Décédé à Paris le 19 août dernier, Salifou Diallo, porté au perchoir de l’Assemblée nationale du Burkina Faso le 30 décembre 2015, sera conduit à sa dernière demeure ce vendredi 25 août dans sa ville natale de Ouahigouya. Militant ancré à gauche depuis son adolescence, ce redoutable et virevoltant homme politique, titulaire d’un doctorat en droit public international, a été de tous les combats dans son pays. Dans l’interview qu’il nous a accordée au lendemain des cent premiers jours d’exercice du pouvoir par Roch Marc Christian Kaboré à la tête de l’Etat — et que nous mettons à nouveau en ligne pour lui rendre hommage —, le désormais défunt président de l’Assemblée nationale évoque, entre autres, la question des koglweogo et le passage à une Ve République.
Fasozine: Comment avez-vous vécu votre élection au perchoir de l’Assemblée nationale?
Salifou Diallo: La mise en place des institutions républicaines après la tenue réussie, le 29 novembre 2015, des élections couplées — présidentielle et législatives — est la résultante de la lutte héroïque du peuple burkinabè pour la démocratie et le progrès.
C’est pourquoi, à l’issue de mon élection à la présidence de l’Assemblée nationale, organe législatif, j’ai tenu à rendre un hommage à notre peuple et à ses martyrs tombés pour la liberté et le progrès de notre pays. J’ai salué le peuple dans sa composante jeune. Cette jeunesse qui, de par son action, a donné au monde un témoignage de son courage et de sa volonté de vivre, et de vivre libre.
Trois mois après, comment vous sentez-vous dans votre costume de deuxième personnalité de l’Etat?
L’Assemblée nationale constitue un des piliers dans un régime démocratique. Et au regard des missions constitutionnelles dévolues à notre parlement, c’est-à-dire voter les lois, consentir l’impôt et surtout contrôler l’action gouvernementale, nous avons assis les bases d’une Assemblée qui se veut être dynamique, ouverte et qui travaille pour le progrès.
Sous quel signe placez-vous votre mandat à la tête du Parlement burkinabè?
Si l’on peut considérer que nous sommes des élus du peuple insurgé avec tout ce que cela comporte comme charge émotionnelle et défis historiques à relever, notre vision est d’avoir naturellement une Assemblée nationale dynamique et de progrès.
Nous avons donc privilégié l’ouverture, la transparence et le consensus comme approche, afin d’être un organe législatif en phase avec les aspirations des populations de notre pays. L’ensemble des députés doit se reconnaître chaque matin dans les aspirations profondes du vaillant peuple travailleur du Burkina Faso.
Comment jugez-vous la représentativité et la participation des partis politiques de l’opposition dans la vie du nouveau parlement?
Il est clair que nous devons ensemble faire le pari qu’au-delà de nos divergences idéologiques, au-delà de nos différents partis politiques, nous avons un fond commun: la défense des aspirations profondes de notre peuple. Il est donc indiqué que nous puissions transcender l’esprit partisan chaque fois que de besoin dès lors que l’intérêt du pays l’exige.
Ces partis estiment que le Mouvement du peuple pour le progrès s’est arrogé la part du lion dans la répartition des postes au sein du parlement et dans les institutions parlementaires internationales. Votre réaction…
Non! Je n’ai pas ce sentiment. Cela est inexact et ne correspond pas à la configuration actuelle de l’Assemblée nationale qui est dans une dynamique consensuelle. Et le bureau actuel de l’Assemblée nationale en est l’illustration parfaite. La majorité parlementaire a fait le pari de travailler en bonne intelligence avec l’opposition parlementaire.
La démocratie a des règles qui demandent juste à être respectées. Dans certains cas, le respect de la règle de droit s’accommode difficilement avec le partage égalitaire qui voudrait que l’on coupe la poire en deux. Ce qui n’est point juste, car la démocratie est une compétition libre de diverses ambitions soumise à l’arbitrage du suffrage universel. C’est pour cela que nous attendons de l’opposition qu’elle joue loyalement son rôle de contre-pouvoir dans un sens constructif. La majorité parlementaire doit également jouer le rôle qui est le sien.
