Dans la nuit du 15 vendredi 15 au samedi 16 janvier 2016, Dr Arthur Kenneth Elliot, responsable de la clinique chirurgico-médicale à Djibo, dans la région du Ssahel, et son épouse, Jocelyn ont été enlevés par le groupe terroriste Ansar Dine, affilié à Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Son épouse a été libérée, le 7 février 2016, alors que lui est toujours détenu par ses ravisseurs, laissant sa clinique et toute une population orphelines. Plus d’une année et demie après cet enlèvement, Sidwaya est allé à la rencontre de son personnel, de ses anciens collaborateurs, des patients, des autorités locales et des citoyens de la ville de Djibo , partagés entre amertume et espérance.
Le silence a pris possession de la clinique chirurgico-médicale du Dr Elliot située au centre ville de Djibo, chef-lieu de la province du Soum, dans la région du Sahel. et ses alentours. A part la présence des employés qui se relaient désormais selon un programme établi pour la surveillance et l’entretien des lieux, il y règne un calme plat que viennent perturber les cris d’oiseaux. Les abords de la clinique, jadis, animés sont devenus déserts. La plupart des échoppes qui jalonnaient la devanture de la formation sanitaire sont fermées. Il en est de même au niveau du forum, un espace récréatif jouxtant la clinique, qui a été créé par le Dr Elliot au profit des jeunes de Djibo. La population de Djibo, chef-lieu de la province du Soum, est toujours dans l’expectative quant au retour du du Dr Kenneth Arthur Elliot détenu par le groupe terroriste Ansar Dine. L’espoir qu’a suscité la libération de dame Elliot, le 7 février 2016, s’est envolé, puisque son époux est encore entre les mains de ses ravisseurs. Les promesses qui avaient été formulées de part et d’autre quant à la survie de la clinique en attendant le «retour» de Dr Elliot, ont juste eu « l’excuse de rassurer» le personnel et la population. Les interventions chirurgicales (prostates, hernies, hydrocèles…) qui étaient beaucoup pratiquées par le médecin sont un lointain souvenir dans l’esprit de Moussa Tamboura, chef du personnel par intérim. Les lits des malades ont été rassemblés dans un magasin, laissant les salles d’hospitalisation vides. « Après l’enlèvement du Dr Elliot, nous avons reçu l’ordre du ministre de la Ssanté d’arrêter d’enregistrer de nouveaux patients au centre. Nous n’avons pas de médecin qui pouvait prendre la relève de Dr Elliot », raconte M. Tamboura, en cette matinée du 20 juin 2017, dans l’enceinte de la clinique. Au moment de la prise en otage du Dr Elliot, 70 patients séjournaient à la clinique. 19 étaient programmés pour des interventions chirurgicales et les 51 autres avaient subi des opérations. Les premiers ont été immédiatement libérés, puisque les interventions n’étaient plus possibles au centre médical. du Dr Elliot. Moussa Tamboura et les sept aides-soignants se sont occupés des autres jusqu’à leur guérison totale. «Tous ces patients, dans leur majorité, avaient subi des chirurgies. Et nous avions la charge de contrôler les infections, d’enlever les fils de suture à la date indiquée. Il y avait d’autres patients qui souffraient de la tuberculose osseuse et leur traitement a été très long. Nous leur offrions des médicaments antituberculeux », confie le chef du personnel par intérim. Dès les premiers moments de l’enlèvement du Dr Elliot, précise-t-il, le directeur régional de la santé de la région du Sahel a mis la clinique sous la responsabilité du médecin- chef du district sanitaire de Djibo. Dans les Aux premières heures de la prise d’otage,ers moments, ce dernier et deux de ses collègues médecins venaient les assister tous les deux jours pour voir ce qu’ils faisaient auprès des patients et leur prodiguaient quelques conseils. « Dieu merci, nous n’avons enregistré aucun décès parmi ces patients depuis le son «départ ». de Dr Elliot. Ils sont tous sortis guéris du centre, grâce au soutien des aides-soignants que nous sommes. Le dernier malade a quitté la clinique le 13 novembre 2016 », se réjouit Moussa Tamboura, tout ému. A la question de savoir sur quels critères le personnel aide-soignant de la clinique a été recruté, Moussa Tamboura affirme que le Dr Elliot requerrait trois exigences. « Les critères de recrutement étaient simples. Le Ddocteurr exigeait que le candidat qui postulait pour un poste d’aide-soignant puisse s’exprimer couramment en français et dans les langues les plus parlées à Djibo, le mooré et le fulfuldé et qu’il soit originaire de la localité», détaille le chef du personnel par intérim.
