Le pays des Hommes intègres a encore été frappé par les terroristes dans la nuit du 13 au 14 août 2017. Officiellement, l’attaque a fait 18 morts et une vingtaine de blessés. Au matin du 14 août, nous avons effectué une visite au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO) et à la morgue de l’hôpital de district de Bogodogo à Ouagadougou. Ce sont des parents et amis tristes, angoissés et des victimes choquées que nous avons rencontrés. Pour tout dire, c’est l’affliction qui se lisait sur tous les visages.
Au matin du 14 août dernier, le lendemain de l’attaque du Café Istanbul, Ouagadougou s’est réveillé sous le choc de même que les victimes qui ont eu la vie sauve mais dont l’âme et le corps étaient endoloris. A notre arrivée à l’hôpital Yalgado, plus précisément au service des urgences traumatologiques aux environs de 8h, le personnel soignant faisait des va-et-vient tandis que les parents et accompagnements étaient, soit à la recherche d’information, soit en train d’attendre avec impatience qu’on les renseigne sur l’état de santé de leurs proches, victimes de l’attentat. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance, l’heure est à la difficile acceptation de la perte d’un être cher. Pendant ce temps, certaines victimes dont le pronostic vital n’est pas engagé cherchaient encore un repère. D’autres, couchées sur le lit d’hospitalisation, souffrant dans leurs corps et dans leur âme blessés, si elles
ne somnolent pas, elles ont le regard vide, absent. C’est dans cet état que nous avons trouvé Abdoul Fatao Ouédraogo, un jeune âgé d’une vingtaine d’années, les habits et le visage encore maculés de sang. Il nous raconte ce qu’il a vécu pendant l’horrible nuit du 13 août 2017 : « C’était une nuit triste. J’étais avec trois amis. C’est quand nous nous sommes assis dans le café que nous avons entendu des coups de feu au dehors. Ils ont tiré premièrement sur la terrasse. J’ai vu ceux qui tiraient mais, je ne les ai pas bien vus, puisque quand ils ont commencé à tirer sur la terrasse, nous avons commencé à fuir. Nous sommes montés sur les escaliers, derrière le café Istanbul et nous sommes allés nous cacher. Nous étions au nombre de 7 et deux personnes étaient blessées gravement. Nous avons essayé de les faire monter avec nous. C’est leur sang qui est sur moi comme cela. Quand nous sommes arrivés en haut de l’escalier, nous nous sommes couchés à terre. Ceux qui tiraient étaient deux, ils sont venus nous rejoindre et ont pointé leurs armes sur nous et comme nous étions couchés et ne bougions pas, ils se sont dit que nous étions morts et ils sont repartis. C’est après que les forces de l’ordre sont venus nous faire descendre. Quand nous sommes descendus, j’ai vu au moins 8 morts. Les deux assaillants parlaient mais je ne comprenais pas ce qu’ils se disaient. Mais j’ai senti qu’ils étaient contents et heureux de ce qu’ils étaient en train de faire ». Dans la même chambre étaient alités trois autres victimes dont Delphine Kaboré, caissière au Café Istanbul, encore traumatisée : « Il y avait beaucoup de clients dans le Café. J’étais à la caisse et entretemps, j’ai entendu des coups de fusils. J’ai vu des gens qui couraient partout ; moi aussi j’ai essayé de fuir mais on m’a poussée et je suis tombée. Les gens m’ont piétinée et j’ai eu une entorse au niveau du bras. L’os est sorti de sa cavité ». Des témoignages émouvant qui décrivent l’ampleur de la débandade.
« Les premiers blessés sont arrivés aux environs de 21h 30mn »
Aux portes des urgences traumatologiques du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo, le désarroi était le sentiment le plus partagé. Désemparés, certains sans nouvelles de leurs proches qui étaient sur les lieux, sont à l’affût pour la moindre information. Nous assistons à un ballet diplomatique. Les différentes ambassades au Burkina Faso ont envoyé vérifier si elles n’ont pas de représentants parmi les victimes. Alors que nous étions en train de deviser avec les parents et amis des victimes, nous voyons arriver, aux environs de 10h, une délégation composée des premiers responsables de la Police nationale et du ministre des Mines et des carrières, Oumarou Idani. Ils ont été reçus par Dr Sayouba Tinto, chirurgien en traumatologie, qui leur a fait le point. Il a indiqué que les premiers blessés ont commencé à arriver aux environs de 21h 30mn, heure locale. « Rapidement, on a alerté tous les médecins du service pour qu’ils puissent renforcer l’équipe soignante. C’est ainsi qu’on n’a pu constituer plusieurs équipes et on a fait appel à la Direction de l’hôpital pour mettre à notre disposition les consommables afin que nous puissions prendre avec célérité les différents cas ». En tout état de cause, « tirant leçon du cas du 15 janvier 2016, nous avons pu mieux nous organiser cette fois-ci», a-t-il relevé.
Avant de partir, le ministre Idani a réconforté le personnel soignant. Pour lui, ces genres de situation sont difficiles à prévenir, mais, dit-il, « vous arrivez à gérer. Que Dieu vous donne plus de force pour faire face à la situation ».