Quelles relations entretenez-vous aujourd’hui avec vos anciens camarades du Congrès pour la démocratie et le progrès, anciennement au pouvoir?
Je pense qu’on fait la politique pour les idées, pour les populations, pour les hommes. Dans cette vision, les acteurs politiques s’investissent pour améliorer la justice sociale, améliorer la situation socio-économique des populations et, en l’espèce, chaque homme politique doit s’efforcer d’être toujours au service du peuple.
Je m’efforce donc de garder des relations humaines avec les acteurs qui agissent dans le sens de notre peuple. Ceux qui se mettent dans une position rétrograde de défense d’intérêts sordides, de clan ne sauraient être nos collaborateurs en politique.
Comment appréciez-vous la représentativité et la contribution de l’opposition au sein du Parlement à l’entame de la nouvelle législature?
Aux termes des élections justes, transparentes et équitables du 29 novembre 2015, le peuple libre du Burkina Faso a départagé les partis politiques dans la compétition. Le peuple nous a donné la majorité des députés mais a aussi choisi des députés qui sont dans l’opposition. Ma conviction, c’est que nous devons toujours transcender nos divergences pour voter des lois en faveur du peuple burkinabè. C’est du reste pour cela aussi que nous avons été élus.
Quatorze partis politiques, une opposition plus présente… Êtes-vous fier de présider une Assemblée nationale moins monocolore que par le passé?
Bien entendu, la configuration actuelle de l’Assemblée nationale augure d’un dynamisme nouveau basé sur les débats contradictoires plus pointus qui encadreront davantage la démocratie républicaine dans notre pays.
Depuis quelque temps, des Koglweogo posent certains actes qui divisent l’opinion publique nationale. Y a-t-il, de votre point de vue, matière à légiférer pour remettre de l’ordre dans la République?
Ces groupes d’autodéfense appelés Koglweogo n’ont pas de base juridique légale. Ils ne peuvent qu’être des auxiliaires des forces de sécurité que sont la gendarmerie et la police. Ils doivent respecter strictement les lois de notre pays et le gouvernement doit faire appliquer ces lois d’une manière ferme. Nous ne permettrons pas la création de bandes armées sans foi ni loi dans ce pays.
Les Koglweogo doivent être encadrés par les forces de sécurité officielles et ils ne doivent pas déborder le cadre légal de la sécurité et de la justice de notre pays. En tout état de cause, force doit rester à la loi.
Quel bilan faites-vous des cent premiers jours de gouvernance du Président Roch Marc Christian Kaboré à la tête du pays?
Je considère que le bilan des cent jours de gouvernance du Président du Faso est positif et satisfaisant, si l’on considère les défis sécuritaires qui se sont présentés à lui et auxquels il a dû faire efficacement face dès son investiture. Il a pu renforcer les piliers républicains et démocratiques de notre pays et il a entrepris la mise en œuvre de son programme économique et social dans un contexte de morosité économique.
Je comprends bien l’impatience légitime des populations en proie à la misère mais le nouveau Président a hérité d’un pays exsangue, où tous les indicateurs économiques étaient au rouge et où tout reste prioritaire.
En tant que deuxième personnalité de l’État, sentez-vous aussi l’impatience des populations qui réclament la justice, la fin de l’impunité et le raffermissement de l’autorité de l’État?
Le Président démocratiquement élu, Roch Marc Christian Kaboré, a proposé à notre peuple un projet de société qui répond à ses aspirations de justice et de progrès, et le gouvernement œuvre actuellement à mettre en place une justice au service du peuple. Il faut rompre définitivement avec l’impunité. En tant qu’organe législatif et de contrôle de l’action gouvernementale, l’Assemblée veillera à ce que toutes formes de dérives antidémocratiques et les actes d’impunité soient bannis dans notre pays.
