Pour l’heure, il est impossible de prouver scientifiquement que les restes des corps exhumés en mai 2015 au cimetière de Dag-Noën (Ouagadougou) sont ceux de Thomas Sankara et de ses compagnons d’infortune assassinés le 15 octobre 1987 lors du coup d’Etat qui a porté Blaise Compaoré au pouvoir. Aucun profil génétique n’a pu être mis en évidence suite à l’expertise et à la contre-expertise de recherche d’ADN menées sur les restes des corps par deux laboratoires de référence, celui de la police de Marseille en France et celui de l’université de Santiago en Espagne. L’information a été donnée aux familles des victimes, aux avocats et aux inculpés le 19 juin 2017 par le juge d’instruction. Dans cet entretien qu’il nous a accordé hier mardi 20 juin, Me Bénéwendé Sankara, avocat de la famille du père de la Révolution burkinabè bien qu’attristé par cette nouvelle, a affirmé que le dossier judiciaire ne sera pas pour autant enterré puisque «il est constant que Thomas Sankara a été assassiné» et que le juge peut requalifier les infractions reprochés aux accusés dans cette affaire.
Les conclusions de la contre-expertise ADN de Thomas Sankara et de ses compagnons d’infortune sont connues. Qu’est-ce qui est ressorti de ce rapport ?
Comme vous le dites si bien, il s’agit d’une contre-expertise. Dans un premier temps, c’est-à-dire en mai 2015, nous avons eu un premier rapport d’un expert français du laboratoire de la police de Marseille qui a fait les exhumations et avait rendu son résultat sur trois points. D’abord il y a eu le rapport balistique qui a été concluant. On a retrouvé des balles, on sait même à peu près quelles sont les armes qui ont été utilisées pour tuer le Président Thomas Sankara. Il y a eu aussi une autopsie qui a été concluante. On a vu des ossements, on a même pu voir des objets, des habits que les victimes portaient.
La famille du Président Thomas Sankara, depuis fort longtemps, avait également demandé qu’on fasse les tests ADN. Comme le laboratoire de Marseille n’a pu identifier l’ADN, la famille avait souhaité une contre-expertise. Celle-ci a été étendue aux autres victimes (au nombre de 11), car une famille s’est désistée en estimant que ce n’était plus la peine de chercher une identification de l’ADN. Cette contre-expertise a été confiée au laboratoire de l’université de Santiago en Espagne qui a rendu, le 19 juin, un résultat qui confirme purement et simplement les premières analyses dans une formule consacrée qui dit qu’aucun profil génétique n’a été trouvé ; autrement dit, les résultats de l’identification de l’ADN ont été négatifs. C’est comme si on a mis deux ans à nous retrouver aux mêmes conclusions qu’2015.
C’est sur les restes présumés de Thomas Sankara qu’on n’a pas retrouvé d’ADN ou bien sur l’ensemble des douze restes ?
C’est sur l’ensemble des restes qu’on n’a rien trouvé.
D’un point de vue juridique, qu’elles peuvent être les conséquences de ces conclusions du laboratoire ?
Il y a un doute par rapport à l’identification par voie d’ADN. Mais d’un point de vue juridique, cela ne met pas fin à la procédure, bien au contraire, puisque les infractions sont établies. Quand on parle d’assassinat, ce sont des choses qui se constatent. Par contre, la question de pouvoir de façon formelle identifier les victimes, c’est celle-là qui constitue aujourd’hui le motif du doute.
Il appartient au juge d’instruction de continuer ses recherches et de continuer l’instruction. De toutes les façons, vous savez aujourd’hui que le dossier a beaucoup de ramifications même sur le plan international. On parle de commission rogatoire notamment en ce qui concerne la France. Il y a aussi le problème de pouvoir inhumer à nouveau les restes. Au regard de l’ensemble de ces questions, nous restons à l’écoute du juge d’instruction par rapport à ce qu’il prendra comme décision et on avisera.
Mais on sait qu’il y a eu mort d’hommes. La question est de pouvoir, par rapport à l’évolution de la science, déterminer exactement qui sont ces morts.
Le fait de n’avoir pas trouvé de profil génétique affaiblit néanmoins le dossier en ce sens que les accusés pourront dire, «si on les a tués, prouvez-le nous en nous montrant leurs restes de façon irréprochables ».
Je suis parfaitement d’accord avec vous. Voilà pourquoi je dis que, de toutes les façons, mettre autant de temps pour ne pas finalement pouvoir identifier l’ADN avec des laboratoires de notoriété mondiale, nous, c’est avec beaucoup d’amertume qu’on se retrouve dans cette situation. Franchement, ça m’attriste.
Malgré tout, cette situation aggrave le sort des accusés. Parce que tout le monde sait que le Président Sankara a été tué le 15 octobre 1987, c’est constant. Donc, on ne va pas revenir en arrière pour dire qu’il n’a pas été assassiné. Au pire des cas, nous avons dit qu’il a été séquestré. Rappelez-vous que nous avons mené à l’époque une procédure pour séquestration du Président Sankara parce que, pour nous, tant qu’on n’a pas prouvé qu’il a été tué et enterré, il peut avoir été séquestré depuis tout ce temps.
Donc vous comprenez que le juge a même la possibilité de requalifier les infractions. De mon point de vue, le fait de n’avoir pu identifier l’ADN ne veut pas dire que la procédure judiciaire est arrêtée, c’est plutôt un moyen de défense qui s’offre à certains pour dire qu’ils ont commis un crime impossible.
Propos recueillis par
San Evariste Barro
Hugues Richard Sama