Au mois de juin 2017, l’Organisation du Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires (OTICE) a organisé, à Vienne en Autriche, la 6è édition de la Conférence « Sciences et Technologies » qui a rassemblé un millier de participants venus de tous les continents. Des Burkinabè, parmi lesquels, M. Régis Kévin BAKYONO, Premier Conseiller de l’Ambassade du Burkina Faso à Vienne, ont pris activement part à ce grand rendez-vous. En charge, entre autres, des dossiers sur les questions de désarmement et de non-prolifération nucléaire à l’Ambassade, il a bénéficié d’un stage au prestigieux Institut James MARTIN de Monterrey en Californie pour les études sur la non-prolifération.
Ce fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, Diplomate et Homme de Lettres, en fin de séjour dans la capitale autrichienne, s’apprête à rejoindre la Centrale, après cinq années de bons et loyaux services. Nous avons échangé avec lui sur les questions d’essais nucléaires, de désarmement, sur son stage aux Etats-Unis, sur la problématique du fonctionnement des organisations internationales et du placement des cadres burkinabè ainsi que sur bien d’autres sujets d’intérêt. Pour le Conseiller BAKYONO, la paix et la sécurité sont les fondements indispensables pour un développement durable. C’est pourquoi, le Burkina Faso reste un fervent défenseur des instruments internationaux comme le Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires. Enfin, il soutient que le Burkina Faso dispose d’une expertise certaine. Il reste à s’appuyer sur une réelle politique de soutien et un réseau d’influence aux niveaux politique et diplomatique surtout pour la promotion des experts nationaux.
Vous êtes Premier Conseiller à l’Ambassade/Représentation permanente du Burkina Faso à Vienne en Autriche. Quel est votre rôle en tant que Premier Conseiller ?
Je voudrais avant tout vous remercier pour l’opportunité de cet échange. En tant Premier Conseiller à notre Représentation permanente à Vienne, je suis chargé, au plan multilatéral, du suivi des questions et des thématiques examinées dans le cadre de la Commission préparatoire de l’Organisation du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (OTICE), de l’établissement et de la mise à jour périodique des fiches sur l’état de la coopération entre le Burkina Faso et cette Organisation, ainsi que de la proposition d’activités ou actions visant à renforcer la coopération entre notre pays et celle-ci. Au niveau bilatéral, j’assiste l’Ambassadeur, Représentant permanent, dans la mise en œuvre de la politique étrangère du Burkina Faso auprès des pays de la juridiction de l’Ambassade que sont l’Autriche, la Hongrie, la Croatie, la République tchèque, la Slovénie, la Slovaquie et la Serbie. De manière générale, je suis en charge du traitement des questions ayant un caractère politique et diplomatique entre le Burkina Faso et ces pays, de la coordination et du suivi de la mise en œuvre des accords-cadres de coopération avec ces pays, et de la formulation de propositions pour l’établissement de cadres formels de coopération avec les pays où cela n’existe pas encore.
Durant cinq années, vous avez travaillé dans le domaine de la coopération bilatérale et surtout multilatérale. Pouvez-vous expliciter ces deux concepts pour le commun des lecteurs ?
Comme l’indiquent les étymologies latines de leurs préfixes, bi qui signifie deux, et multus qui veut dire plusieurs, ainsi que du radical lateris qui renvoie à flanc, ou côté, ces deux concepts de bilatéral et multilatéral font respectivement référence à des objets ou des réalités à deux ou plusieurs côtés. Ramenée à la diplomatie, la notion de coopération bilatérale doit simplement être comprise comme des échanges entre deux entités, et celle multilatérale comme des échanges qui engagent plusieurs parties contractantes, plusieurs Etats.
En votre qualité de diplomate chargé des questions relevant de l’Organisation du Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires (OTICE), vous vous êtes certainement familiarisé avec cette Organisation. Voudriez-vous nous la présenter brièvement et nous indiquer son importance dans le contexte mondial ?
