Le Burkina Faso sort tout doucement d’un mois d’août 2017 bien sombre qui aura perturbé le sommeil des populations ainsi que de la classe politique toutes tendances confondues. Par deux fois, en effet, les drapeaux ont été mis en berne: d’abord en mémoire aux 19 victimes de l’attaque qui a frappé, le 13 août, la pâtisserie-restaurant Aziz Istanbul; puis pour marquer, dans la foulée, le deuil qui a plongé le pays tout entier dans la consternation lorsque, le 19 août à Paris, le désormais ancien président de l’Assemblée nationale nous a brutalement quittés.
Si l’on continue de se perdre en conjectures au sujet de l’attaque du 13 août, non revendiquée jusqu’au moment où nous mettions sous presse — contrairement aux usages des terroristes et autres djihadistes —, la disparition de Salifou Diallo interroge déjà sur la gestion de la vie sociopolitique nationale, à présent que l’émotion s’estompe et qu’affleure violemment la réalité du grand vide laissé par ce «baobab». Car l’homme était à lui tout seul un programme politique et un bulldozer de volonté, qui savait tracer les sillons de l’action. Craint et redouté de ses adversaires qui reconnaissent tous aujourd’hui son incroyable talent à aller au bout de ses idées et de ses convictions, celui qui s’est toujours refusé à être un «Yes man» a ainsi usé la moitié de ses soixante années de vie sur terre dans les arcanes du pouvoir.
Incontestablement, ce génial stratège politique, grand artiste de la mobilisation, et architecte de la réussite électorale de son camp manquera cruellement à la République. Il n’y a pas jusqu’à ses anciens détracteurs qui regrettent déjà ses «intrigues», vraies ou supposées, se demandant avec qui ils pourront bien se mesurer désormais dans l’arène politique. De toute évidence, il faudra du temps à la jungle politique nationale pour secréter un autre Salifou Diallo, tant il est vrai que dans son genre et sur son registre, ce «monstre sacré de la politique», étonnant de loyauté, d’intuition et d’engagement, restera unique.
Aussi, au moment où doit impérativement s’écrire une nouvelle page de la vie sociopolitique du Burkina, en proie à des défis sécuritaires énormes, il y a lieu, non pas de remplacer celui que tout le monde appelait Salif, mais de lui succéder valablement en s’inspirant de la formidable leçon de courage et d’engagement qu’il lègue désormais à ses contemporains et aux générations futures. Et l’on peut se réjouir que tous les témoignages, éloquents d’unanimité, tirent la même conclusion d’une prise de conscience collective pour tresser la nouvelle corde au bout de l’ancienne.
C’est donc le moment de se «ceindre les reins comme un vaillant homme» — selon le mot d’Aimé Césaire — afin de porter la République sur les chemins de sa véritable renaissance. Alors:
Et si… le décès soudain de «Gorba» — ainsi qu’on l’appelait affectueusement — insuffle une nouvelle dynamique dans la vie politique nationale en régénérant les pratiques et les stratégies dans un débat d’idées, à la fois pertinent et constructif? Il n’y aurait plus de clans ni de messes basses, mais dans l’arène politique, juste des adversaires qui mesurent leurs forces aux seuls arguments des idées et non plus leurs idées, belles ou dévastatrices, aux arguments de la force.
Et si… dans l’indispensable réaménagement qui devrait forcément s’opérer dans la gouvernance globale de l’Etat, le président du Faso, très attendu sur tous les fronts, réussit à sublimer sa douleur pour donner rapidement aux populations, meurtries par trois années d’une période post-insurrectionnelle délicate, des gages d’une nouvelle espérance?
Et si…, ainsi que nous l’avons déjà indiqué précédemment, les uns et les autres s’élèvent admirablement au-dessus de leurs egos personnels et récriminations stériles pour transformer élégamment cette perte — terriblement cruelle à un moment si crucial de la vie de la nation —, en une force d’opportunités pour vaincre la fatalité?
Et si, finalement…, Salifou Diallo nous donnait là, par sa disparition brutale, l’ultime leçon que le temps est venu de sortir de l’insurrection-mania, de réarmer notre moral et nos mentalités pour investir vigoureusement les chantiers du développement de notre nation, sur lesquels il a crânement montré la voie pendant les vingt mois qu’a duré son règne au perchoir de l’Assemblée nationale?
Le moins que l’on puisse dire en tous les cas, c’est que Salifou Diallo est bel et bien parti! Avec sa vision, son engagement, ses intrigues… Avec sa magie! Tous ses anciens protagonistes, contradicteurs impénitents ou laudateurs invétérés, qui ont tant fleuri son voyage vers sa dernière demeure de mots parfois convenus, mais souvent sincères, doivent à présent opérer leur propre magie pour inventer la vie sans «Salif le fonceur». Pour le bien du Faso et de ses populations qui n’aspirent qu’à la paix, à la liberté et au bien-être…