Il n’est pas exagéré de dire que la question de transport, de la mobilité urbaine et de la sécurité routière nous concerne tous. En s’intéressant au département ministériel en charge de ce secteur dans le cadre de notre rubrique ‘’Mardi Politique’’, le ministre Souleymane Soulama répond à un certain nombre de préoccupations des Burkinabè tout en déclinant les grands projets de son département.
Le Pays : Depuis décembre 2015, le Conseil des ministres a adopté un projet de modernisation et de sécurisation des titres de transport. En quoi consiste-t-il et où en sommes-nous avec ledit projet ?
El Hadj Souleymane Soulama : Il faut dire que ce projet n’est pas nouveau. Il a été concocté par le gouvernement, depuis un certain temps. Lorsque que nous sommes arrivé à la tête du département, nous avons décidé de tout mettre en œuvre pour qu’il puisse voir le jour. Ce projet, comme son nom l’indique, c’est d’abord pour la sécurité même non seulement des personnes mais aussi du pays. Imaginez une voiture non identifiée qui circule avec une fausse plaque d’immatriculation et une fausse carte grise. Si son conducteur commet une faute grave comme un accident mortel et disparaît, il y a des gens qui pourront peut-être relever le numéro, mais lorsqu’on ira pour chercher l’identité de cette voiture dans les bases de données, on ne la retrouvera pas. Par ailleurs, les textes réglementaires prévoient le renouvellement des plaques d’immatriculation chaque dix ans. Alors que le dernier renouvellement remonte à 1995. Ce qui fait qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de difficultés dans le contrôle des plaques d’immatriculation et des cartes grises. Nous avons donc estimé que c’était une urgence et nous l’avons prise à bras-le-corps.
Ce projet va permettre donc de mettre en œuvre d’une part, des procédures et des méthodes fiables et efficientes de production des titres de transport et d’autre part, à adopter des technologies éprouvées de lutte contre la fraude et la falsification des documents administratifs. Plus concrètement, il s’agit de sécuriser les titres et l’environnement des transports. Autrement dit, c’est un processus qui vise à produire des titres de transport authentiques, qui porteront des étiquettes non falsifiables de l’Administration des transports. La non- falsification devrait être garantie par les informations portées sur le titre émis. Elle devrait lutter contre la fraude, la contrefaçon et la falsification des cartes grises et des permis de conduire. Partant, lutter contre l’insécurité routière et l’insécurité publique, en permettant d’identifier plus sûrement les auteurs de délit en fuite et en minimisant les possibilités d’infraction.
La mise en œuvre du projet est envisagée pour une durée de cinq ans. A ce jour, un prestataire a été sélectionné et la quasi-totalité du cadre législatif et règlementaire est finalisé. Les responsables du projet et les équipes techniques ont été identifiés. Les Bons A Tirer et les spécifications fonctionnelles techniques de la phase I de la solution sont validés. Les aménagements du bâtiment dédié à la production et la préparation des dossiers d’appel à candidatures pour le recrutement des concessionnaires de plaques d’immatriculation et du concessionnaire pour la sécurisation sont en cours.
D’aucuns disent que c’est aussi une autre manière de renflouer les caisses de l’Etat à travers ce projet de renouvellement des plaques d’immatriculation. Qu’en dites-vous ?
Non, pas du tout. Si vous avez suivi un certain nombre de communications qui sont des compte-rendus de Conseils des ministres, il y a trop de fraudes à ce niveau-là, non seulement sur les cartes grises, mais aussi sur les permis. Il y a des véhicules qui rentrent avec des cartes grises falsifiées. Il y a des gens qui sont organisés pour les éditer et produire de fausses plaques d’immatriculation et les forces de l’ordre ont souvent du mal à différencier la vraie carte grise de la fausse à partir du moment où c’est le même numéro sur la plaque qui est mentionné sur la carte grise. Au mois d’avril, nous avons fait un rapport au Conseil de ministres où on a évalué les saisies de faux documents dans les régions du Centre-Est, de l’Est et du Sud-Ouest. C’est vraiment énorme. C’est une perte évaluée à 1,5 milliard de F CFA pour l’Etat. Ça ne fait pas bien pour un gouvernement. C’est donc normal ! Tous les pays voisins sont à cette phase de modernisation. Le Burkina Faso ne doit pas rester en marge, au risque que nos véhicules ne soient pas autorisés à circuler dans ces pays-là.