Il faut dire que l’OTICE est l’Organisation chargée de promouvoir la signature et la ratification, par tous les Etats, du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE). C’est un Traité qui a été adopté en 1996 et qui engage les Etats signataires à s’abstenir de procéder à toute forme d’essai nucléaire. L’Organisation mise en place à cet effet a, elle, pour mandat, de détecter toute explosion ou essai nucléaire sur la planète et d’en faire part aux pays signataires, le but ultime étant d’empêcher, d’une part, les puissances nucléaires actuelles de poursuivre leurs essais, d’autre part, les Etats ne disposant pas de l’arme atomique de s’en doter. En vue d’atteindre ses objectifs, l’OTICE dispose d’un système de surveillance internationale qui utilise quatre technologies de pointe : la technologie sismique pour détecter les mouvements relatifs à la terre ; la technologie hydroacoustique pour percevoir les résonnances issues des océans et des eaux de façon générale ; la technologie infrason qui permet de détecter les sons non perceptibles par l’oreille humaine, et enfin, la technologie radionucléide utilisée pour la détection des gaz rares. Dans l’environnement mondial actuel où les questions de paix et de sécurité sont des préoccupations majeures pour la communauté internationale, l’OTICE apparait donc comme une réponse appropriée et quasi-universelle à la menace nucléaire. De ce point de vue, le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires est essentiel, parce que constituant l’ultime barrière juridique et technique pour prévenir non seulement la fabrication d’armes nucléaires nouvelles, mais aussi le perfectionnement des armes déjà existantes. Pour cette raison, c’est un instrument qui mérite d’être soutenu et promu.
Le Burkina Faso fait partie des pays qui soutiennent l’universalisation et l’entrée en vigueur du Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires (TICE). Comment les choses évoluent-elles ?
La promotion de la paix et de la sécurité a toujours été inscrite au cœur de l’action diplomatique du Burkina Faso. En tant que pays en développement, le Burkina Faso ne peut en effet ignorer que la paix et la sécurité sont les fondements indispensables pour un développement durable. Voilà pourquoi notre pays reste un fervent défenseur des instruments internationaux, à l’instar du TICE, à même de garantir la stabilité. En outre, notre pays soutient le TICE parce qu’au-delà du volet désarmement et non-prolifération nucléaires, celui-ci présente d’énormes possibilités en termes d’applications civile et scientifique. Les différentes technologies dont nous avons parlé plus haut peuvent notamment servir à apporter des solutions aux risques et catastrophes naturelles, à anticiper sur l’évolution du climat ou encore à mieux assurer la surveillance de l’environnement. Sous ce rapport, notre pays a beaucoup à gagner. Il convient de préciser ici que le TICE n’est pas encore en vigueur. En effet, lors de l’adoption du Traité en 1996, il a été convenu de subordonner son entrée en vigueur à la ratification par les quarante-quatre Etats disposant déjà à cette époque, de réacteurs nucléaires de puissance ou de recherche. Trente six de ces Etats ont déjà accompli cette formalité. Reste toujours attendue la ratification par la Chine, la Corée du Nord, l’Egypte, l’Inde, l’Iran, Israël, le Pakistan et les Etats-Unis. Dans cette dynamique, il faut saluer le travail remarquable effectué par les Secrétaires Exécutifs qui se sont succédé à la tête de l’Organisation en vue de promouvoir l’entrée en vigueur du Traité, et son extension à tous les pays de la planète. C’est dans ces actions que s’inscrit l’actuel Secrétaire exécutif, notre compatriote, Docteur Lassina Zerbo, qui a mis en place une initiative comme le Groupe d’Eminentes personnalités du monde du désarmement pour appuyer les efforts visant à convaincre les huit Etats dont la ratification est nécessaire pour l’entrée en vigueur du Traité. La tâche s’annonce ardue, au regard notamment des développements que l’on enregistre dans ce domaine, mais l’espoir reste entier quant à l’entrée en vigueur du TICE et à son universalisation.
A la faveur de la 6ème édition de la Conférence « Sciences et technologies » de l’OTICE, tenue du 26 au 30 juin 2017 à Vienne, d’éminents participants n’ont pas tari d’éloges à l’endroit du Docteur Lassina ZERBO. Quels sont vos sentiments de savoir qu’une telle organisation est dirigée par un compatriote ?
Je répondrai tout de suite que c’est un sentiment de fierté qui m’anime, de voir un Burkinabè accéder à un tel niveau de responsabilité au sein d’une Organisation internationale. C’est également un sentiment de fierté que d’avoir contribué à son élection à ce poste en tant que membre de l’équipe de campagne de l’Ambassade, dès mon arrivée ici à Vienne en 2012 ; et c’est encore une plus grande satisfaction que de le voir aduler par le monde entier pour l’excellent travail qu’il accomplit au sein de cette Organisation ainsi que pour les importants progrès qu’il a déjà pu réaliser au cours de son premier mandat de quatre ans, et qu’on lui reconnaît. C’est d’ailleurs pour cela que, à l’unanimité et avec les félicitations de tous les Etats signataires, il a été reconduit pour un second mandat à la tête de l’OTICE.
