Beaucoup de mères souffrent pour allaiter leurs nouveau-nés. Elles essaient toutes les pratiques traditionnelles et modernes, mais sans aucun résultat. Constat avec des femmes «hantées» par l’idée de ne pas pouvoir allaiter convenablement leur enfant au sein.
Bassiratou Nikiema a été comblée par la naissance des ses jumeaux : Elie et Elisé, nés le 14 juin 2016 à la maternité du CSPS de Cissin, ex-secteur n°16 de Ouagadougou. La joie s’est vite muée en cauchemar dans la famille Nikiema. En effet, une semaine après l’événement heureux, le lait maternel se fait déjà rare. La mère n’arrive pas à nourrir ses «bouts de choux». Les nuits blanches se succèdent à cause des pleures. Maman Nikiema ne sait plus à quel saint se vouer. Couple aux ressources limitées, il est difficile pour la famille Nikiema de pratiquer l’allaitement artificiel. La nouvelle mère se lance éperdument à la recherche de solutions pour pouvoir combler ce besoin vital pour ses nourrissons. Ainsi, c’est le lait en poudre dans les sachets vendu en boutique qu’elle utilise (non conforme à la norme recommandée) pour nourrir les bébés. Or, les règles d’hygiène de l’alimentation ne sont pas du tout respectées. En dépit de ses efforts, elle n’arrive pas à se l’offrir tous les jours. Désespérée, Mme Nikiema va frapper aux portes des tradipraticiennes, notamment, les vendeuses de tisanes. Malheureusement sans un réel succès, puisqu’elle ne parvient toujours pas à ramener le lait après plus de 4 mois de calvaire. Cette souffrance pour avoir du lait pour nourrir son nouveau-né, Salamatou Zongo (36 ans), rencontrée chez « Dafipoaka », une tradi-praticienne de renom, dans le quartier Pissy à Ouagadougou, le vit aussi depuis la naissance de son quatrième. Grâce Ornella, sa « Princesse », comme elle l’appelle, est née à plus de 3 kg. A cinq mois, contrairement à ses aînés, Grâce, au lieu de prendre du poids, en perd plutôt au fil des mois. Sans solution, elle se contente du peu de lait en entendant l’âge de six mois pour lui donner la bouillie. «Il est difficile pour moi de voir ma fille dépérir de jour en jour parce qu’elle a faim. Et elle n’a pas encore l’âge de manger. Au moins, si j’avais les moyens de pratiquer l’allaitement artificiel, je n’allais pas hésiter à le faire pour éviter de vivre le cauchemar que je traverse actuellement», précise-t-elle.
L’eau tiède comme solution
Françoise Tiemtoré, rencontrée chez la même dame, est dans le désarroi. Venue, elle aussi chercher le remède « miracle » affirme : « En entendant de trouver une solution, je donne de l’eau tiède à boire au bébé (de moins d’un mois) en plus du peu de lait que j’ai. Et j’espère qu’après avoir utilisé le produit que je suis venue chercher, j’aurai du lait en quantité». Ces femmes « désespérées » aimeraient trouver un « remède » chez les tradipraticiennes. Adji Konaté, une jeune tradipraticienne, héritière des connaissances de sa mère, affirme que son « hôpital » reçoit quotidiennement en grand nombre ces femmes sans lait. «Chaque jour, on reçoit près de 9 femmes pour le problème d’insuffisance de lait maternel», confie-t-elle. Son produit est conçu à base de petit mil et de sel gemme. La « patiente » vient avec un demi-bol de petit mil en plus du sel et rendez-vous lui est donné le lendemain matin avant le lever du soleil. Aux environs de 5 heures du matin, et contre une somme de 720 F CFA, la «patiente» vient chercher son produit. La posologie recommande à la patiente dès son retour à domicile de diviser en quatre parties la pâte, la diluer dans de l’eau pour boire le matin et le soir en position courbée. Françoise Tiemtoré pense que le traitement doit être efficace parce que la renommée de la guérisseuse a franchi les frontières de la ville de Ouagadougou. « Elles sont nombreuses les femmes qui, ayant utilisé les traitements, affirment son efficacité. J’espère arriver au bout de mes peines. Car, j’ai vraiment tout essayé», confie-t-elle, l’air abattu. Mais qu’est-ce qui pourrait expliquer cette situation ? Adji Konaté répond : «Le manque de lait pourrait être dû à l’existence de croûtes (appelées couramment fourmis) dans le sein. Il faut donc les détruire pour que le lait puisse produire. Aussi la consommation de l’eau glacée pourrait également en être une autre raison. La glace, et les nourritures froides pendant la grossesse peuvent conduire au manque de lait ».