S’agissant de la fraude, on ne saurait ne pas parler de la DGTTM qui est régulièrement citée comme l’une des structures les plus corrompues au Burkina. Est-ce un mauvais procès ou du moins comment comptez-vous y remédier ?
Les principes d’intégrité, d’honnêteté, d’efficacité, de transparence et les critères objectifs tels que le mérite, l’équité et l’aptitude à occuper les emplois, ont toujours été au cœur de l’action du Gouvernement. Malheureusement, l’analyse des faits et pratiques de corruption dans les administrations publique et parapublique relayée par le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC), est suffisamment éloquente.
Ceci étant, il convient de mentionner que le cas particulier de la DGTTM repose essentiellement sur la nature des services offerts, qui pousse les usagers à pratiquer épisodiquement la corruption passive ou active. Sans remettre en cause les résultats d’enquêtes commanditées par le REN-LAC, il vous souviendra que depuis 2015, l’évolution du classement de la DGTTM dans les rapports annuels du REN-LAC sur l’état de la corruption est satisfaisante (8ème place en 2017). Aussi, en attendant le démarrage du projet de modernisation, de sécurisation des titres de transport et de ré- immatriculation des véhicules qui permettra de mettre en place un système des procédures et des méthodes fiables et efficientes de production des titres de transport, la DGTTM envisage d’organiser, courant septembre 2017, en partenariat avec le REN-LAC, une journée portes ouvertes de la DGTTM et de lutte contre la corruption. Il est également envisagé des actions de formation, d’information et de sensibilisation au profit des usagers de la DGTTM et l’élaboration d’un plan d’adressage de la DGTTM.
Monsieur le ministre, malgré les mesures prises pour améliorer la sécurité routière, la route continue de tuer, les accidents de la circulation sont toujours nombreux. Que comptez-vous faire pour améliorer la situation ?
Le gouvernement met tout en œuvre pour la sécurité des personnes, surtout sur la route. Mais il faut dire que l’incivisme a un peu pris le dessus. La route est un espace public que partagent les piétons, les utilisateurs des véhicules motorisés comme les motos, les voitures, les camions, et non motorisés comme les vélos, dans leur déplacement quotidien. Pour que cette cohabitation soit pacifique et pour garantir une plus grande sécurité de l’ensemble des usagers de la route, il a été institué le Code de la route qui fixe les règles de la circulation routière. Cependant, ces règles de circulation routière sont de plus en plus foulées au pied, au quotidien, par certains usagers de la route. Comme je l’ai dit tantôt, l’incivisme au Burkina Faso a atteint un niveau qui nous interpelle tous, gouvernants, décideurs, parents, leaders d’opinions, société civile, etc. Pour ce faire, en vue de venir à bout de ce fléau, mon département s’est résolument engagé dans une approche inclusive d’information, de formation et de sensibilisation des usagers de la route sur le respect du Code de la route, le port du casque et de la ceinture de sécurité.
L’incivisme et parfois la méconnaissance des textes engendrent beaucoup de désordre sur nos routes, avec des conséquences assez énormes. C’est pourquoi nous avons entrepris des réformes au niveau du permis de conduire pour faciliter la mobilité des usagers de la circulation routière. Nous envisageons, entre autres, de rendre obligatoire le permis de conduire « A1 », d’inscrire l’enseignement du Code de la route dans les curricula et manuels scolaires. Par ailleurs, pour lutter contre l’incivisme sur nos routes, plusieurs actions de sensibilisation des usagers de la route sont menées par les services techniques de mon département que sont l’ONASER, la DGTTM et le CCVA.