Au fil des années, vous avez côtoyé des sommités dans le domaine du désarmement et de la non-prolifération de sorte que vous-mêmes êtes devenu un expert de ces questions. Vous avez même bénéficié d’un stage au prestigieux Institut James Martin de Monterey, en Californie, aux Etats-Unis. Comment avez-vous obtenu ce stage et qu’avez-vous appris concrètement ?
Ce stage d’un semestre de formation académique, en anglais, à l’Institut James Martin de Monterey, en Californie, je l’ai obtenu grâce au concours du Docteur Lassina Zerbo, et l’appui de mes supérieurs hiérarchiques, pour aller me former, de façon plus pointue, aux questions de terrorisme, de désarmement et de non-prolifération des armes de destruction massive (ADM). Je ne saurais dans cette tribune décrire tout ce que j’ai appris au cours de ce stage. Mais pour répondre à votre question, je dirai que le programme de formation auquel on a été soumis, comprenait une série de cours sur différentes spécificités du désarmement et de la non-prolifération, des simulations, des études de cas, un document de recherche à rédiger et une présentation publique des résultats de nos recherches à la fin de la formation. Grosso modo, les modules de formation ont concerné, entre autres, les liens entre terrorisme et prolifération des armes de destruction massive, la problématique actuelle et les perspectives posées par la prolifération ou non des armes de destruction massive (armes nucléaires, chimiques et biologiques), les régimes de non-prolifération, la cybersécurité à l’ère du numérique, le contrôle des armes et la complexité des négociations sur les ADM, ainsi que les traités et les conventions qui les régissent, etc. Pour le volet recherche de la formation, je me suis intéressé aux « enjeux et défis de la mise en œuvre en Afrique de la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations Unies ». Cette résolution, qui a été adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations, a pour but de prévenir le terrorisme dans le monde, en empêchant notamment les acteurs non étatiques que sont les groupes terroristes de posséder ou de manipuler des ADM, ainsi que leurs vecteurs. Il s’est agi pour moi d’examiner l’implication des Etats africains dans la mise en œuvre de la résolution 1540, d’analyser les difficultés liées à son application, et de proposer des voies et moyens pour prévenir le terrorisme en Afrique à travers la mise en œuvre efficiente de cette résolution.
Au terme de votre mission à Vienne, vous rentrez donc aguerri dans ce domaine pointu du nucléaire au service de votre pays. Qu’est-ce que le Burkina Faso peut tirer des compétences que vous avez acquises ?
Je rappelle qu’en tant que fonctionnaire, je relève du Ministère des Affaires Etrangères, de la Coopération et des Burkinabè de l’Extérieur, et que je retourne servir mon pays dans ce Département. Ce sont d’ailleurs mes supérieurs qui ont contribué à rendre possible le stage que j’ai pu effectuer en Californie dans ce domaine. Je reste à la disposition de mon Ministère, donc de mon pays pour le servir du mieux que je peux quelles que soient les missions qui me seront confiées.
Ces domaines de désarmement et de non-prolifération ne sont pas toujours connus des jeunes étudiants au pays qui pourraient s’y investir si l’opportunité leur était offerte. N’est-il pas temps de trouver les voies et moyens pour susciter des émules et bâtir une chaîne qui va faire évoluer les choses ?
Je conviens avec vous que les questions de désarmement et de non-prolifération ne sont pas vraiment connues du grand public burkinabè et les gens se posent parfois la question de savoir si celles-ci sont importantes pour un pays comme le nôtre. Il faut répondre à cela que la paix et la sécurité concernent tous les pays du monde et aucun pays ne doit rester en marge des efforts globaux tendant à les garantir, car est-il besoin de le rappeler, la course à l’armement et la prolifération nucléaires mettent en péril le monde dans lequel nous vivons. Avec le terrorisme qui s’est étendu et qui nous touche de plus près aujourd’hui au Burkina Faso, il est à craindre que des mains malicieuses ne s’emparent de certains types de matériel pour en faire usage à des fins de destruction massive. C’est pourquoi, il est important, voire indispensable, d’intéresser et de former la jeunesse, notre jeunesse, à ces questions. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Docteur Lassina Zerbo a mis en place, afin de préparer la relève, un Groupe de jeunes de l’OTICE susceptibles de prendre le témoin du difficile et long combat pour le désarmement et la non-prolifération. Au Burkina Faso, par exemple, ces questions peuvent déjà être abordées sous forme de modules dans les écoles de formation des spécialistes de ce domaine que sont les personnels de la sécurité, de la défense, de la diplomatie, etc.