Rien que des préjugés
Ces causes énumérées par Adji Konaté ne sont-elles pas des préjugés? En tout cas, le chargé de recherche et de formation de l’association pour la promotion de l’alimentation infantile au Burkina Faso, Elie Kabré, le dit sans ambages. Il affirme, en effet, que ce ne sont que des préjugés sans fondement scientifique. La présidente de l’association des sages-femmes du Burkina, par ailleurs, sage-femme au Centre hospitalier universitaire Yalgado-Ouédraogo, Mariam Nonguierma, est sur la même longueur d’ondes que M. Kabré. «Il n’y a même pas de lien entre ce qui est chaud, froid avec la production de lait parce que le corps humain régule tout. Il y a une régulation de l’organisme qui fait que tout est transformé, même si vous buvez de l’eau froide ou chaude, elle va se transformer et va revenir à la température ambiante», atteste-t-elle. Selon elle, la présence de la croûte sur le sein n’est en rien anormale. « Généralement sur le sein après accouchement, il y a des croûtes sur les mamelons. L’enfant en allaitant va faire partir ces croûtes, mais il faut peut-être appliquer un peu de beurre de karité sur les seins, qui vont se ramollir par la suite», poursuit Mariam Nonguerma. Sur la question de fourmilière, la sage-femme se veut là aussi catégorique : « Il n’y a aucune fourmi dans le lait d’une mère et tous les laits sont adaptés aux bébés. Il s’agit plutôt d’une désorganisation du lait qui, après les tétés, finit par s’ordonner ».
Le stimulus
Pour le chargé de recherche et de formation de l’association pour la promotion de l’alimentation infantile au Burkina Faso, les femmes ont du mal à avoir du lait en quantité parce qu’à la naissance de l’enfant, les accoucheuses font fi de certaines pratiques, pourtant importantes pour la mère et l’enfant. «Quand l’enfant nait, on doit le poser immédiatement sur le ventre de sa mère. Et c’est à lui d’aller chercher (parce qu’il a ce don) le lait afin que le mécanisme de production puisse être enclenché», explique-t-il. Cependant, M. Kabré déplore que cette pratique ne soit pas systématique dans les centres de santé, ce qui retarde la montée laiteuse. A l’entendre, «plus on tarde à mettre l’enfant au sein, plus le mécanisme va s’aliéner et la production de lait va connaître des difficultés. Il est donc conseillé d’éviter de séparer le bébé de sa mère dès sa sortie. Avant que le cordon ne tombe, le mettre sur le ventre de la mère juste en-dessous du mamelon ». Cette pratique, même si, elle n’est pas effective dans tous les centres de santé, certaines sages-femmes la mettent en application. «Dans un passé très récent, les sages-femmes ne l’appliquaient pas. Présentement, lorsque l’enfant est expulsé, on le met sur le ventre de sa maman avant de couper le cordon ombilical. Et, c’est au nouveau-né d’aller chercher le sein. C’est ce qu’on appelle le réflexe de succion. Il est remis immédiatement à sa mère une fois installé », affirme la sage-femme. Et que faire si toutefois, l’environnement n’est pas adapté ou propice à ce qu’il y ait la mise au sein immédiate et permanente du bébé le long du séjour à l’hôpital ? « Vu le contexte actuel, l’environnement dans lequel nous sommes, il est difficile de suivre à la lettre certaines normes. On est confronté à un problème d’infrastructures. Dans les couloirs, de nouvelles mamans dorment sur des nattes», alerte Mme Nonguierma. Hormis cet état de fait, Elie Kabré note qu’il y a également la notion d’exclusivité de l’allaitement maternel, qui, si elle n’est pas respectée, peut aussi jouer sur la production du lait. En effet, il ne faut pas donner de l’eau, ni de tisane ou quoique ce soit à l’enfant pendant les six premiers mois. «La production de lait en quantité est conditionnée par la tétée fréquente de l’enfant de jour comme de nuit. Si cette règle est respectée, il n’y a pas de raison que le lait soit insuffisant», ajoute M. Kabré. Pour cela, il faut appliquer la bonne position. L’enfant doit avoir la tête bien posée sur le bras, la main de la mère sous ses fesses et il doit bien ouvrir la bouche pour insérer le mamelon afin de bien sucer. En plus, pour le spécialiste, « la mère doit avoir une alimentation adaptée à sa situation». C’est dire qu’elle doit avoir un repas supplémentaire en plus de ces mets quotidiens. Chaque repas doit contenir les quatre groupes alimentaires recommandés par l’Organisation mondiale de la santé, à savoir des fruits, des produits d’origine animale, végétale et riches en vitamines. Toute chose qui va lui permettre d’avoir un équilibre alimentaire. « Parce qu’elle doit non seulement s’entretenir, mais également permettre à son organisme de se maintenir. Malheureusement. Il y a des femmes qui n’ont qu’un seul repas par jour », regrette M. Kabré.