Que répondez-vous à ceux qui appellent le Parlement à engager une mise en accusation de l’ancien Premier ministre Yacouba Isaac Zida?
La Constitution souligne, en son article 138, que le président du Faso et les membres du gouvernement, pour des actes commis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions et constitutifs de haute trahison, d’attentat à la Constitution, de détournements de deniers publics, de crimes et délits, peuvent être poursuivis par la Haute cour de justice suite à des mises en accusation devant le parlement. L’Assemblée nationale n’existant pas hors de la République conserve bien sûr ses prérogatives, mais il reste entendu qu’en matière de droit, il faut respecter les procédures et les droits de chacun.
Globalement, comment appréciez-vous la période de transition mise en place après l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014?
La transition a été mise en place dans un contexte assez difficile par le peuple burkinabè. Et comme dans toute transition, les défis pour un retour à un ordre démocratique normal étaient immenses. Mais avec l’engagement et la détermination de la jeunesse, des femmes et des différents acteurs, le processus est arrivé à terme. Il faut s’en féliciter. Les élections couplées du 29 novembre 2015 ont permis de remettre le pays sur les rails de la démocratie.
Quelles sont les lignes maîtresses du projet institutionnel du président du Faso visant à passer à une Ve République?
C’est connu, le projet institutionnel du Président du Faso prévoit entre autres des réformes institutionnelles et administratives. Vous en avez été témoins, l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 a mis le doigt sur les limites de la Constitution du 2 juin 1991 et a révélé les fortes attentes de notre peuple en lien avec une nouvelle Constitution.
Les Burkinabè ne verront réellement un air de changement qu’avec, entre autres, l’adoption d’une nouvelle Loi fondamentale qui soit au diapason de leur soif d’égalité, de justice, d’équité et de progrès. Une nouvelle Constitution, socle d’une Ve République, qui promeut résolument l’Etat de droit, la bonne gouvernance et qui n’autorise plus jamais les dérives que nous avons connues.
La première ligne maîtresse demeure le nécessaire renforcement de la séparation des pouvoirs, principe fondamental de démocratie. L’article 6 de la déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen est catégorique sur le fait que toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.
Pour ce qui est de la nature du régime à instaurer, peu importe, l’essentiel réside dans l’équilibre des pouvoirs. En un certain sens, il faudrait une séparation souple des pouvoirs qui implique une collaboration dynamique de ces mêmes pouvoirs pour le plus grand bien de la démocratie. En clair, cette nouvelle Constitution se devrait être dynamique et doit répondre aux aspirations populaires.
Vous êtes l’un des principaux artisans de la victoire dès le premier tour du candidat Roch Marc Christian Kaboré à la présidence du Faso. Quels sentiments vous animent aujourd’hui d’avoir pu tenir votre promesse?
C’est un travail collectif qui a été mené par l’ensemble de nos structures et l’ensemble de nos militants. Dans leur dynamique en faveur du changement, le MPP et ses alliés ont répondu à une attente massive des populations de notre pays. C’est pour cela que le Président Roch Marc Christian Kaboré a été élu dès le premier tour avec une majorité électorale de 53,46%. Cette majorité correspond à une majorité sociale au Burkina Faso. Ce qui donne une base sociale large au nouveau Président pour conduire le pays en toute légitimité et en toute légalité.
Y a-t-il un téléphone rouge entre le président et vous? A quelle fréquence sonne-t-il?
La tradition burkinabè privilégie l’arbre à palabre, le dialogue dans la gestion des affaires de la cité. Cela veut dire que dans les rapports entre les institutions, il faut privilégier les échanges directs et permanents entre les acteurs. On ne parle donc pas de téléphone rouge entre la présidence du Faso et l’Assemblée nationale. Ce sont des institutions et chacune joue son rôle dans le respect de la Constitution.
Sur un autre plan, le Président du Faso et moi-même militons dans le même parti. Nous avons une même vision idéologique et politique. Donc, en tant que camarades politiques, nous nous concertons sur les grandes orientations du pays et il reste entendu que le Président démocratiquement élu du Faso a la dernière décision. C’est lui le seul capitaine du navire.