D’aucuns estiment que la problématique du fonctionnement des organisations internationales et de la stratégie de placement des cadres burkinabè constituent une préoccupation majeure. Qu’en pensez-vous ?
En effet, la stratégie de placement de nos cadres dans les institutions internationales doit reposer sur une politique globale de promotion de l’expertise nationale dans ces institutions. Et cette expertise nationale, nous l’avons avec des cadres qualifiés et compétents. Mais cela ne suffit pas. Il nous faut en plus, pour être efficaces et nous donner le maximum de chance de réussir, car la compétition est rude au niveau international, planifier de longue date nos projets. On dit que les grands projets se préparent sur un long terme. Aujourd’hui, il est aisé, pour les postes de haut niveau, par exemple, dans les organisations internationales, de savoir à quelle date précise ils seront vacants. Il est donc possible de travailler dans l’anticipation, deux ans, cinq ans, dix ans à l’avance, ou même plus, afin de garantir à nos cadres les meilleures chances de succès. Plusieurs pays procèdent ainsi, et il serait souhaitable que notre pays en fasse autant. Enfin, la stratégie de promotion de nos experts nationaux doit s’appuyer sur une réelle politique de soutien et un réseau d’influence à tous les niveaux, politique et diplomatique surtout.
Vous avez plusieurs cordes à votre arc. En plus d’être Diplomate, vous êtes également Ecrivain. Après votre publication « La question identitaire dans les conflits en Afrique » en 2011, vous avez publié, un recueil de nouvelles intitulé : « Et si la victime devenait juge ! ». Comment cette œuvre, parue aux Editions AfrOlivre en 2014, a-t-elle été accueillie par la communauté littéraire au Burkina Faso ?
Je dois reconnaître que le recueil de nouvelles « Et si la victime devenait juge ! » a été bien accueilli par le monde littéraire au Burkina Faso et partout ailleurs où il a été publié. C’est un ouvrage qui a remporté, au Burkina Faso, le premier prix de la première édition du CRACTOUR en février 2016. C’est déjà une reconnaissance du travail qui a été fait, mais bien au-delà, c’est une motivation supplémentaire à poursuivre et à produire des ouvrages de qualité pour nos lecteurs, notre jeunesse et les intellectuels. Ce livre est également inscrit dans les programmes de certains établissements secondaires et universitaires du pays. C’est peut-être le signe que le message qu’il véhicule est digne d’intérêt pour notre communauté humaine en général.
A quand le prochain roman ou la prochaine publication ?
Si tout va bien, ma prochaine publication se fera dans le courant de l’année 2018. Je suis présentement en train de finaliser le texte, et j’espère que cet ouvrage recevra un meilleur accueil, ou tout au moins, un aussi bon accueil que le précédent.
Un mot pour clore notre entretien !
Je voudrais une fois de plus vous remercier pour l’occasion de cet entretien et de ce partage d’idées. Je dirai qu’au-delà de ses ressources limitées, notre pays est riche de ses hommes et regorge d’énormes potentialités. Nous en avons la preuve avec nos compatriotes de tous les âges qui ont bâti notre pays et qui continuent de porter haut le flambeau national aussi bien à l’intérieur qu’en dehors de nos frontières. Il nous faut les encourager et les aider à davantage donner d’eux-mêmes pour le bénéfice du pays. Je voudrais, pour terminer, profiter de cette tribune que vous m’offrez, pour témoigner ma gratitude à tous mes supérieurs successifs de 2012 à ce jour. A leurs côtés, j’ai pu consolider mes capacités en matière de coopération bilatérale et multilatérale, et de façon globale, dans le domaine de la diplomatie. J’aimerais également remercier tous les collègues et collaborateurs de l’Ambassade pour ces années passées ensemble à apporter notre contribution au rayonnement du Burkina Faso dans cette partie du monde. Merci enfin aux compatriotes de la juridiction pour ces merveilleuses années de travail, d’amitié et de fraternité ! Vive le Burkina Faso, Vivent ses fils !
Simon YAMEOGO