Des conférences publiques sont organisées dans les régions du Burkina par l’ONASER. A l’aide du camion-podium, des sorties foraines de sensibilisation sur la sécurité sont organisées au profit des populations des villes et des campagnes. Elles se tiennent sur les places publiques, les marchés des villages et à l’occasion des grands évènements nationaux comme la SNC, le FESPACO, le SIAO, etc. Des sorties de sensibilisation au profit des élèves sont organisées durant l’année scolaire dans les 13 régions. Des sessions foraines de la commission de retrait de permis de conduire sont organisées dans les gares routières. Des spots télé et radio sont réalisés sur les bonnes pratiques en matière de circulation routière. De nombreuses émissions radio et télé ont été réalisées.
Il y a un camion qui a tout récemment fauché mortellement des usagers de la route au niveau d’un feu tricolore pour défaut de freinage. Ce drame a par ailleurs suscité la question de la réglementation de la circulation des camions dans la ville de Ouagadougou. Quelle est votre réaction ?
Il faut dire que les camions ont obligation de faire des visites techniques au CCVA, chaque trois mois. Mais, il y a toujours des brebis galeuses qui essayent de feinter pour ne pas être à jour et qui mettent en danger la vie des autres usagers de la route. Nous déplorons ce qui s’est passé et nous présentons nos condoléances aux familles des personnes qui sont injustement tuées dans ce genre d’accident. Ce n’est pas normal qu’on se soit arrêté à un feu et qu’un camion vienne vous ôter la vie.
Par ailleurs, il y a des textes qui régissent la circulation des gros camions dans les villes, mais il s’agit de textes pris au niveau communal. Nous avons eu une séance de travail avec le maire et les transporteurs, en présence du ministre d’Etat, ministre de la Sécurité. Mais le problème qui se pose pour les transporteurs, c’est qu’il n’y a pas d’espace ou de parkings pour qu’ils puissent parquer leurs camions et attendre leurs heures pour circuler. Nous avons donc instruit le maire de voir avec ses collègues des communes environnantes de Ouagadougou pour dégager des espaces pour que l’on puisse, efficacement, mettre en œuvre les mesures prises. Sinon, actuellement, il est difficile que cent à deux cents camions occupent, par exemple, le bas-côté de la route à l’entrée de la ville pour attendre leur heure pour traverser la ville. Je pense que le maire s’active pour pouvoir dégager les espaces. Sinon, les chauffeurs transporteurs sont d’accord puisqu’ils respectent cela dans d’autres pays voisins et ils ont dit qu’il n’y a pas de raison qu’ils ne puissent pas respecter cela au Burkina.
Justement, la question de la mobilité urbaine est assez préoccupante dans la ville de Ouagadougou. Y a-t-il des initiatives pour améliorer la fluidité de la circulation, l’accès au transport urbain et aux parkings?
Les grandes villes du Burkina Faso ont connu, ces dernières années, une croissance particulièrement rapide liée non seulement à une forte pression démographique, mais aussi à un important flux migratoire des milieux ruraux vers les centres urbains. Cela a favorisé, entre autres préoccupations, la congestion dans la circulation, les accidents de la route, la pollution de l’air et une demande de plus en plus croissante des populations de pouvoir réduire le temps mis dans la circulation. Toute chose qui joue négativement sur le bien-être de la collectivité.
Face à ces préoccupations assez complexes, des actions sont entreprises pour améliorer le réseau routier urbain par la construction des infrastructures routières, le développement des entreprises de transport en commun, une meilleure organisation des acteurs du secteur et une planification plus grande de la politique des transports. Nous sommes en train de coordonner les actions avec le gouvernement pour que voie le jour l’Autorité Organisatrice de la Mobilité Urbaine (AOMU), anciennement appelé Autorités Organisatrices des Transports (AOT). Une entité de mon département qui devrait s’occuper exclusivement de la mobilité urbaine. Cette entité ayant une responsabilité globale sur l’organisation et la planification du système des transports, s’avère importante pour combler les dysfonctionnements et pour résoudre les questions majeures. Elle va asseoir une industrie plus performante du secteur des transports, une sécurité routière plus sûre, une bonne planification urbaine et une parfaite mobilité.