Vous est-il arrivé d’échanger avec l’ancien président Blaise Compaoré depuis qu’il a été contraint de quitter ses fonctions le 31 octobre 2014?
Il n’y a aucune raison morale ou politique qui puisse m’amener à échanger avec Blaise Compaoré. De par son entêtement à vouloir s’accrocher au pouvoir, nous avons eu des pertes en vie humaine. Et pour finir, il est tombé dans la déchéance totale en reniant notre nationalité. Pour quelqu’un qui a été un soldat de son pays, je trouve cette attitude inacceptable. Il y a eu rupture morale, politique et sociale.
Vous avez dit avoir «dîné avec le diable» mais que vous n’êtes pas le diable. Peut-on avoir dîné avec le diable sans avoir l’appétit du diable?
Nous n’avons pas l’appétit du diable, sinon nous ne serons pas là où nous sommes aujourd’hui.
La 18e édition de la Semaine nationale de culture s’est tenue en mars dernier à Bobo-Dioulasso. Quel rôle a joué le parlement à cette édition?
L’Assemblée nationale comprend des commissions générales qui portent les questions thématiques dont la culture. Des députés ont donc pris part aux activités de cette édition de la Semaine nationale de la culture. Appréciant les prestations des artistes, l’Assemblée a décerné deux prix spéciaux. D’un point de vue global, comme l’indique le programme du Président Roch Marc Christian Kaboré, il faut renforcer les capacités des acteurs des industries culturelles, touristiques et sportives.
La culture burkinabè s’exprime aussi par le port vestimentaire, et on a vu les députés arborer fièrement les tenues traditionnelles Faso Dan Fani à l’ouverture de la session parlementaire. Est-ce juste une action d’éclat?
Effectivement, à l’ouverture de la première session ordinaire, j’ai invité les députés au port du Faso Dan Fani, afin de décomplexer nos populations par rapport à ce sujet. S’il est vrai qu’ailleurs, certains ont leurs vestes et cravates, nous aussi, nous avons nos costumes et il faut les valoriser. A mon sens, il ne s’agit pas d’une action d’éclat ou toute autre chose dans ce genre. Nous devons nous appuyer sur le socle de nos valeurs et de notre être en tant que Burkinabè pour nous développer…
En fait, nous avons voulu attirer l’attention du gouvernement sur la nécessité de moderniser la production du Faso Dan Fani. Il faut quitter les productions artisanales et rendre plus compétitif notre tissu national aussi bien sur le plan local que dans la sphère internationale.
Faut-il donc réhabiliter l’usine Faso Fani?
Bien sûr qu’il faut réhabiliter l’ancienne usine Faso Fani pour les pagnes, mais il faut en créer d’autres. Nous ne devons pas ignorer que certains pays sont en train de nous concurrencer sur le marché national et international dans la production du Faso Dan Fani. Il nous faut donc mettre tout en œuvre pour préserver ce patrimoine et redonner du poids à toute une chaîne de production qui compte dans l’économie locale et nationale.
Un mot de sport pour évoquer les Etalons qui amorcent timidement leur qualification pour la Coupe d’Afrique des nations Gabon’2017. Comment appréciez-vous la prestation de l’équipe nationale de football?
Je pense qu’il faut se féliciter déjà pour ces prestations et surtout se mobiliser pour soutenir les Etalons. Il importe de ce fait de créer des conditions propices à l’expression et au rayonnement des talents des sportifs dans tous les domaines.
Je voudrais proposer un tournoi national des minimes et des cadets, financé sur le budget de l’Assemblée nationale, pour relancer le sport sur l’ensemble du territoire national.
Vous arrive-t-il d’oublier vos dossiers et les affaires de la République pour vous adonner à quelque loisir?
Je mets l’essentiel de mon temps dans le travail. Quelquefois, je m’adonne à la lecture.