L’hydratation, un facteur important
Par ailleurs, une mère doit suffisamment boire de l’eau. Selon l’OMS, il est conseillé de boire 1,5 litre d’eau par jour. Mais une femme qui allaite peut aller au-delà. Ainsi, «elle ne doit pas attendre d’avoir soif pour boire », indique le chargé de recherche et de formation de l’association pour la promotion de l’alimentation infantile au Burkina Faso. L’autre aspect est qu’une mère qui allaite doit être très relaxe et ne doit pas être délaissée par son mari. « Si elle est délaissée par son mari, ou malmenée, elle sera dans une certaine angoisse, tristesse. Or, ces conditions créent un blocage en elle qui, par conséquent, joue sur la production du lait», précise Elie Kabré. Et la présidente de l’association des sages-femmes du Burkina de compléter que l’une des causes de l’insuffisance du lait maternel est le fait que les mamans n’ont plus le temps pour allaiter leurs bébés. « Les femmes n’ont pas le temps pour allaiter leurs enfants, surtout celles qui travaillent. Elles donnent le sein quelques instants seulement. Après, soit on le remet à l’aide-ménagère, soit on part le coucher », martèle-t-elle. Pour elle, une mère ne doit pas allaiter son enfant tout en faisant autre chose (être au téléphone par exemple). « Elle doit se consacrer exclusivement à son enfant », soutient-elle.
Fleur BIRBA
fleurbirba@gmail.com
NafissatouTapsoba/Diandé, journaliste de formation, a été momentanément confrontée au problème de l’allaitement maternel dès son accouchement.
« Mon histoire commence le 10 novembre 2014. Aux environs de 22 heures, le travail a commencé et je me suis rendue à la maternité du centre hospitalier universitaire Yalgado-Ouédraogo. J’attendais des jumelles, qui, selon l’échographique, l’une se présentait en position céphalée et l’autre en siège. C’est aux environs de 8h 45mn, qu’est née ma 1re fille, nommé aujourd’hui Soucrya Amel Tapsoba. Après des heures interminables de travail, c’est finalement aux environs de 12h 45mn qu’est née la 2nde jumelle par césarienne, qui, finalement après des tentatives de réanimation, est décédée quelques instant après. Ce fut un enfer pour moi. Et j’ai cru que j’allais y laisser ma vie. Durant mon séjour à l’hôpital, je rencontrais déjà le problème d’insuffisance de lait maternel. Dès lors, je pratiquais l’allaitement artificiel. De retour à la maison, il fallait concilier la douleur de la césarienne, celle de l’accouchement et l’insuffisance du liquide précieux pour nourrir mon enfant. Sous prescription de la sage-femme, j’ai utilisé le produit « galaxtocil », un produit efficace pour produire le lait maternel. Mais, aucun résultat. J’ai essayé également toutes les astuces traditionnelles possibles, le mal persiste. Alors, ma belle-mère s’est rendue au village à environ 40 km de Ouagadougou après deux mois de tentatives pour trouver une solution. Elle est allée consulter un charlatan qui affirme que c’est la défunte jumelle, qui s’en est allée avec le lait. Voilà pourquoi, il en manque pour l’autre jumelle. Il a donné à cet effet des sacrifices à faire. Après avoir fait ces sacrifices, le lait maternel est revenu. C’est à croire qu’il y a tout un mystère autour de cet aliment complet. C’est donc après trois mois de calvaire que j’ai finalement pu allaiter ma fille, qui aura bientôt trois ans».
Des astuces traditionnelles, selon des tradipraticiennes, pour stimuler la production du lait maternel
Une recette à base de feuilles de papayer
On cueille les feuilles fraîches de papayer, qu’on pile avec du petit mil (déjà débarrassé du son), jusqu’à obtenir de la farine. Ensuite la farine est renversée dans une calebasse d’eau en vue d’obtenir une boisson. Très tôt le matin, avant le lever du soleil, la nouvelle maman boit cette mixture à jeun jusqu’à midi. A midi, après un léger repas, elle recommence à boire le jus jusqu’au coucher du soleil. Cette astuce peut être appliquée à souhait, selon la personne.
Un cocktail de farine de petit mil, du beurre de karité et du sel
Tôt le matin, la maman se rend chez la tradi-praticienne avec une calebasse neuve, de la farine du petit mil, déjà pilé, du sel et du beurre de karité. Les ingrédients ajoutés à son produit « magique » sont transformés en boisson. En fonction du sexe, la mère avant de boire le «remède», répète quatre ou trois fois la phrase suivante : « m kota biisim », qui signifie je sollicite du lait en langue nationale mooré. L’intéressé revient le lendemain matin pour la même procédure contre paiement de 720 FCFA si c’est une fille et 665 FCFA pour le sexe opposé.
Ecorse de karité (l’arbre) avec du petit mil sans son
Pour obtenir cette potion, il faut mélanger des écorces de jeune karité avec le petit mil débarrassé du son. On pile pour obtenir de la farine. Ensuite on ajoute de l’eau. Sans consigne, cette potion servira de boisson pour toute la journée. Elle peut être répétée à souhait.
Astuce à base de raisin sec
Il est juste mouillé la nuit et le lendemain, l’intéressé recueille l’eau pour boire.
Pour le spécialiste Kabré, il n’y a pas de lien entre ces recettes et la production du lait. Neanmoins, ces astuces peuvent contribuer au processus parce qu’elles contiennent suffisamment d’eau pour la production du lait mais dans un contexte où la mère est sans angoisse ni stressée.