L’Initiative de la grande muraille verte du Sahara et du Sahel, coordination nationale de l’Agence panafricaine, œuvre depuis 2010 à restaurer les terres dégradées dans le Sahel. Ainsi, elle mène plusieurs actions à travers des projets tels que « Action contre la désertification ». Au cours d’une sortie de terrain, le coordonnateur national, Adama Doulkom, nous a accordé une interview pour expliquer les objectifs, les actions menées et les perspectives du programme. Lisez !
Sidwaya (S.) : Qu’est-ce qui a valu la création de l’initiative de la grande muraille verte du Sahara et du Sahel ?
Adama Doulkom (A.D.) : La question de la désertification est un problème partagé dans les pays sahéliens. Alors, plusieurs programmes politiques ont été mis en œuvre pour lutter contre ce mal. Mais force est de constater que les résultats auxquels nous sommes parvenus, après plusieurs années d’intervention, restent assez mitigés compte tenu des enjeux environnementaux que nous vivons. C’est pourquoi des chefs d’Etat se sont retrouvés à Ouagadougou lors du sommet de la CENSAD (la Communauté des Etats sahélo-sahariens), le 2 juin 2005, pour discuter des questions de développement qui concernent leurs pays. L’idée avait alors été émise par l’un des chefs d’Etat, qui voudrait qu’on puisse, à l’échelle des pays de la CENSAD, avoir un programme fédérateur qui lie l’ensemble des pays. A l’époque, le politique avait voulu que nous plantions des arbres de Dakar-(Sénégal) à Djibouti sur une longueur de 7000 km avec une largeur de 15km en vue d’arrêter l’avancée du désert. L’idée a fait son petit bonhomme de chemin et nous nous sommes rendus compte que planter systématiquement n’était pas forcément la solution, mais il fallait plutôt une vision globale écosystémique qui prend en compte les réalités de chaque pays dans lesquelles l’initiative va se mettre en place. C’est ainsi qu’après la signature de la convention portant création de l’Agence panafricaine de la grande muraille verte depuis 2010, l’initiative de la grande muraille verte du Sahara et du Sahel a été mise en place au plan national. Il sert donc d’outil de programmation de la gestion durable des terres, de la lutte contre la pauvreté et prend en compte les questions d’accès aux services sociaux de base tels que l’éducation, la santé, l’énergie en vue de fixer les populations et améliorer leurs conditions de vie. Il faut rappeler qu’à la création de l’agence, la commission de l’Union africaine a estimé que c’est un programme extrêmement important dans le cadre de la lutte contre la pauvreté et des questions environnementales. Elle a décidé d’en faire un programme-phare. Ainsi l’agence n’appartient plus aux 11 Etats pionniers mais concerne désormais toute l’Afrique. En plus de la commission de l’UA, le NEPAD (le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) en a fait aussi un de ces projets-phare dans le cadre de la définition de sa stratégie d’intervention dans les pays. L’initiative est mise en œuvre dans des espaces de zones arides pour la plupart (le Burkina, le Niger, le Sénégal, la Mauritanie, Djibouti, le Mali etc.). Ce sont des pays à écosystème très fragile.
S. : Quels sont ses objectifs ?
A.D. : L’idée est d’améliorer la sécurité alimentaire et lutter contre la pauvreté de façon globale. Le Burkina a défini sa vision et nous sommes orientés vers la gestion durable des terres. Nous avons plus d’un million 900 mille ha de terres dénudées à récupérer. Alors nous devrons tout mettre en œuvre pour améliorer la productivité des terres et fixer les populations dans des zones initialement incultes. Il s’agit d’abord de voir comment améliorer nos actions en termes d’intervention pour augmenter les productions agricoles et travailler à maîtriser les impacts environnementaux liés aux activités humaines, car l’initiative est préventive mais aussi curative et enfin travailler à utiliser les résultats de la recherche, les valoriser pour faciliter la mise à l’échelle des bonnes pratiques. Au nombre de ces pratiques nous avons la technique du zaï, des poquets où on met du compost. Celle-ci maintient l’eau pendant longtemps au profit des semences. Il y a, en outre, les demies-lune, qui sont pratiquées pour limiter l’érosion et utiliser au mieux la ressource en eau. Elles peuvent se faire de façon manuelle ou mécanique avec la charrue « delphino ». A cela, on peut ajouter les diguettes antiérosives, les cordons pierreux, les plantations. Selon une étude réalisée par le CILSS, ces bonnes pratiques peuvent être très efficaces si elles sont mieux utilisées et bien combinées entre elles. Les objectifs concernent également la communication institutionnelle, la communication pour le développement et le suivi-évaluation du programme.
S. : Comment se fait la coordination entre les pays, surtout quand vous intervenez dans un même projet comme celui du ACD ?
A .D. : Il existe une cellule au niveau de la grande muraille verte basée à Addis Abeba en Ethiopie, ainsi que l’Agence panafricaine, chargée de l’opérationnalisation basée en Mauritanie. Dans chaque pays, il existe des coordinations ou des agences nationales mises en place pour assurer le relais et traduire ce que devrait être l’initiative dans le pays. Dans le souci de partenariat et de partage entre les pays, les projets transfrontaliers sont privilégiés. Il faut travailler dans une vision de bassin versant ou de sous -bassin versant. Ainsi, nous avons des cadres de concertation à partir de l’agence panafricaine et à partir des projets pour débattre des questions spécifiques. Il s’agit là de voir l’évolution, les difficultés que nous avons et partager les expériences ou les réussites de chaque pays.
