Les décès de suite de crise cardiaque sont devenus fréquents sous nos tropiques. Problème majeur de santé publique, la crise cardiaque est en effet responsable de 7,2 millions de décès par an dans le monde. En Afrique, la prévalence se situe entre 6 et 12 % avec une moyenne d’environ 8% au Burkina Faso. Pourtant, c’est une maladie qu’on peut éviter ou, le cas échéant, dont on peut sortir indemne si on se fait rapidement prendre en charge. Avec le médecin cardiologue Sayouba Savadogo, nous abordons dans ce numéro de Carnet de Santé les contours de cette pathologie du cœur.
Qu’est-ce qu’une crise cardiaque ?
L’expression médicale appropriée est infarctus aigu du myocarde. Communément appelé crise cardiaque ou attaque cardiaque, c’est une obstruction brutale, de manière aigüe, de la lumière d’une artère ou de plusieurs artères qui irriguent le cœur, appelées artères coronaires. L’obstruction de l’artère coronaire prive le muscle cardiaque d’oxygène et cette partie va en souffrir jusqu’à la nécrose, c’est-à-dire la mort de ses cellules.
Quelle différence y a-t-il entre crise cardiaque, accident vasculaire cérébral (AVC) et arrêt cardiaque ?
Déjà, la crise cardiaque est différente de l’AVC, même si le processus pathologique semble être le même. En effet, l’AVC ischémique a un mécanisme physiopathologique similaire à la crise cardiaque, contrairement à l’AVC hémorragique. Mais référons-nous aux définitions pour mieux saisir la différence : il y a crise cardiaque lorsqu’il y a obstruction brutale, de manière aigue, de la lumière d’une artère qui irrigue le cœur. Ces artères, appelées artères coronaires, peuvent être bouchées par les complications d’une pathologie appelée athérosclérose. Cette athérosclérose est un processus lent qui va aboutir à la formation d’une plaque athérome, laquelle est constituée d’un magma de graisse et de beaucoup de substances nocives. La rupture de cette plaque va occasionner la formation d’un caillot sanguin qui va boucher l’artère. Si cela se passe au niveau des artères coronaires, il y a crise cardiaque et si ça intervient au niveau cérébral on parlera plutôt d’accident vasculaire cérébral ischémique. L’arrêt cardiaque, quant à lui, est tout simplement un arrêt du fonctionnement du cœur, donc la mort de l’individu si rien n’est fait pour le ressusciter.
Quels sont les signes d’une crise cardiaque ?
Les signes de la crise cardiaque, dans sa forme typique, sont dominés par le maître symptôme qu’est la douleur thoracique, très violente, qui survient de façon brutale et est parfois accompagnée de sensation de mort imminente. Cette douleur est parfois ressentie au niveau du cou, de la mâchoire, des membres et surtout au niveau des poignets. La douleur est parfois inaugurale mais très souvent précédée d’une douleur thoracique similaire mais de brève durée survenant à l’effort que nous appelons angine de poitrine ; il peut également y avoir des palpitations (le cœur qui bat rapidement), l’essoufflement et beaucoup d’autres signes non spécifiques. Parfois dans la forme la plus grave, c’est une mort subite et le diagnostic est porté a posteriori, à l’autopsie.
Comment se fait le diagnostic ?
Le diagnostic s’établit sur la base de la clinique. Face à une douleur thoracique qui est caractéristique d’une crise cardiaque survenant sur un terrain à risque, cette personne doit consulter le plus tôt dans un centre médical disposant d’un électrocardiogramme qui va permettre de poser le diagnostic. Très souvent la douleur thoracique et l’électrocardiogramme suffisent à porter le diagnostic mais parfois on fait appel à certains examens biologiques comme le dosage sanguin pour mieux affiner le diagnostic. Parfois des formes atypiques difficiles à diagnostiquer rapidement existent et sont l’apanage des sujets âgés, des diabétiques et de ceux souffrant d’insuffisance rénale chronique.
Quels sont les facteurs de risque d’une attaque cardiaque ?
D’abord il y a l’âge. Les personnes les plus à risque étant les sujets ayant plus de 55 ans. Cependant la crise cardiaque du sujet jeune de moins de 40 ans existe. Il y a aussi ces personnes qui ont une hérédité familiale avec une histoire similaire de mort subite ou de crise cardiaque. Outre ceux-ci, d’autres facteurs comme le tabagisme actif ou passif (principal facteur de risque), l’hypertension artérielle, le diabète, l’hypercholestérolémie, l’excès pondéral, l’excès d’alcool, la sédentarité, les mauvaises habitudes alimentaires (trop gras, trop sucré, trop salé), et le stress favorisent la survenue, parfois même précoce, de l’athérosclérose et de ses complications dont la crise cardiaque. Des études ont aussi montré que le sujet du sexe masculin est le plus à risque, la femme bénéficiant d’une protection hormonale avant la ménopause. Mais autour de la soixantaine, le risque devient similaire. Même qu’avec le tabagisme féminin, qui prend de plus en plus de l’ampleur, il y a des cas précoces chez la femme.
