Le président de l’Assemblée nationale décédé à Paris le 19 août 2017 a été inhumé vendredi dernier à son domicile au secteur 10 de Ouahigouya. Cette séparation définitive d’avec cette figure majeure de la vie politique burkinabè depuis 30 ans s’est effectuée dans une ambiance émotionnelle. Ses plus proches collaborateurs, notamment le premier vice-président de l’Assemblée nationale, Me Bénéwendé Sankara, le président de la Chambre de commerce, Mahamadi Savadogo, dit « Kadhafi », et le vice-président du Mouvement du peuple pour le progrès, Simon Compaoré, avaient les yeux débordants de larmes. Un peu plus tôt dans la journée, Gorba avait eu droit à un hommage populaire qui a mobilisé des milliers de personnes à la place de la Nation de Ouahigouya et à une dernière prière à la grande mosquée de la ville. Retour sur cette dernière journée terrestre de l’enfant terrible de Bimbili.
7h 30. Un ballet incessant de véhicules, de cars, de minibus, de piétons se dirige vers la place de la Nation de Ouahigouya. Pourtant les principales voies y menant sont bouclées par les forces de l’ordre. Les automobilistes sont obligés de prendre des chemins détournés dans les ruelles environnantes, mais il est difficile de trouver un lieu de stationnement à proximité. Les premiers sont les mieux servis et les autres sont obligés de garer à plus d’un kilomètre pour poursuivre le trajet à pied.
Un fort dispositif sécuritaire constitué d’hommes en arme et de véhicules surmontés de mitrailleuses quadrille le site déjà noir de monde. Tout le Burkina politique, institutionnel, administratif se retrouve en ce lieu : le Premier ministre, les membres du gouvernement, les députés, les présidents d’institution, les gouverneurs pour ne citer que ce là. La population de Ouahigouya et de la région du Nord s’est elle aussi mobilisée pour un dernier hommage au « digne fils du Yatenga ». Certains arborent des tee-shirts à l’effigie de leur idole, un homme qui a toujours œuvré au développement de sa terre natale, et d’autres des brassards noirs. Tous ont le sentiment d’une grande perte.
La veille, le Président de l’Assemblée nationale était arrivé dans la cité de Naaba Kango accompagné d’un impressionnant cortège. Quelques fantaisistes avaient même parlé sur les réseaux sociaux d’un convoi de « 100 km ». Irréaliste. Mais une chose est sûre, même mort, l’enfant de Bimbili est rentré chez lui comme une rock star, la ferveur festive en moins.
C’est à 7h 40 qu’arrive la dépouille du défunt à bord d’un véhicule militaire. Le public se lève à son passage lorsque le cercueil, couvert des couleurs nationales, fait le tour de la place. La bière est ensuite placée au milieu de couronnes de fleurs sous un chapiteau au centre de la place. C’est le début de l’hommage populaire.
Les populations de la région du Nord et tous ceux qui le souhaitent s’inclinent tour à tour devant la dépouille au rythme des chansons de deuil de Floby et du Gandaogo national, Georges Ouédraogo. On ne sait pas combien de personnes ont voulu être au plus près de Salifou Diallo pour lui dire un dernier au revoir, mais la procession a duré trois heures. Le temps pour un avion de surveillance de rejoindre les vautours qui tournoyaient déjà autour de la place.
11h. Le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, et son homologue nigérien, Mahamadou Issoufou, arrivent sur les lieux. Ils rejoignent à la tribune officielle l’ancien président guinéen Moussa Dadis Camara.
« Salif va se réveiller demain à Fada »
Place aux différents discours qui ont ponctué toute la cérémonie, les représentants des confessions religieuses, le représentant de la famille du disparu, des collègues du défunt, des opérateurs économiques, des femmes de la région et le Premier ministre, Paul Kaba Thiéba, sont intervenus soit pour rappeler une fois de plus les qualités du défunt soit pour prier pour le repos de l’âme de Gorba.
Le ballet des interventions a été ouvert par le Baloum Naaba, représentant le Yatenga Naaba pour qui Salifou Diallo était un « digne fils de la région ». Il appelle à poursuivre les différents projets que le défunt avait engagés pour la région du Nord, notamment la construction du barrage de Guiti et de la route Ouahigouya-Tougan.
