Plus de 5000 délégués venus de 187 États membres ont participé du 4 au 16 juin dernier à Genève, à la 106ème Conférence internationale du travail (CIT). Des migrations de main-d’œuvre aux pires formes de travail des enfants en passant par le travail des femmes, les sujets de discussion n'ont pas manqué. L'objectif étant de parvenir à un travail décent, dans le respect des normes et conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT).
Ces deux semaines de discussion ont permis à l'OIT de se rassurer quant à ses capacités à relever les défis que posent les crises, les migrations de main-d’œuvre et la transition écologique au monde du travail.
La 106 ème CIT a ainsi adopté une nouvelle norme de référence, la recommandation sur le travail décent au service de la paix et de la résilience. Une nouvelle norme de référence qui offre un cadre normatif unique axé sur les mesures liées au monde du travail, pour prévenir les conflits et les catastrophes et pour répondre à leurs effets dévastateurs sur les économies et les sociétés, en accordant une attention particulière aux groupes de population vulnérables, comme les enfants, les jeunes, les femmes et les personnes déplacées.
Les déplacements forcés dus aux crises économiques, géopolitiques et aux catastrophes sont d'une actualité brûlante et les difficultés qu'ils engendrent pourraient, si l'on n'y prend garde, déboucher sur des catastrophes humanitaires. Des millions de travailleurs sont ainsi condamnés à l'errance et à la précarité, complètement exposés aux vicissitudes et intolérances de toutes natures.
« C’est une réponse vitale du monde du travail à des millions de personnes affectées ou déplacées par des crises ou des catastrophes. Non seulement nous sommes à leur écoute mais nous agissons pour elles, et avec elles», a déclaré le directeur général de l'OIT Guy Ryder, dans son allocution de clôture. Il a dénoncé les «graves lacunes de gouvernance qui autorisent les pratiques abusives et, trop fréquemment, une détérioration des comportements des citoyens et des discours politiques à l’égard des migrants et de la migration».
Et si la migration devenait un choix
Une commission spéciale s'est penchée sur la question des migrations de main d’œuvre et a invité l’OIT à jouer un rôle moteur dans la promotion du travail décent dans les migrations de main-d’œuvre, y compris dans le processus qui aboutira au Pacte mondial des Nations Unies pour des migrations sûres, ordonnées et régulières qui devrait être adopté en 2018.
Les conférenciers ont également débattu au sein des commissions, de principes et droits fondamentaux du travail, d'application des conventions et de justice sociale, conditions sine qua non pour bâtir un monde équitable.
« Ce sont des problématiques mondiales qui intéressent pratiquement tous les pays », estime le ministre de la Fonction publique, du travail et de la protection sociale qui a conduit la délégation burkinabè à cette 106ème CIT. Autant de préoccupations qui sont du reste ressorties dans son adresse à la conférence.
« Nous avons présenté les préoccupations et les espoirs de notre pays en matière de travail, ainsi que les actions qui sont en train d’être mises en œuvre au profit du travail des femmes, des jeunes, mais également les problématiques qui ont trait aux formes de travail qui sont prohibées comme les pires formes de travail des enfants. Au total, nous pouvons dire que la conférence internationale du travail dessine des sillons pour l'avenir du travail dans le monde. Il n'y a pas un pays ou les questions de travail, de dialogue social, du respect des normes internationales au travail, les questions de liberté démocratiques peuvent être négligées », a-t-il souligné.Des préoccupations dont le solutionnement, de l'avis du chef de délégation de l'Unité d'action syndicale (UAS), Bassolma Bazié, devient urgent.
« Nous constatons, avec un pincement au cœur, que certaines parmi les 8 conventions dites essentielles et fondamentales sont de moins en moins respectées par l'ensemble des pays qui les ont ratifiées et nous nous battons pour que ça change. Il en est ainsi de la Convention 87 qui porte sur la liberté syndicale, la Convention 98 qui porte sur la négociation collective », a-t-il notamment affirmé.