Après l’attaque du 15 janvier 2016, le gouvernement avait pris des mesures, notamment l’interdiction de circulation des véhicules non immatriculés et en vitres teintées. On constate que ces véhicules circulent toujours. Comment explique-t-on cela ?
Le décret règlementant l’usage des vitres teintées, des vitres à couche réfléchissante et des films plastiques sur les véhicules automobiles immatriculés au Burkina Faso a retenu dans ses dispositions transitoires que les véhicules automobiles en circulation sur le territoire national ont un délai de trois (03) mois pour se conformer. Ce moratoire de 3 mois avait été mis à profit pour informer et sensibiliser les conducteurs sur l’obligation de respecter scrupuleusement les dispositions dudit décret face à la situation d’insécurité que vit notre pays, notamment le grand banditisme, la menace et les attaques terroristes. Ce texte réglementaire a interdit également l’usage des vitres teintées trop foncées dont l’opacité mesurée avec un photomètre dépasse 30% au niveau du pare-brise et des vitres latérales avant. Malheureusement, les visites techniques effectuées au niveau du CCVA révèlent des taux d’opacité supérieurs à la marge tolérée sur des véhicules importés et dont les vitres sont teintées d’origine. Cette situation pourrait justifier une éventuelle relecture du texte.
L’une des mesures prises par le gouvernement pour réduire les cas d’accidents de la route consistait à plomber les véhicules de transport en commun à 90 km/h. Qu’en est-il ?
La question des accidents de la circulation routière est une préoccupation majeure du gouvernement. L’objectif principal poursuivi par cette mesure de limitation de vitesse est effectivement de réduire le nombre et la gravité des accidents. En plus de l’arrêté interministériel, une note circulaire avait été prise à l’attention de toutes les sociétés publiques de transport de voyageurs et de tout gestionnaire de gare routière, les invitant au respect strict des dispositions relatives aux limitations de vitesse, au temps de conduite et de repos prescrit et d’avoir à bord du véhicule, une feuille de route. Nous avons même pris, en concertation avec les forces de contrôle, des dispositions pour contraindre les compagnies de transport au strict respect desdites mesures sur l’ensemble des axes routiers. Ainsi, certaines gares ont commandé et installé le dispositif de plombage des véhicules et ont développé d’autres initiatives de lutte contre les excès de vitesse en mettant en place des numéros verts. Le CCVA s’est même équipé en matériel de contrôle de l’effectivité de la fonctionnalité desdits limiteurs de vitesses. C’est une première, nous allons continuer la sensibilisation et après quoi, nous passerons à la phase de la répression.
Nonobstant cela, la persistance des accidents de la circulation exige qu’il y ait des actions vigoureuses et plus soutenues. Les données statistiques des accidents graves survenus sur les axes routiers interurbains nécessitent des changements de comportement à tous les niveaux.
Y a-t-il une politique de limitation d’âge des véhicules importés ?
Nous sommes en étude. Dans le cadre du renouvellement du parc automobile, nous n’avons pas encore pris des textes pour spécifiquement limiter l’âge des véhicules importés au Burkina. Mais l’on constate qu’aussi bien pour le transport urbain des citadins que celui national ou international de marchandises, la moyenne d’âge des véhicules est située entre 15 et 20 ans et dans un état de délabrement avancé. Cet état de vétusté a d’une part renchéri le coût d’exploitation et réduit le taux de disponibilité des véhicules, et d’autre part aggravé les risques d’accidents et de dégradation de l’environnement. C’est vrai que nous n’avons pas un pouvoir d’achat très élevé, mais il ne faudrait pas non plus que nous soyons les poubelles de toutes les caracasses de véhicules rejetées dans les autres pays européens ou américains.
