont été envoyés sur le site à la demande de Adama Pafadnam. Mais la police nationale ne saurait avoir un parti pris dans cette affaire. « La police est sur le site pour une question de sécurité. Elle ne peut pas être acquise à la cause de quelqu’un. Nous sommes au service des populations et de notre pays. Si c’était l’autre camp qui avait demandé nos services, nous aurions accepté », rétorque le directeur régional.
La situation est si grave que nous nous posons la question de savoir jusqu’où ce conflit peut aller ? En attendant, la bataille judiciaire se poursuit.

Steven Ozias KIEMTORE

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