Le seul moment jovial au cours de ces obsèques a été l’intervention des parents à plaisanterie du défunt, notamment les Gourmantché.
L’envoyé de Kupiendeli, roi du Gulmu, démarre très fort : « Nous sommes venu réclamer le corps de notre fils né à Fada ». Une boutade bien sûr puisque Salif est né à Bimbili, un quartier populaire de Ouahigouya. Le président de l’Assemblée nationale est selon lui un Gourmantché. Il en veut pour preuve les nombreuses pluies depuis l’arrivée de son corps. Séance tenante, le sable a été consulté et le verdict livré sur le sort du défunt : « Salif n’est pas mort, le sable ne ment pas. Il se réveillera demain à Fada ». De quoi arracher un sourire à l’assistance.
Après cette plaisanterie de bon goût, la cérémonie s’est poursuivie avec notamment un défilé des forces de défense et de sécurité pour un hommage martial à « l’homme de combat ».
Les deux chefs d’Etat en exercice sont allés ensuite se recueillir sur le cercueil avant de se rendre au domicile de la mère du disparu pour présenter leurs condoléances. Mahamadou Issoufou affirmera après cette visite être venu témoigner sa solidarité à la famille d’un « ami ». D’ailleurs, il informe ne pas être à sa première visite à Ouahigouya.
13h, Arrivée de la dépouille à la grande mosquée pour la prière de vendredi. Selon certaines sources, Salifou Diallo avait promis de rénover et d’agrandir ce lieu de prière. Le destin ne lui en a pas donné assez de temps.
Repos éternel à domicile
13h20, Départ de la dépouille pour le domicile. La foule a également convergé vers ce lieu pour assister à la séparation définitive du défunt d’avec le monde des vivants. A l’arrivée du corps à sa datcha au secteur 10 de Ouahigouya, les forces de défense et de sécurité ont exécuté un cérémonial après que le cercueil a été descendu du véhicule et introduit dans la deuxième partie de la cour. Là-bas, le corps a été confié quelque temps à sa famille avant d’être ramené à côté de la tombe pour les discours d’hommage. Les représentants des camarades et des anciens compagnons de Salifou Diallo ont levé un coin du voile sur sa riche carrière politique, les actions qu’il a conduites pendant ses fonctions ministérielles et à l’Assemblée nationale. Si Gorba est connu pour être un brillant homme politique, il nourrissait une passion pour le sport. Cet amour il l’a traduit avec l’Union sportive de Ouagadougou (USO) dont il était le président d’honneur et le parrain financier. La famille unioniste dit être sans voix pour traduire le vide que va laisser leur défunt président d’honneur.
Le représentant du club, dans son discours d’hommage, signifiera que, par l’intermédiaire de l’illustre disparu, le club a noué un partenariat avec une société minière de la place. Les échanges également avec Salif au sujet de la réalisation d’un complexe omnisports étaient bien avancés. « Tu nous quittes au moment où l’USO a fortement besoin de toi », a-t-il soutenu avant de prendre l’engagement de convertir cette disparition en une source d’inspiration pour les futurs défis à relever.
Homme de réseaux comme laissent entendre de nombreux témoignages, le défunt président du parti au pouvoir avait fait affilier son écurie politique à l’Internationale socialiste et son aura brillait de mille feux en ces lieux. La vice-présidente de l’organisation dira qu’elle est venue assister au dernier grand meeting du Gorba national. Elle révèle que Salif est parti au moment où il préparait une tournée des femmes de son parti avec les membres de cette faîtière des socialistes. L’organisation d’une grande rencontre de formations politiques affiliée à l’Internationale socialiste à travers le monde était aussi en vue à Ouagadougou. Affirmant que la disparition du président du MPP est un coup dur pour l’Internationale socialiste, sa vice-présidente Chantal Kanbiwa, dit compter sur ses camarades pour continuer ses œuvres « Quant à l’international socialiste, son président et son secrétaire général m’ont dit de dire au MPP que nous serions avec toi et le Burkina Faso. Tu as mené le bon combat, tu as achevé ta course avec conviction », a-t-elle conclu.