Si au demeurant, il n’existe pas de politique de limitation d’âge des véhicules importés, le Burkina Faso envisage donc, dans le cadre du renouvellement de la flotte et la professionnalisation de l’activité de transport, des mesures comme l’institution d’un mécanisme de financement spécifique pour l’acquisition de véhicules neufs suivie de mesures d’incitation, la mise en place d’une règlementation pour l’importation des véhicules et des pièces de rechange. Du reste, un décret portant fixation des catégories de transports routiers et des conditions d’exercice de la profession de transporteur routier pris le 1er août 2014, a fixé l’âge limite d’exploitation pour les véhicules de transport de voyageurs à 15 ans et celui des transports routiers de marchandises, hormis les semi-remorques, à 20 ans. Des réflexions sont également en cours au niveau de l’administration des transports en vue de proposer un décret sur la limitation de l’âge des véhicules importés, notamment des voitures particulières. Il faut noter qu’en ce qui concerne les gros camions, lorsque le gouvernement a pris les textes pour exonérer les importations des camions neufs, il y a eu plus de demandes que d’offres. Sur l’objectif de 400 camions, il y avait un millier de demandes. C’est donc une opération qui a vraiment réussi. Nous allons continuer l’opération avec le soutien de la Banque mondiale à travers le projet sectoriel des transports. Nous avons même prévu la prime à la casse pour des opérateurs.
Et où en est-on avec la mesure interdisant l’utilisation du gaz butane par certains taximen ?
La question de l’utilisation du gaz comme source d’énergie, se pose à trois niveaux. D’abord, au plan économique et de façon empirique, le rendement du gaz butane est plus important que l’essence, c’est-à-dire qu’à coût égal, on parcourt plus de distance. Ensuite, au plan technique, la question qui est posée est celle de la sécurité. Enfin, sur le plan règlementaire, la loi cite l’essence sans plomb et le gasoil comme les deux seules sources d’énergie au Burkina Faso. Il se trouve qu’au Burkina, le gaz butane est subventionné pour le rendre accessible aux ménages, dans le cadre de la lutte contre la déforestation. Si l’on devrait l’acheter à son prix réel, il reviendrait plus cher que l’essence.
Aujourd’hui, avec l’orientation prise par les Etats notamment constructeurs de véhicules d’augmenter substantiellement et progressivement la part de véhicules électriques, il y a lieu, pour l’administration des transports, de réformer le cadre juridique relatif à l’importation, à l’usage, à l’immatriculation et à la mise en consommation desdits véhicules comme la fixation d’une sanction pécuniaire et ou pénale pour usage d’une source d’énergie non conforme, révision à la hausse du montant de l’amende pour défaut de visite technique conforme. Pour ce faire, un projet de relecture du décret portant définition et répression de contraventions en matière de circulation routière est en cours de finalisation afin de prendre en compte de nouvelles infractions et aussi réviser à la hausse le montant des différentes classes de contraventions.
Cela dit, nous sommes en concertation avec une société iranienne basée à Dakar et qui nous propose des véhicules hybrides, c’est-à-dire à essence et à gaz. Mais il ne s’agit pas du gaz butane qui n’est destiné qu’au
foyer. Nous avons eu des rencontres avec l’organisation des taximen qui a marqué son accord pour ce type de véhicules. Nous attendons donc de mettre à leur disposition cette alternative avant de passer à la phase de répression.
En février dernier, l’Union des chauffeurs routiers du Burkina Faso (UCRB) avait exprimé son mécontentement contre la recrudescence des tracasseries et des rackets sur les corridors routiers ainsi que la non-extension de la convention sectorielle des transports routiers signée en décembre 2011. A-t-elle obtenu gain de cause ?
Je vais commencer par la dernière question. L’Etat a accédé à leur requête en actant la convention collective des chauffeurs routiers et les textes sont dans les mains des transporteurs. Depuis, ils tardent à informer les autres transporteurs et nous ne savons pas pourquoi. Mais, l’Etat va prendre ses responsabilités pour communiquer là-dessus. J’ai récemment échangé avec le président de l’URCB qui m’a dit que c’était vers la fin de ce mois qu’ils tiendraient une réunion pour donner cette bonne information aux chauffeurs routiers. Vraiment, je ne sais pas pourquoi ils tardent à donner l’information aux autres. Nous ne savons pas ce que cela cache. Quant à nous, nous allons communiquer là-dessus pour dire que nous avons accédé à leur revendication depuis un certain temps.