Après le départ de la délégation, nous nous sommes assis sur le banc réservé aux accompagnants juste en face du service des urgences traumatologiques. Sur le même banc, une dame, le téléphone collé à l’oreille donnait des informations à une tierce personne relativement à une victime turque. Et quand elle a raccroché, nous aussi sommes allés aux nouvelles. Alors, elle nous explique pourquoi elle était là : « Je suis venue m’informer sur les formalités qu’il faut accomplir pour retirer un corps de la morgue. La personne qui est décédée avait la tuberculose et j’étais censée l’accompagner le 14 août pour des examens. Malheureusement, ce matin ce n’est pas lui qui m’a appelé mais quelqu’un d’autre qui m’a informé de son décès ».
« Je cherche mon voisin »
Après avoir fini de converser avec la jeune dame, nous apercevons un individu, qui nous révéla après, être de l’aviation civile, qui faisait des va-et-vient dans le service, entre les lits d’hospitalisation et le service d’information. « Qui cherchez vous ? », lui avons-nous demandé. Tout de go, il nous répond : « Je cherche mon voisin. Il n’a pas dormi à la maison et on a eu l’information qu’il était au « Café Istanbul ». Donc, je suis venu voir s’il n’est pas à l’hôpital ». Après quelques minutes, les recherches de l’agent de l’aviation se sont avérées infructueuses : « On m’a fait savoir que son nom ne figurent pas parmi les victimes hospitalisées à l’hôpital Yalgado. On m’a donc dit d’aller voir à la morgue du district de Bogodogo. Et c’est là-bas que je m’en vais », a-t-il informé. Alors que nous sommes avec l’agent de l’aviation civile, la pluie s’annonçait. Comme pour apaiser les cœurs des victimes et rafraîchir le visage de ceux qui ont le cœur lourd, ou comme pour montrer sa compassion au pays des Hommes intègres, le ciel aussi a pleuré durant environ une demi-heure. C’est donc après la pluie que nous avons mis le cap sur la morgue de l’hôpital de district de Bogodogo. Là, l’atmosphère était lourde et froide. Nous n’y avons trouvé que larmes et désolation. La plupart des personnes que nous avons rencontrées aux urgences traumatologiques s’y trouvaient aussi. Certains sont venus chercher le corps de leurs proches qui ont péri dans l’attentat, d’autres sont là et demandent à voir le visage de ceux qui sont décédés, question de constater de visu s’ils ont des connaissances à la morgue, tout en souhaitant intérieurement que les visages qu’ils recherchent ne s’y retrouvent pas. Pendant que nous dévisageons les uns et les autres, un convoi mortuaire fait son entrée dans l’enceinte de la morgue. Deux véhicules des pompes funèbres se garent à l’entrée du côté ouest de la morgue, juste au niveau des marches qui donnent accès directement à l’intérieur du bâtiment. Successivement, quatre dépouilles sont déchargées dans des sacs et transportées sur des brancards à l’intérieur de la morgue. Au vu des deux corbillards, les parents et proches des victimes s’attroupèrent tout autour du convoi mortuaire. Hélas, ils ne pourront identifier personne de sitôt, car les instructions sont claires : « Rentrer chez vous, on vous appellera après pour récupérer les corps ». Une injonction qui n’a pas eu l’effet escompté puisqu’aucun de ceux qui étaient là n’a bougé d’un iota. Visiblement, certains sont décidés à faire le pied de grue afin de récupérer la dépouille de leurs parents ou amis, peu importe l’heure ou le jour.
Par ailleurs, pour soutenir les victimes, une cellule de crise et de prise en charge médico-psychique a été érigée à l’occasion pour soutenir les victimes et leurs familles. Pr Arouna Ouédraogo, chef du service psychiatrie au CHU-YO, est chargé de coordonner cette cellule. Selon ses explications, « la cellule a pour but de donner la parole aux victimes pour qu’elles puissent exprimer leurs émotions. Il s’agit également de répondre à un certain nombre d’attentes, de questionnements qui tournent autour de ce qui s’est passé ». « Nous les aidons à pouvoir comprendre ce qu’ils ont vécu. Egalement, nous donnons un certain nombre d’informations sur les possibilités de prise en charge immédiate et future. En pareille situation, certaines personnes peuvent avoir des séquelles traumatiques qui peuvent nécessiter des prises en charge individuelles. Il s’agit alors de leur donner des informations pour qu’en cas de malaise, ils puissent recourir à des agents de santé ». Pr Ouédraogo a tenu à préciser que « toutes les personnes qui ont une blessure physique portent d’une manière ou d’une autre, une blessure sur le plan psychologique. Il peut arriver que la personne n’ait pas du tout de blessure physique, mais qu’elle soit sous le choc et nécessite une prise en charge ». Et cette prise en charge « prend en compte aussi les familles qui, du fait d’avoir perdu un être cher, peuvent se retrouver dans le même désarroi que ceux qui étaient sur le site ». Somme toute, Pr Arouna Ouédraogo a informé que « le ministère de la Santé a décidé que la prise en charge de toutes ces personnes est gratuite. Les personnes blessées, quelle que soit la blessure, seront prises en charge gratuitement », a-t-il révélé.
Françoise DEMBELE