Depuis le 17 juillet 2017, le gouvernement a décidé de payer, et ce à partir du mois d’octobre, tous les fonctionnaires par virement. Pour mieux comprendre cette mesure, nous sommes allé à la rencontre du directeur général du budget, Rachid Soulama, qui explique, à travers cette interview, les différents contours de ladite mesure.
Le Pays : Vous avez décidé de la bancarisation de tous les fonctionnaires de l’Etat à partir du 1er octobre. A quel souci cela répond-il ?
Rachid Soulama : Avant tout propos, permettez-moi, au nom de la ministre de l’Economie, des finances et du développement, de remercier la presse burkinabè dans ses efforts d’accompagnement, pour la visibilité des actions que nous menons au sein du département. Pour revenir à votre question, il faut dire que cette bancarisation s’inscrit dans le cadre d’une réforme globale qui vise à moderniser l’ensemble des processus au niveau du ministère de l’Economie, des finances et du développement. Cette modernisation ne concerne pas seulement les salaires ou le paiement des salaires, mais elle consiste, en fait, à assurer une plus grande efficacité dans le processus d’exécution de la dépense publique et même dans le processus de recouvrement des recettes. La modernisation va porter également sur les questions d’économie des coûts de fonctionnement de nos administrations, dans le cadre des traitements des dossiers et autres. En fait, on veut profiter de tout ce que la technologie nous offre, notamment au niveau des TIC, pour améliorer ce que nous faisons. Il s’agira par exemple, d’aller, pour les salaires, à la bancarisation, mais pour les processus des autres natures de dépense, il s’agira d’aller vers la dématérialisation pour éviter le contact ou la manipulation du papier. Et même pour les marchés publics, il y a un projet de dématérialisation des soumissions aux marchés publics, de sorte qu’on puisse tout faire facilement. Il en sera de même pour les paiements ou les recouvrements des recettes.
Pour le moment, et pour 2017, la bancarisation constitue le premier pas. En 2018, l’un des chantiers phares du ministère, sera la dématérialisation des autres processus pour pouvoir gagner en efficacité, en temps et en efficience.
D’aucuns soupçonnent l’Etat de vouloir faire un deal avec les banques. Que leur répondez-vous ?
Permettez-moi de faire un petit rappel de contexte. Vous savez qu’aujourd’hui, dans la réglementation, pour ce qui concerne les dépenses, à partir de 100 000 FCFA, on ne doit plus faire un paiement en numéraires, concernant les fonctionnaires. C’est soit par chèque ou par virement. Mais pour les personnes morales et les prestataires, même en deçà de 100 000 FCFA, le virement est la normale. Le paiement en numéraires pour ce qui concerne les salaires, constitue, en fait, une exception parce qu’à l’époque, on ne pouvait pas être aussi rigide dans les textes, compte tenu du contexte. Si on fait un recul, il y a 10 à 20 ans, vous serez d’accord avec moi que le maillage du territoire national par les systèmes de domiciliation des salaires, notamment les banques, les caisses populaires, la poste ou du moins tout le système de financement décentralisé, n’était pas aussi efficace. Donc, il était tout à fait normal que l’Etat puisse mettre un dispositif qui rapproche le fonctionnaire de là où il va percevoir son salaire. Et c’est dans ce cadre-là que le billetage a été initié et on a les billeteurs un peu partout, pour permettre à ceux qui ne sont pas domiciliés dans une structure financière de pouvoir toucher leur salaire. Avec l’évolution, il y a aujourd’hui un maillage quasi-total du territoire par les systèmes bancaires, les caisses populaires et le réseau de la poste. Il y a même des situations où le fonctionnaire dépasse une structure financière pour venir jusqu’au lieu du billetage pour toucher son salaire. A partir de ce moment, ce n’est plus une question de maillage du territoire, mais une question d’approche individuelle. Dans le cadre donc de la modernisation des processus, il était normal que l’on veuille amener les uns et les autres à comprendre la nécessité d’aller vers la bancarisation. Ensuite, il faut dire que quand on parle de numéraires, on manipule des fonds et cela comporte un certain nombre de risques. Il y a des risques pour celui qui manipule et pour celui qui reçoit. Si un travailleur perçoit son salaire et qu’il y a un manquant, s’il ne rend pas compte sur-le-champ, il lui sera difficile de revenir après pour se plaindre. Et si le billeteur paie avec un surplus, c’est à lui que revient la charge de rembourser. Quand on prend un département comme le ministère en charge de l’Education nationale, pour le billetage, le billeteur est souvent obligé de se faire aider par d’autres personnes. Vous voyez les risques que cela peut engendrer. Il y a également la question de la sécurité. Avec tout ce qu’il y a comme le grand banditisme et autres, je pense qu’il sied pour les uns et les autres, d’assurer une certaine sécurité de leurs fonds. C’est dans ce sens que l’Etat, à travers le ministère de l’Economie, des finances et du développement, veut sensibiliser les travailleurs qui ne sont toujours pas dans le système de domiciliation de leur salaire, à y aller parce qu’ils ont intérêt à y aller entièrement.