En ce qui concerne les tracasseries policières, pour la première fois au Burkina, nous avons créé la Police des polices pour essayer de traquer les brebis galeuses qui sont dans les rangs des forces de l’ordre. Je vous le dis, cette Police des polices abat un travail extraordinaire. Renseignez-vous, il y a des corridors où on a relevé tous les policiers pris en flagrant délit de racket en présence des éléments de la police des polices qui ont aussi été rackettés. Mon collègue de la Sécurité, Simon Compaoré, et moi avons tenu maintes rencontres d’échanges avec les organisations socioprofessionnelles des transports y compris l’Union des chauffeurs routiers du Burkina (UCRB) au sujet des tracasseries routières, les rackets sur les corridors. Il (Ndlr : Simon Compaoré) leur a dit ceci : « si les forces de sécurité vous demandent de payer de l’argent alors que vous êtes en règle vis-à-vis de vos documents, ne payez pas ! Restez sur votre position et avisez la Police des polices ». Les organisations socioprofessionnelles des transports se sont engagées à collaborer avec la Police des polices pour mettre fin au phénomène des rackets et tracasseries routières. Les transporteurs, les chauffeurs tout comme les usagers de la circulation sont invités à contacter cette unité spéciale en cas de rackets ou de tracasseries routières, mais ils doivent au préalable s’assurer que l’usager est en règle vis-à-vis de la loi ou du moins qu’il possède tous ses documents.
Venons-en au transport aérien. L’Etat burkinabè serait à la recherche d’un repreneur de la compagnie Air Burkina après le départ du groupe Agha Kan. Où en sommes-nous?
Je dois d’abord dire qu’Air Burkina a été créée le 17 mars 1967. Cela fait donc aujourd’hui 50 ans que la compagnie fonctionne sans discontinuer. Elle a fonctionné comme société d’Etat jusqu’en 2001, date à laquelle elle a été reprise par le Groupe AKFED (ndlr : groupe Agha Kan) à hauteur de 56%. Pour des raisons d’option stratégique, le groupe AKFED a décidé de se retirer du secteur du transport aérien pour se consacrer à l’industrie. Dans cette logique, Air Mali et Air Ouganda ont arrêté leurs activités au niveau de l’Afrique. En Europe également, le groupe a rétrocédé une partie de ses actions qu’elle détenait à Meridiana Fly à Quatar Airways.
La rétrocession d’Air Burkina à l’Etat du Burkina Faso a eu lieu le 11 mai 2017 à 1 franc symbolique. Et pour revenir à votre question, les problèmes que nous avons rencontrés, ces dernières années, sont essentiellement de deux ordres. Le problème lié à la capacité et au nombre des avions et le sous-effectif en pilotes. Air Burkina possède de nos jours deux avions de type Embraer 170 de 68 places. Avec deux avions, il est difficile de faire de l’aviation. Cette situation nous amène à réduire le nombre de nos destinations, particulièrement celles en direction de l’Afrique centrale. De plus, quand un des avions tombe en panne, chose normale, nous n’avons pas d’appareil de substitution pour assurer les vols. Le programme s’en trouve bouleversé, avec pour conséquences négatives le mécontentement des passagers, les frais liés à la prise en charge des passagers, l’accroissement des charges d’exploitation. Quant à la problématique du sous-effectif, cela nous a posé effectivement beaucoup de soucis. Les pilotes sur l’Embraer sont plus difficiles à trouver sur le marché par rapport à ceux de Boeing ou Airbus. Cette situation nous a empêchés d’accepter les vols d’affrètements qui constituent une source non négligeable de revenus. Un autre aspect est l’augmentation des heures supplémentaires effectuées par les pilotes, avec pour conséquence l’augmentation de la masse salariale. De plus, en cas de maladie, d’absence d’un pilote, la situation des équipages devient plus difficile à gérer. Mais ce problème est en voie de résolution. Nous avons recruté, courant juillet 2017, six jeunes pilotes dont deux ont déjà terminé leur qualification sur Embraer et sont rentrés des Etats-Unis depuis le 5 août 2017. Les quatre autres dont une fille, débuteront leur formation toujours aux Etats-Unis, le 05 septembre prochain. Comme déjà dit, Air Burkina était une société d’Etat jusqu’en 2001, date de sa privatisation. Pendant cette période, la compagnie a effectué des vols pour beaucoup d’autres compagnies telles qu’Air Afrique, Air Mali, Air Ivoire, Ghana Airways.
