C’est le branle-bas de combat dans le monde déjà mouvementé des organisations de la société civile (OSC) du Burkina Faso.
Depuis quelques années maintenant, on le sait, la galerie de ces fantassins de la démocratie et de la promotion des libertés et des droits humains s’est enrichie de façon fulgurante, avec une foultitude d’acronymes, de sigles et de slogans aussi divers que variés. Fleurissant comme champignons au soleil notamment depuis 2014 où l’on a enregistré près de 2 000 récépissés délivrés (lire notre article p.12), les OSC ont indéniablement joué un rôle déterminant dans la mobilisation et la lutte contre la modification de l’article 37 de la Constitution burkinabè, qui a débouché sur l’insurrection populaire de fin octobre 2014.
Les yeux rivés sur le rétroviseur qui enseigne que le succès de 2014 n’est pas le premier — on se rappelle le «dégagisme» imposé par les syndicats au président Maurice Yaméogo le 3 janvier 1966 —, et galvanisées par la puissance sociopolitique qu’elles représentent, les organisations de la société civile ont décidé de garder désormais, et plus que jamais, les yeux ouverts sur la gestion de la vie publique. «Pour nous, il n’est plus question de fermer les yeux et de les rouvrir un jour pour voir qu’il y a danger. Tous les jours, il faut que tout ce que font les gouvernants soit su et surveillé. Si cette conscience citoyenne existe, les risques de dérives seront amenuisés», avait alors prévenu Guy Hervé Kam, porte-parole du Balai citoyen.
Il s’agit donc de… surveiller, comme du lait sur le feu, ces bons messieurs et dames qui nous gouvernent, afin de leur délivrer, le moment venu, le «carton rouge» qui les mettrait hors-jeu lorsque l’envie leur prendrait de jouer aux amnésiques! Face au concert des récriminations de toutes natures et des déceptions tempétueuses déclinées dans toutes les couleurs de l’arc-en-ciel qui saluent les dix-huit premiers mois des nouveaux commandants du navire Burkina, les OSC tiennent donc à ouvrir le bon œil afin de tenir leurs rôle et promesses. Seulement, tant de personnes dorment sur la même natte sans avoir les mêmes rêves!
En effet, si plusieurs OSC restent crédibles sur le terrain de la veille citoyenne et de l’action proactive, combien ont véritablement compris que leur rôle n’est pas — et ne doit nullement être — de se cantonner à la chose politique, et que le financement de leur programme d’action ne devrait pas dépendre des gouvernants? Oui, combien feignent encore de savoir, ou même ignorent simplement, ainsi que l’indique si bien Larry Diamond, professeur de sciences politiques et de sociologie à l’université de Stanford, aux Etats-Unis, que la société civile est «le domaine de la vie sociale organisée qui se fonde sur le volontariat, la spontanéité, une autosuffisance, l’autonomie vis-à-vis de l’Etat, et qui est lié par un ordre légal ou un ensemble de règles communes»?
Reste à espérer — et on est en droit d’en douter — que la valse des regroupements et des repositionnements qui a rythmé le quotidien des Burkinabè ces dernières semaines n’est pas seulement, pour certains, l’expression d’un appétit vorace pour une place confortable dans un système et/ou dans un régime politique duquel ils estiment avoir été injustement exclus. Non pas qu’on leur dénie le droit d’accéder à cette sphère tant captivante du pouvoir d’Etat, mais il est simplement utile et nécessaire qu’ils sortent de l’ambiguïté en sacrifiant au devoir de clarification et de transparence qu’impose la bonne gouvernance qu’ils réclament par ailleurs à cor et à cri.
L’histoire sociopolitique de nos pays — et du Burkina Faso, naturellement! — marquée par de constants et graves manquements des gouvernants, qui s’écartent, souvent impunément et sans tambour ni trompette, des canons d’une gouvernance vertueuse et des belles promesses annoncées aux populations, ont certainement et notablement fait le lit de cet autre détestable mélange des genres qui cimente la collusion permanente entre les hommes de pouvoir et les organisations de la société civile. Mais comment rester cette formidable sirène, cet impérial père fouettard et cette force apolitique, si l’indépendance d’esprit et d’action de ces organisations dites de la société civile est bradée sur l’autel de la connivence et de la compromission?
Incontestablement, il y a lieu de mettre un peu d’ordre dans toute cette pagaille pour que cette «forme d’auto-organisation de la société en initiatives citoyennes en dehors du cadre étatique ou commercial» garde tout son sens et toute son efficacité. Autrement, les citoyens sincères, contraints d’assister, impuissants, au bal des OSC sur le parquet des collusions de toutes sortes avec les politiques, n’auront plus aucun repère dans ce capharnaüm sociopolitique.