Séparation définitive sous une pluie de larmes
D’un ton posé, le vice-président du parti au pouvoir, Simon Compaoré, qui a multiplié les allers-retours entre Ouagadougou et Ouahigouya pour la préparation des obsèques de son président, était encore au rendez-vous du dernier hommage. Son discours a été une traduction de trois engagements forts. Premier engagement, des remerciements pour tout ce que Salif a fait de son vivant pour sa famille, sa vie, sa province, sa région, son pays et le reste du monde. Deuxième engagement, une réaffirmation de la ferme volonté de l’ensemble des militants du parti à rester unis et solidaires autour de l’actuel président de la République. Il traduira le troisième engagement en ces termes : « Tu peux dormir tranquille, parce que dans la mobilisation que nous allons initier dans les prochains jours, semaines, mois à venir, nous allons nous mettre en ordre de bataille pour achever tous les chantiers que tu as commencés et que tu n’as pas terminés. Ainsi pour faire honneur à notre grand président ». Affichant une mine triste, mais imperturbable au départ, Simon Compaoré a fini par craquer quelques instants après son discours. Victime d’un malaise, il a été écarté de la foule massée autour de la tombe pour être placé sur une chaise une trentaine de minutes durant sous un arbre sous les bons soins de sa sécurité et de ses proches collaborateurs. Alors que les hommages tirent à leur fin, le président de la Chambre de Commerce, Mahamadi Savadogo, est envahi par la forte émotion et fond en larmes. Visiblement inconsolable, il a fallu que de hautes personnalités s’emploient pour qu’il retrouve ses esprits.
Très prolixe et inventif dans le jeu de la parenté à plaisanterie en de telles circonstances, pour cette fois-ci, le Samos Emile Paré avait visiblement la gorge nouée pour traduire son message. C’est un Emile paré très sonné par la disparition de son compagnon politique de depuis 1982 qui s’est consacré à la traduction des valeurs sociales entre Samos et Mossi. Il dira que, de toute sa vie, Salif Diallo, du milieu estudiantin au milieu politique de même que dans la gestion du pouvoir, est resté accroché aux Samos. Ce lien ombilical avec les Samos est bien noué au point que la mère de ses trois enfants est de cette ethnie. Il martèlera haut et fort que son illustre camarade politique a laissé des jeunes loups qui porteront haut le flambeau de son combat.
Dernier à prendre la parole, le vice-président de l’Assemblée national, Me Sankara, a eu véritablement de la peine à prononcer son discours. Sa voix était noyée dans les pleurs. Essayant et rasseyant, il a fini par contenir l’émotion. « Salifou Diallo a tant marqué l’histoire politique et sociale de notre pays qu’indubitablement, il va cruellement nous manquer », a-t-il souligné. « Il avait l’éloquence du cœur et le courage de la vérité », a ajouté Bénéwendé Sankara, pour qui le défunt président du MPP croyait à un monde meilleur et il a affiché un combat foncièrement volontariste pour tenter de reformer l’ordre social pour plus de justice et d’équité et surtout pour rendre aux plus défavorisés leur dignité. Il précisera que la pertinence du plan stratégique 2016-2020 de l’Assemblée nationale traduit toute la vision de son défunt président. Il invite l’ensemble des fils du pays à prendre l’héritage légué par Salifou Diallo comme un référentiel. « Cet homme-là ne quittera jamais nos souvenirs ! Cet homme-là, nous le porterons toujours et cela dans nos cœurs », a asséné l’orateur, les larmes dégoulinant sur les dernières pages de son document. Pour tout mot, la famille, à qui il est revenu de mettre le corps de l’illustre disparu sous terre, à travers la voix de son représentant, Abdoulaye Diallo, a demandé à leur digne fils de dormir tranquille au regard des honneurs à lui rendus et de sa présentation comme une référence pour la jeunesse. Abdoulaye Diallo a traduit le pardon de la famille à tous ceux qui auraient offensé le fils du terroir et demandé pardon à tous ceux à qui ce dernier a causé un quelconque tort.
C’est sous un soleil de plomb que le cercueil a été porté en terre peu avant 15h. Salifou Diallo s’est donc endormi pour toujours sous l’ombre des palmiers de son domicile au secteur 10 de Ouahigouya.
Albert Emery Ouédraogo
Hugues Richard Sama