Aujourd’hui, avec la reprise de la compagnie par l’Etat, les règles de gestion n’ont pas changé. Même étant société d’Etat, elle conserve son caractère commercial. Un plan d’action a été mis en place pour recentrer la vision, conformément à la mission que l’Etat nous a fixée.
Pour la participation des privés, nous sommes en train de réceptionner les propositions. Et tenez-vous bien, l’Etat va travailler avec un partenaire stratégique, c’est-à-dire avec un opérateur qui s’y connaît bien dans le domaine de l’aviation. Cela permettra une pérennisation. Parce que l’expérience qu’Air Burkina a, aucune compagnie dans la sous-région ne l’a. Comme je le disais, la compagnie a 50 ans d’existence et de vols sans discontinuité, contrairement aux autres qui ferment et qui rouvrent. Il fut un moment où Air Burkina était la seule compagnie qui servait tous les autres pays voisins.
Pourquoi n’existe-t-il pas de compagnies aériennes privées pour la desserte du territoire national ? (Colombes Airlines aura fait long feu et Air Sarada tarde à voir le jour)
Justement, Air Sarada vole. Ils font le trajet Ouaga-Bobo tous les jours, depuis maintenant deux mois. En ce qui concerne Colombes Airlines, comme vous le savez, dans l’aviation, lorsque qu’un avion atteint un certain nombre d’heures de vol, vous devez forcément l’envoyer faire le check. Même si l’avion ne présente aucune anomalie, les règles de l’aviation vous obligent à aller faire la révision. Sinon, vous n’aurez pas l’autorisation de la direction générale de l’aviation civile pour opérer. Le responsable de Colombes Airlines a donc envoyé son avion au Maroc pour le check, et la dernière fois que je l’ai vu, il m’a dit que le check était fini et qu’il ne lui restait qu’à aller régler la facture et faire venir l’avion. Mais étant donné que c’est un opérateur privé, nous ne saurions nous impliquer dans un certain nombre de détails.
Mais jusqu’à lors, aucune compagnie ne fait la desserte des autres localités en dehors de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso ?
Effectivement, mais dans le plan qu’Air Sarada nous a montré, il prévoit de desservir plusieurs régions et même des pays voisins.
Lors du 6e TAC, les deux gouvernements ont renouvelé leur confiance au Groupe Bolloré qui gère la SITARAIL pour la réhabilitation du chemin de fer Abidjan-Kaya et Kaya-Tambao, alors que ce dernier n’avait pas respecté les engagements pris, il y a un an. Pourquoi ce choix ?
Je voudrais, de prime abord, attirer votre attention que le groupe Bolloré, actionnaire majoritaire de SITARAIL, n’est engagé que pour la réhabilitation du chemin de fer Abidjan-Kaya. Le volet construction de la ligne Kaya-Dori-Tambao, quant à lui, doit, en principe, être réalisé par Pan African Minerals (PAM), le détenteur du permis d’exploitation de la mine de manganèse de Tambao, actuellement en conflit avec l’Etat burkinabè. Cette répartition de la charge des travaux de réhabilitation du réseau ferroviaire actuel par SITARAIL et son prolongement jusqu’à Tambao par PAM, avait été actée par un accord-cadre de négociation signé le 31 juillet 2014, à l’issue du 4ème TAC tenu à Ouagadougou.