Peut-on se relever d’une crise cardiaque ?
Oui. Mais la prise en charge relève d’une course contre la montre dans laquelle gagner du temps, c’est gagner du muscle cardiaque. Si la crise intervient dans un milieu avec un équipement approprié et qu’on arrive très rapidement à désobstruer l’artère occluse, le myocarde est sauvé. Mais tout de même, le risque de récidive reste élevé. C’est pourquoi le sujet doit toujours bénéficier d’un traitement à vie. En général, les malades cardiaques meurent au moment où ils se sentent mieux, lorsqu’il y a un relâchement dans la prise de médicaments.
Peut-on en guérir sans séquelles ?
Oui, dans de rares cas. Dans des pays avec un plateau technique bien relevé, il est possible, dans les premières heures, de sauver l’individu de la crise cardiaque, ce qui fait que son myocarde reste indemne. En plus, un certain nombre de traitements permet d’éviter la récidive ou d’autres complications. Mais dans notre contexte, nous gérons nos patients avec des séquelles, que nous essayons de minimiser tout en évitant la survenue d’autres complications. Ces complications sont nombreuses et on compte parmi celles-ci l’insuffisance cardiaque, les troubles du rythme cardiaque et des conductions graves, responsables de mort subite à la phase aiguë et même plus tard avec le risque de récidive.
Quelle attitude adopter face à une personne qui présente les symptômes d’une crise cardiaque ?
La personne ayant les facteurs de risque et qui sont des douleurs thoraciques doit immédiatement se faire consulter dans un centre de santé doté d’un électrocardiogramme, se faire prendre en charge systématiquement par un cardiologue car, plus le temps passe, plus les chances de survie deviennent minces. Une minute perdue dans la prise en charge équivaut à 10 jours de vie perdus. La prise en charge se fait à deux niveaux : d’abord en milieu extrahospitalier où la prise en charge est assurée par une équipe médicale, notamment le service d’Aide médicale d’urgence (qui n’est pas bien fonctionnel au Burkina) qui peut poser déjà le diagnostic dans l’ambulance et administrer les premiers soins. Ces soins sont poursuivis ensuite en service de cardiologie, notamment en unité de soins intensifs où est parfois réalisée une cardiologie interventionnelle que nous appelons coronarographie avec angioplastie primaire qui n’est malheureusement pas disponible au Burkina pour le moment.
N’y a-t-il pas de petits gestes que puisse faire l’entourage avant la prise en charge hospitalière de la victime ?
Quand on sent la douleur et que le diagnostic de la crise cardiaque est fortement suspecté par un médecin, il y a des médicaments qui peuvent sauver. En effet, une panoplie de produits administrés aux patients permet de limiter les dégâts. En dehors de ça, le geste le plus simple à adopter face à une personne apparemment bien portante qui tombe subitement et est inerte, ne respirant pas et sans battements cardiaques, c’est de commencer tout de suite une réanimation cardio-pulmonaire, c’est-à-dire un massage cardiaque externe et ensuite lancer l’alerte pour une prise en charge médicale rapide et adéquate.
Comment se prémunir contre les maladies cardio-vasculaires ?
Par la prévention, en l’occurrence le dépistage. Le dépistage concerne les facteurs de risque que sont, entre autres, le diabète, l’hypertension artérielle, l’excès de cholestérol. Si c’est dépisté très tôt, le traitement permet de contrôler la maladie. Il faut en plus lutter contre la sédentarité, arrêter la consommation de tabac et d’alcool. Celui qui a fait une crise cardiaque doit être fidèle aux rendez-vous avec son cardiologue et suivre scrupuleusement les prescriptions, car la récidive est très souvent fatale. Quelqu’un qui fait une crise, en effet, présente un risque élevé de faire une deuxième crise, et le traitement consiste à éviter la récidive.
Le coût du traitement est-il abordable ?
Non. La prise en charge est extrêmement coûteuse. Les produits coûtent cher et la coronarographie avec angioplastie, qui est le geste de référence, estimée à des millions de F CFA, n’est pas disponible au Burkina mais dans certains pays de la sous-région. Le manque d’équipements et l’insuffisance de personnel qualifié constituent d’ailleurs un souci dans notre pays. L’hôpital national Blaise Compaoré, par exemple, est doté d’un service de coronarographie, qui n’est malheureusement pas fonctionnel par manque d’équipements. Pourtant, comme je l’ai tantôt souligné, une minute perdue dans la prise en charge équivaut à dix jours de vie perdus. C’est une véritable course contre la montre et tout le monde doit s’y mettre, y compris les malades. A Ouagadougou, les études montrent que les délais moyens d’admission des patients qui font une crise cardiaque sont de 48 heures, c’est-à-dire que le patient est reçu par un cardiologue 48 heures après sa crise alors que les cellules cardiaques meurent en l’espace de 12 heures. Nous les recevons donc à un stade critique alors que les trois premières heures, appelées «golden hours», sont très précieuses. Dès que le diagnostic est fait dans une structure adéquate, la prise en charge l’est aussi.
Alima Koanda née Sédog