Un personnel formé sur le tas
A l’entendre, c’est le Dr Elliot qui s’est chargé de les former sur le tas, afin de l’aider dans différentes tâches. Il explique que certains aides-soignants l’assistaient dans la salle d’opération et d’autres étaient dans les salles d’hospitalisation pour veiller sur les malades. La salle d’opérations est un passage obligé pour tout aide-soignant qui arrive. En plus de ce que Dr Elliot leur inculquait comme rudiments en matière médicale, les nouveaux aides-soignants apprenaient également avec leurs prédécesseurs. Le personnel au nombre de 14 quatorze (huit aides-soignants et six autres chargés de l’entretien) s’occupe de la clinique à travers un programme bien établi.Tous les matins, de 7 h à 14 h, en plus du personnel d’entretien, il y a un aide-soignant qui est présent. Un de ses collègues vient le relayer de 14 h à 20 h et de 20 h à 7 h, c’est une autre personne qui est là. C’est à ce rythme que vit la clinique depuis un certain temps.
« Sa famille, chaque fin de mois, nous envoie les salaires »
Et laLa famille du Dr Elliot est toujours présente, puisqu’elle continue de verser les salaires du personnel. A chaque fin de mois, par l’intermédiaire d’un Canadien, très proche du fondateur de la cliniqueDr, les salaires parviennent au personnel. « Depuis l’enlèvement de notre employeur, sa famille ne nous a pas abandonnés. Chaque fin de mois, elle nous envoie les salaires. Mais le fait de toucher un salaire sans rien faire met mal à l’aise », soutient Moussa Tamboura. Son collègue, Saidou Sawadogo, exprimant leur reconnaissance à la famille de leur patron, précise que le personnel soignant est payé à temps partiel, puisqu’il ne mène plus ses activités originelles. Quant au personnel d’entretien, il continue d’être payé normalement. «Quand Dr Elliot était là, nous pouvions bénéficier de prêts pour réaliser quelques petits projets. Mais nous n’avons plus cette possibilité », regrette Hamadou Koura, un autre aide-soignant. Dans leur drame, des soutiens sont venus d’autres structures au premier trimestre de l’année 2016. Il s’agit des Organisations de la sSociété civile (OSC) de la ville de Djibo qui ont apporté un don composé de détergents, d’huile et de spaghettis. Un geste fait à l’endroit des malades. Un autre don comprenant de 500 000 F CFA, des ballots de friperies et du savon est venu de la part des OSC de la province du Séno. L’action sociale de Djibo a également offert de l’huile et du savon pour lesaux malades. «Les OSC de la province du Soum sont revenues une seconde fois avec une somme de 155 000 F CFA. Nous utilisons cette somme pour payer les factures d’eau et d’électricité », affirme Moussa Tamboura. Il ajoute que lors du lancement de la gratuité des soins à la mère et aux enfants âgés de moins de cinq ans, le 2 mai 2016 à Djibo, le Premier ministre, Paul Kaba Thiéba, avait offert une somme de 100 000 F CFA aux malades internés à la clinique. Du côté des autorités provinciales, le chef du personnel par intérim dit avoir reçu « le soutien moral » du haut- commissaire et du secrétaire général de la province du Soum. « Mais aucun appui matériel ou financier. Des promesses ont été annoncées, mais jusqu’à présent, nous n’avons pas encore vu quelque chose. On nous avait promis des réponses sous plis fermés, je ne sais pas ce que ça veut dire et de réemployer le personnel dans des structures locales. Mais rien de tout cela pour le moment », confie-t-il. Il leur avait été demandé de rassembler leurs bulletins de salaire et de les remettre au médecin- chef de district sanitaire de Djibo. Chose qui a été faite, mais depuis lors, aucune nouvelle. « Je ne sais pas si nos bulletins sont restés à Djibo ou ont été amenés ailleurs », s’interroge M. Tamboura. Lorsqu’on lui demande si les autorités communales ont manifesté une quelconque intention à leur endroit, Moussa Tamboura ironise en ces termes : « Peut-être qu’elles ont l’intention de nous soutenir, mais rien pour le moment de leur part».