Au niveau de la CIT, comme au niveau de chaque pays membre de l'OIT, les problématiques ayant trait au travail doivent être posées et résolues dans un cadre tripartite État – patronat - syndicats.
« Le tripartisme est une réalité dans notre pays. C'est le principe selon lequel la conduite du dialogue social ne peut se passer des trois types d'acteurs que sont l’État, le patronat et les syndicats. Ce principe est incontournable au niveau de l'OIT qui travaille a promouvoir l'effectivité de ce principe au niveau de tous les États membres. Chacun peut et doit maîtriser son rôle, chacun apprend à connaître l'autre et à comprendre qu'il a intérêt au dialogue social plutôt qu'à la confrontation permanente », affirme Clément Sawadogo.
Un avis que partage en partie Bassolma Bazié qui estime que, pour que le dialogue social soit solide, « il faut que toutes les parties aient une bonne vision de la nature et du rôle de chaque acteur, qu'il y ait un respect mutuel et une mise en œuvre correcte des décisions prises ensemble ». Il reconnaît également qu'au Burkina, les organes et les textes existent, mais les difficultés surviennent dans le fonctionnement.
Tripartisme et dialogue social fécond
« Au Burkina, le tripartisme a du plomb dans l'aile parce que le rôle des syndicats n'est pas bien connu par certains acteurs du privé et même certains acteurs politiques. Quand on résume le syndicat à une organisation qui ne fait que revendiquer, c'est déjà une méconnaissance de l'organisation syndicale qui, je le rappelle a essentiellement quatre fonctions : éduquer, prendre part à la normation, c'est à dire veiller à la mise en œuvre correcte des lois et des règlements pour permettre une vie judicieuse à toutes les populations, assurer une représentation dans les instances de décision et faire des propositions pour que la démocratie soit renforcée. La quatrième et dernière fonction, c'est la fonction revendicative. Et même à ce niveau, si le tripartisme marche bien dans un pays, si la parole donnée est respectée, si les engagements pris sont mis en œuvre, il n'y a pas de raison qu'il y ait une descente dans la rue ou des mouvements de grève », explique le chef de délégation de l'UAS.
Pour le ministre de la Fonction publique, du travail et de la protection sociale, « le dialogue social n'exclut pas qu'il puisse y avoir de temps en temps des mouvements sociaux, parce que les mouvements sociaux sont liés souvent aux conjonctures économiques et sociales, et quelque fois aussi a des questions politiques ». Il reste toutefois confiant parce que « ces mouvements sociaux vont s'amenuiser dans les prochains mois, tout simplement parce qu'aujourd'hui, il y a une prise de conscience généralisée de la nécessité d'abandonner l'aspect intempestif et récurrent de ces mouvements, au niveau des syndicats et de la société ».
« Je pense que chacun sera tenu, d'une manière ou d'une autre, de mettre balle à terre, parce que ce pays est le nôtre, et tous ensemble, nous devons le construire au lieu de le déchirer. Et si d'aventure quelqu'un s'obstinait à le déchirer, les autres citoyens le rappelleraient à l'ordre. Ceci étant, il faut comprendre que depuis l'insurrection populaire, il y a une agitation sociale qui ne pouvait pas être éteinte immédiatement après les élections. Le gouvernement a géré de son mieux mais je me dis qu'il y aura nécessairement beaucoup plus de maturité, d'esprit de responsabilité et de patriotisme pour qu'ensemble, on s'avance vers des lendemains meilleurs », affirme Clément Sawadogo.
L'autre raison d'espérer est, selon lui, la création du Haut conseil pour le dialogue social qui va fonctionner sur la base du tripartisme avec 10 représentants de l’État, 10 représentants des syndicats et 10 représentants du patronat. « C'est vraiment la déclinaison des principes de l'OIT au niveau national », affirme t-il.
Mathieu Bonkoungou
Ambassade Mission permanente du Burkina à Genève