S. : 2010 -2017, cela fait 7 ans que la grande muraille verte existe au Burkina Faso. Quelles ont été les actions réalisées sur le terrain ?
A.D. : L’un des premiers actes au départ a été de faire connaître le programme. Travailler à faire en sorte qu’il puisse se retrouver dans le paysage institutionnel du ministère en charge de l’environnement et connu par les autres acteurs. Aujourd’hui, on pense que cela est fait, même s’il reste encore beaucoup de choses à faire. Nous avons pu élaborer un plan d’action qui est notre document de référence pour les interventions sur le terrain et ce document a été validé au cours d’un atelier national. Et en termes de projets, il y a « Action contre la désertification », issu du plan d’action de l’initiative qui est financé par l’Union européenne. Il a été mise en œuvre depuis le 28 juillet 2014 par la FAO. Il vise la restauration de près de 5000 ha de terres dégradées dans les provinces du Séno et du Soum. Ainsi, il va améliorer les productions et la productivité des terres, renforcer les capacités des acteurs à faire du reboisement, valoriser les produits forestiers non ligneux et accroître les revenus des populations. C’est essentiellement ces activités que nous menons dans le cadre de ACD. Nous avons un autre projet financé par l’Union européenne et mis en œuvre par le mécanisme mondial à travers l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources) comme agence judiciaire. Il intervient dans le Sahel notamment à Dori pour mettre en place une forêt communale de 200 ha et les activités consistent à faire des reboisements et de la récupération des terres. L’idée est d’utiliser ces terres à d’autres fins une fois reconstituées. Il existe aussi le projet transfrontalier« fleuve » qui réunit le Burkina, le Mali et le Niger. Nous avons également d’autres projets en cours de formulation. Au-delà de ces projets, le programme travaille avec des ONG ou des associations telles que l’association Tiipaalga qui fait des mises en défens. Grâce à leur approche, nous avons pu récupérer des zones totalement dénudées dans le Soum qui sont en train d’être transformées en forêts. C’est une satisfaction pour nous et nous continuons toujours avec ce partenariat. Nous allons donc élargir les opportunités de financement pour leur permettre de mettre à l’échelle l’approche développée.
S. : Quel bilan faites-vous de vos actions sur le terrain ?
A.D. : Les actions déjà menées ont permis aujourd’hui de dire qu’il est possible de reverdir le Sahel. En effet, les activités de récupération, de plantation ont permis d’augmenter les superficies de production. Aujourd’hui, quand vous allez au Sahel, cela est visible car les superficies pour la production du foin et du fourage pour les animaux ont augmenté. Au regard de ces acquis, nous faisons un plaidoyer auprès des collectivités, des autorités politiques, administratives que si des fonds sont injectés dans cette vision, nous pouvons arriver à recréer un écosystème pour améliorer les productions et les productivités. Ce sont des éléments de satisfaction.
S. : Peut-on affirmer que l’initiative a contribué à lutter véritablement contre la désertification ?
A.D. : Nous pensons que nous avons apporté une contribution à faire de sorte que des zones qui n’étaient plus utilisées dans le domaine agricole, le deviennent aujourd’hui. Ce qui a permis de fixer les populations et d’éviter leur déplacement vers des zones propices à l’agriculture. Et si nous arrivons dans cet espace à faire augmenter les activités agricoles, nous pensons que cela peut contribuer à minimiser les problèmes politiques ou de djihadiste que nous connaissons aujourd’hui. Le développement équilibré, la fixation des populations permettent, à notre sens, de limiter justement ces problèmes d’insécurité. Nous sommes très confiants que ce programme va contribuer à lutter contre la désertification. Nous sommes sur la bonne voie et il faut toujours travailler à pouvoir relever les défis. C’est possible de reverdir le Sahel, seulement, il faudra en faire des priorités.
S. : Quelles seront vos perspectives ?
A.D. : Avec ce que nous avons comme résultat, de plus en plus le label grande muraille verte va très loin. Aujourd’hui, beaucoup de partenaires négocient les financements sous ce label. C’est pour dire que les opportunités sont énormes. En effet, à la Conférence des parties (COP) à Paris en 2015 et à Marrakech au Maroc en 2016, la question de l’initiative a été évoquée avec des promesses ou des ouvertures en termes d’opportunités. Nous avons pu négocier un financement pour cinq ans en vue de renouveler notre programme de renforcement des capacités, qui a pris fin en 2016. Nous allons travailler dans le cadre de la mobilisation des ressources financières. Pour ce faire, il est prévu de recruter un expert en la matière. Nous sommes en train de relire notre plan d’action, élaboré depuis 2012, afin de l’adapter au PNDES, le référentiel de développement au Burkina Faso. C’est important, pour nous, de pouvoir également intégrer notre plan d’action au Programme national du secteur rural (PNSR) et aux Objectifs pour le développement durable(ODD). Enfin, le dernier défi est la question de la synergie et la complémentarité. Il existe plusieurs initiatives au Burkina et dans la sous-région qui tendent à améliorer les conditions de vie des populations, à lutter contre la pauvreté et à travailler dans le cadre de la gestion durable des terres. Il faudra qu’on arrive à mutualiser nos moyens et nos actions. C’est le combat à mener pour s’assurer que tous les acteurs vont dans le même sens. Sinon jusqu’à présent, ce qu’on constate, c’est que les actions sont fragmentées, les dialogues souvent parallèles alors que nous visons les mêmes objectifs.
Propos recueillis par Fleur BIRBA