La « léthargie Aucune initiative de survie» de la clinique déplorée
Approchées, les autorités provinciales et communales déplorent l’état de «léthargie», le mot est du haut-commissaire de la province du Soum, Mohamed Dah, dans lequel se trouve la clinique après l’enlèvement du Dr Elliot. Elles reconnaissent que jusque-là aucune initiative inhérente à sa survie n’a encore été prise. « En dehors du personnel qui est présent sur les lieux, la clinique ne reçoit plus de patients. Comme il n’y a pas de spécialiste pour assurer la continuité, le centre est laissé à lui-même », avoue le hHaut-commissaire. Il laisse entendre qu’il est possible que des réflexions soient toujours en cours quant à la survie de la formation sanitaire. Du côté de la mairie de Djibo, c’est le même discours de regret quant à l’état dans lequel se trouve le centre médical. « Nous aussi, nous assistons impuissants face à la situation de la clinique et c’est vraiment désolant. Mais, nous sommes en train de gérer cela avec les autorités provinciales et gouvernementales. Nous nous concertons pour voir ce qu’il y a lieu de faire.», déclare le 1er adjoint au maire de la commune, Issa Idrissa Dicko. Contacté, le médecin-chef du district sanitaire de la ville s’est abstenu de se prononcer sur la vie de la clinique. Le vide laissé par le Dr Elliot est ressenti à tous les niveaux dans la ville. La population, tout entière dans son ensemble, se sent amputée d’un membre important. Et les confidences expriment à la fois la reconnaissance, l’impuissance, l’indignation et l’espoir.
Une population orpheline de son bienfaiteur
Pour Moussa Tamboura, l’action du Dr Kenneth Arthur Elliot dans la ville de Djibo et dans la sous-région Oouest-africaine est inestimable. Dr Elliot, dit-t-il, est un grand humaniste qui a quitté son pays l’Australie pour s’installer dans le Ssahel burkinabè. Et Ppendant 43 ans, il offrait des soins aux pauvres, ajoute-t-il. Selon ses déclarations, il n’est pas venu à Djibo pour des raisons mercantiles, dans la mesure où les coûts de ses prestations étaient insignifiants par rapport à ce qui se fait ailleurs. En son temps, appuie-t-il, l’opération d’une hernie coûtait 20 000 F CFA en tout, de la consultation à l’intervention. « Ailleurs, il faut débourser au minimum 60 000 F CFA. Pour l’opération d’une prostate, il fallait débourser 75 000 F CFA contre au minimum 200 000 F CFA ailleurs. Beaucoup de cas de césariennes ont été gratuitement pris en charge en fonction de la situation sociale des patientes », détaille M. Tamboura. En plus, il a décidé d’embaucher des ressortissants de la localité pour l’aider dans ses tâches, une preuve supplémentaire de son élan d’humaniste, défend-il.soutient-il « Je me rappelle qu’une année qu’il a reconstruit un pont qui s’était écroulé au centre-ville. Il a réparé aussi la voie qui se situe entre son centre et la clinique dentaire. C’est pour la jeunesse qu’il a également construit le forum. C’est un citoyen qui a choisi de consacrer sa vie aux autres », souligne-t-il, le regard perdu. A entendre Djibrilou Tamboura, un autre aide-soignant, la prise en otage du Dr Elliot a quelque peu plombé l’activité économique aux alentours de la clinique et dans la ville. Des commerces, décrit-il, florissaient tout le long du centre médical jusqu’aux abords du marché de Djibo, du fait de l’affluence au centre médical. «Mais tout est devenu désert depuis que le centre ne fonctionne plus. Beaucoup ont fermé boutique pour aller s’installer ailleurs. Nous enregistrions 200 patients par mois parmi lesquels des Burkinabè, des Maliens, des Ivoiriens et des Nigériens », appuie Djibrilou Tamboura, la voix éraillée par l’émotion. Le secrétaire exécutif de l’Union des jJeunes pour le dDéveloppement du Soum, (UNIJED), Ismaël Traoré, est admiratif de l’engagement