Je voudrais aussi relever qu’aujourd’hui, 99% des fonctionnaires ont leur salaire viré. Il n’y a que 1%, en réalité, qui est au billetage et le plus souvent, c’est de manière temporaire. Mais comme nous visons un objectif de modernisation dont, entre autres, la bancarisation générale, c’est pour cela que les autorités ont voulu attirer l’attention des uns et des autres parce que cela ne fera que nous aider dans ce que nous faisons.
Il n’y a donc pas eu d’accord secret ?
(Rires). Ce qu’il faut comprendre, c’est que quand on vire le salaire d’un travailleur, il n’y a pas en retour quelque chose que la banque reverse au budget de l’Etat. Il faut aussi relever qu’avant même leur sortie, ceux qui sont dans les écoles de formation et autres, ouvrent des comptes sans qu’ils ne soient interpellés par l’Etat. Donc, ce n’est pas une question de deal. L’Etat ne perçoit pas de ristournes sur le virement des salaires des fonctionnaires.
Pour revenir sur le maillage du territoire national par les systèmes bancaires, il est quand même une réalité que l’offre reste faible dans certaines localités. N’y a-t-il pas de risque de porter préjudice à des travailleurs de ces localités qui pourraient être contraints de traiter avec des institutions financières par défaut ?
En fait, il faut reconnaître quand même que le maillage est assez important. Et comme je l’ai dit plus haut, il y a des fonctionnaires qui font des distances au-delà des structures de domiciliation, pour aller prendre leur salaire chez le billeteur. Ce n’est pas forcément parce que ces structures financières ne leur conviennent pas, mais cela pourrait s’expliquer par une question de routine. Pour ce qui est du maillage, au-delà même des banques, du réseau postal, des caisses populaires et tout ce qu’il y a comme système de financement décentralisé, il y a aujourd’hui ce que l’on appelle le e-banking. De nos jours, le e-transfert existe dans tous les villages. Les transferts de fonds se font avec les réseaux de téléphonie mobile et dans n’importe quel coin. Je pense qu’aujourd’hui, si tous, nous arrivons à aller dans le sens de la bancarisation intégrale, cela peut amener des structures financières à aller dans les localités les plus reculées.
Mais cette mesure de bancarisation ne constitue-elle pas une dépense supplémentaire pour les fonctionnaires qui se verront désormais couper des agios ?
C’est une question d’information. Lorsqu’on dit de domicilier son salaire, ce n’est pas forcément dans un compte courant. C’est lorsque le salaire est viré dans un compte courant qu’on lui coupe les agios. Sinon, il y a la possibilité de se faire virer son salaire dans un compte d’épargne. Il y a donc un choix à faire. L’Etat n’oblige pas le fonctionnaire à faire virer son salaire dans un compte courant. Mais l’Etat dit seulement de faire virer le salaire au moins dans une structure bancaire ou une structure de financement décentralisée comme les caisses populaires ou le réseau postal. Je pense donc que l’argument selon lequel on va faire dépenser les gens à travers les agios, peut être atténué.
Est-ce que cette mesure a fait l’objet d’une consultation avec les syndicats ? Par ailleurs, est-ce qu’il y a eu un travail préalable de sensibilisation ?