Pour revenir à votre question, il faut noter que SITARAIL n’a pas pu respecter ses engagements pris pour la simple raison que la Convention de concession révisée (CCR) de l’exploitation des transports ferroviaires signée le 29 juillet 2016 à Yamoussoukro lors du 5ème TAC, avait retenu le 31 décembre 2016 comme date limite de réalisation de l’intégralité des conditions suspensives à son entrée en vigueur. A l’expiration de cette date butoir, une des six annexes de la CCR constituant des conditions suspensives n’était pas encore finalisée et validée par les parties prenantes. De même, les Etats n’avaient pas accompli les formalités internes de ratification qui sont des préalables obligatoires pour l’applicabilité de la CCR. Aussi, à la faveur du 6e TAC organisé tout dernièrement à Ouagadougou, la dernière annexe suspensive a été finalement validée et les deux Etats d’une part, et le groupe Bolloré d’autre, ont apporté un modificatif à la CCR à l’effet de retenir le 31 décembre 2017 comme nouvelle date limite pour l’accomplissement des formalités étatiques d’entrée en vigueur de la CCR. Ce faisant, l’on ne saurait dire raisonnablement que SITARAIL n’a pas honoré ses engagements, du moment où la CCR génératrice desdits engagements n’est pas entrée en vigueur pour les raisons sus exposées.
En tout état de cause, le groupe Bolloré a marqué son accord pour un démarrage anticipé des travaux de réhabilitation le 15 septembre 2017, si des garanties de ratification de la CCR par les Etats sont effectives.
Quelle appréciation faites-vous de l’élection du nouveau président de l’Assemblée nationale, Alassane Sakandé, qui succède ainsi à Salifou Diallo ?
Je tiens tout d’abord à le féliciter. Je l’exhorte à être le plus naturel, le plus neutre possible et le plus objectif possible pour bien terminer ce mandat qu’a laissé notre illustre disparu. Je lui souhaite beaucoup de succès à ce poste qui n’est pas du tout facile et je sais qu’il peut réussir. Je lui fais confiance parce que je le connais.
Le conseil municipal de Banfora, sous le contrôle du NTD dont vous êtes un des membres fondateurs, a traversé des moments difficiles. Comment analysez-vous la situation ?
Je pense qu’il faut que le premier responsable de la commune puisse se donner la main pour réunir tout le monde et se départir de tout ce qui est partisan. J’ai été le président du conseil municipal de cette ville, ce n’était pas non plus facile. Et encore maintenant, c’est plus difficile parce que les mentalités évoluent. On ne peut plus diriger de façon cloisonnée. Il faut donc qu’il y ait cette ouverture pour qu’il puisse réussir son mandat. En tout cas, en ce qui me concerne, c’est ma ville natale et j’ai l’obligation de contribuer à son épanouissement. Donc, je suis prêt, comme je l’ai fait de par le passé, et je continue à accompagner tous les maires de la région et bien sûr tous les maires du Burkina.
Tout de même, certains vous accusent d’être l’instigateur des crises que la commune a connues. Que leur répondez-vous ?
J’ai entendu cette rumeur. Mais franchement, je n’ai pas de raison à ce qu’il y ait des troubles là-bas. J’ai même eu, au moment fort de cette crise, à approcher un des premiers responsables du MPP pour qu’il dise à leurs conseillers de jouer balle à terre. Sinon, je gagne quoi en créant des troubles là-bas ? Vouloir repartir être maire ? J’ai déjà assumé cette fonction, cela ne m’intéresse plus. Je suis beaucoup plus préoccupé à assumer les charges qui sont actuellement les miennes dans la mise en œuvre du programme du président du Faso. Pour moi, c’est une fierté de voir mon parti à la tête du conseil municipal de Banfora et j’œuvrerai toujours dans la mesure du possible à ce que la population soit satisfaite de ce mandat.
Interview réalisée par Drissa Traoré