de l’homme qui a vu le jour le 11 novembre 1934 à Perth, en Australie, au profit des populations pauvres de la province du Soum et au-delà. Dr Elliot est, pour lui, « un philanthrope » dans le sens plein du terme, à partir du moment où ses soins étaient à la portée du citoyen lambda. Au-delà de sa clinique, poursuit Ismaël Traoré, le Dril s’intéressait aux activités de développement de la ville. «Dr Arthur Kenneth Elliot est un vrai coopérant qui a toujours agi utilement pour la population. Il participait aux rencontres dans la communauté, en donnant son point de vue sur certaines préoccupations. Il rendait également visite à nos autorités coutumières et religieuses et fréquentait ses employés dans leurs familles lors des évènements heureux ou malheureux », témoigne-t-il. De son côté, le président de l’Eveil Club de Djibo, Ali Tamboura, est reconnaissant au Dr Elliot pour leur avoir offert un cadre récréatif, le forum, à la jeunesse de la ville. Il se dit peiné de voir cet espace fermé depuis l’enlèvement du donateur. «Le forum était un cadre de retrouvailles pour les jeunes de Djibo. On s’y retrouvait pour partager nos préoccupations. Grâce au forum, nous avons appris des jeux comme le scrabble, le tennis de tables, le damier, la pétanque et le jeu de fléchettes. Nous y jouions également au volley-ball », détaille-t-il. Cet espace, appuie-t-il, servait également aux répétions théâtrales et aux réunions des jeunes. A leur niveau, les anciens employés du Dr Elliot rivalisent d’éloges en évoquant son œuvre et la qualité de leur collaboration. Abdoulaye Ouédraogo, Issa Ouédraogo et Amidou Tao sont de ceux-là. Tous trois soutiennent que leur ancien patron a laissé un grand vide à Djibo.
« J’attends son retour avant de mourir »
Rencontrés dans les confins du marché de Djibo, El Hadj Idrissa Niampa et Adama Belem, tous du troisième âge, sont des anciens patients du Dr Elliot. Ils ont été déjà internés à la clinique, il y a des lustres. A l’évocation du nom du Dr Elliotde leur bienfaiteur, les souvenirs refont surface. Pour eux, l’homme est un envoyé auprès des pauvres. El Hadj Idrissa Niampa lance sans ambages qu’il attend son retour avant de mourir. Le chirurgien, narre-t-il, a, à plusieurs reprises, sauvé lui et sa famille, de graves maladies. « J’avais eu une blessure grave au pied et on m’a transporté à la clinique du Dr Elliot. Il s’est très bien occupé de moi. J’ai amené mon enfant qui était venu au monde avec une malformation. Ses deux pieds étaient collés et grâce à sa chirurgie, mon fils Dr Elliot a été sauvé mon fils d’une paralysie évidente. Il marche normalement aujourd’hui », se rappelle le vieux Niampa, en réclamant de l’eau pour ses ablutions. Son ami, Adama Belem, chauffeur à la retraite, confie avoir été opéré d’une hernie par le médecin. « J’avais également mal au doigt et c’est lui qui l’a opéré. Dr Elliot est l’ami des pauvres, c’est un homme très désintéressé dans ses actions. Quand il vous rendait service et vous alliez lui témoigner votre reconnaissance avec un présent, il refusait catégoriquement », témoigne M. Belem.
Pour tous nos interlocuteurs, la détention du Dr Elliot a trop duré et toutes les bonnes volontés doivent s’unir pour qu’advienne la libération du« vieil homme », qui aura 83 ans le 11 novembre prochain. « Ma prière quotidienne est qu’on le libère ce monsieur au plus vite. Il est venu à Djibo pour sauver la population et il ne mérite pas cela », martèle El Hadj Idrissa Niampa. .Le secrétaire exécutif plaide pour que les efforts conjugués qui ont conduit à la libération de l’épouse du Dr Elliot puissent être maintenus pour le libérer. Le même vœu est réitéré par le chef du personnel par intérim, Moussa Tamboura et ses collègues, Hamadou Koura, Saidou Sawadogo, Moussa Gondé et Djibrilou Tamboura.
Karim BADOLO