Justement, la mesure vise à sensibiliser les agents de la Fonction publique et le communiqué date du 17 juillet dernier. Il y a un travail de sensibilisation qui est en train d’être fait, pour expliquer aux uns et aux autres la procédure. Il y a tout un dispositif qui a été mis en place pour faciliter le déroulement de l’opération. C’est en réalité une opération de sensibilisation des fonctionnaires qui sont au billetage et je précise que pour le mois de juillet, sur les 165 229 fonctionnaires qui sont payés à travers le SYSGAPE, il n’y a que 3 418 agents qui sont au billetage. C’est vrai que c’est assez marginal, mais dans la réforme, il faut qu’on puisse les amener à la bancarisation parce que c’est cela aussi la modernisation de tous les processus. Je pense que cela pourrait nous permettre de gagner en efficacité. Nous demandons donc aux uns et autres de comprendre que c’est un processus qui a été entrepris au bénéfice de tout le monde et non pas dans la recherche d’un profit quelconque pour l’Etat. Et dès lors que cela sera compris ainsi, je pense qu’on va bénéficier de l’accompagnement de tous pour y arriver. Il y a une large diffusion du communiqué à travers les médias et nous l’avons envoyé également au niveau des directions régionales du budget, pour que l’information soit vraiment véhiculée tout en communiquant avec les concernés. Egalement ceux-là même qui sont au cœur du système, c’est-à-dire les billeteurs qui payent en numéraires les autres, ont été approchés. Je pense qu’aujourd’hui, nous sommes en phase parce que nous sommes dans un climat assez propice pour aller dans le processus. Et Inch’ Allah, tel que c’est fait, il ne devrait pas y avoir de difficulté.
Il est couramment dit qu’un des objectifs du billetage, c’est de déceler les emplois fictifs. Est-ce que la bancarisation intégrale ne va pas plutôt renforcer la pratique des fonctionnaires fictifs ?
Il faut dire que ce n’est pas seulement à travers le billetage qu’on peut mettre fin aux emplois fictifs. Mais ces emplois fictifs doivent être dénoncés par des acteurs, parce que le salaire, c’est la contrepartie du travail du mois. Ensuite, le salaire, c’est l’impôt du citoyen et il ne doit pas être indûment perçu. Donc, les uns et les autres devraient pouvoir dénoncer ce système. Peut-être que vous voulez faire allusion à la grande opération de billetage que nous avons eu à organiser quelquefois, dans le cadre de l’assainissement du fichier de paie. Pour cela, il s’agit de payer tout le monde en numéraires, pour nous assurer de la présence. C’est donc dire que c’est une opération qui peut se faire à tout moment, à chaque fois que de besoin. Mais, il y a aussi d’autres actions qui sont entreprises aussi bien au niveau du ministère de l’Economie et des finances qu’au niveau du ministère en charge de la Fonction publique, pour pouvoir lutter efficacement contre ces emplois fictifs. Il y a par exemple l’enrôlement biométrique qui permet d’avoir la traçabilité du travailleur enrôlé durant toute sa carrière. Maintenant, il faudrait que les uns et les autres puissent aussi, de manière citoyenne, accompagner les efforts de l’Etat en dénonçant ces situations, parce qu’il s’agit des ressources publiques, il s’agit des fonds de nous tous. Sinon, ce n’est pas à travers le paiement de 1% des travailleurs dont le salaire n’est pas viré, que l’on peut lutter contre ces mauvaises pratiques. D’ailleurs, ce pourcentage répond à une étape T parce qu’au fur et à mesure, il y en a qui décident d’aller ouvrir un compte. Il y a ceux qui viennent d’être engagés et sont peut-être en attente d’aller ouvrir leurs comptes. C’est pour cela que dans le communiqué, dans un premier temps, on essaye d’inviter ceux qui sont au billetage à aller vers la bancarisation et dans un deuxième temps, pour ceux qui vont sortir des écoles dorénavant, au moment même du mandatement de leur premier salaire, nous devons faire en sorte qu’ils puissent y avoir des éléments pour ne pas qu’ils aillent au billetage.
En tant que directeur général du budget, quel est le niveau des recettes pour le budget de l’Etat gestion 2017 ?
Pour ce qui est du budget de l’Etat, au niveau des recettes fiscales, nous avions une prévision de 1 438 milliards de F CFA, et à mi-parcours, les tendances étaient quand même assez bonnes au niveau de l’ensemble des régies par rapport en tout cas à 2016. Mieux, je pense que contrairement à d’autres années, les prévisions initiales de cette année seront toujours maintenues parce qu’au niveau des régies, il y a quand même l’espoir et l’engagement de pouvoir atteindre les objectifs.
Les grèves des agents des impôts n’ont-ils pas eu d’impact sur les recouvrements des recettes ?
C’est vrai qu’il y a eu des mouvements et leurs effets. Mais pendant ces mouvements, des dispositions ont été prises pour ne pas qu’il y ait un blocage total du mécanisme de recouvrement. Des contribuables étant aussi conscients de leur obligation de s’acquitter de leurs impôts, ont pu le faire grâce à un certain accompagnement. Egalement au niveau des régies, des efforts ont été faits à chaque niveau, pour permettre aux acteurs de pouvoir relever les défis.
Propos recueillis par Drissa TRAORE