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L’invité de la Rédaction : Simon Compaoré, ministre d’Etat, ministre de la Sécurité
Publié le vendredi 16 juin 2017  |  Sidwaya
Simon
© Autre presse par DR
Simon Compaoré




On connaît Simon Compaoré, le ministre d’Etat, ministre de la Sécurité pour son franc-parler. Malgré le poids de l’âge (né le 19 septembre 1952 à Ouagadougou), ce fils de pasteur a battu le record, en termes de temps mis à notre rubrique de grande interview. Pendant quatre heures d’horloge, le mardi 30 mai 2017, l’homme qui fut, entre autres, maire de Ouagadougou pendant 17 ans, haut-commissaire de l’Oubritenga et directeur de cabinet de Blaise Compaoré, s’est soumis aux multiples questions des journalistes. Maniant le français, les dictons anglais et mooré (sa langue maternelle) avec dextérité, Simon Compaoré a abordé des questions sécuritaires, la gestion des services payés dans son département, le dossier Koglweogo (groupes d’auto-défense), les mouvements sociaux, la gestion du pouvoir actuel.

Sidwaya (S.) : Comment vous sentez-vous à la tête du département de la Sécurité ?
Simon Compaoré (S.C.) : Avant de répondre à votre question, je vais me présenter. Je suis Simon Compaoré, un retraité appelé à exécuter une mission circonscrite dans le temps. Je me réjouis de voir mes jeunes frères (Ndlr, il parlait des journalistes chargés de l’interviewer) parce que j’ai l’impression que tout est jeune ici ; ce qui est un bon signe. C’est pour vous dire que c’est avec beaucoup de plaisir que je suis présent ce matin afin de répondre à votre sollicitude. Le Directeur général des Editions Sidwaya, votre patron, vient de me dire qu’il y a des questions qui fâchent. Mais en ce qui me concerne, je crois que je suis suffisamment vacciné (rires des journalistes). Il n’y a rien qui puisse me faire peur. Je refuse de répondre aux questions les plus rouges mais je dis ce que je pense sans aucun problème. Que ce soit des chiffons qui me sont jetés ou des flèches, je n’en trouve pas un problème. Donc, soyez cool, moi je suis cool et nous serons tous cool.
Alors, je me sens bien à la tête du département de la Sécurité sauf que ce matin ma santé physique est fragile. Je fais mon travail conformément à ma lettre de mission, c’est-à-dire, veiller à ce que les services de la sécurité soient bien animés et que nous puissions répondre aux sollicitations des populations. Il n’y a pas de particularité à mon niveau, je fais comme tous les autres ministres.

S. : Pourquoi vous avez tenu à garder le portefeuille de la Sécurité alors que tout le monde vous voyait plus à l’aise au ministère en charge de la Décentralisation ?
S.C. : Vos propos sont impropres. J’ai tenu à garder ? Est-ce que c’est moi qui me nomme ministre ?

S. : Pour dire que vous avez hérité du ministère de la Sécurité alors que certains pensaient que vous seriez au ministère en charge de la Décentralisation.
S.C. : La question est simple. Allez voir le Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré et le Premier ministre, Paul Kaba Thiéba qui s’arrangent pour meubler les fauteuils ministériels. Cette question, aujourd’hui, n’a plus d’intérêt. Même si elle était posée au moment opportun, je ne pouvais que donner la même réponse.

S. : Quels sont les grands projets de votre ministère pour la sécurisation du territoire national ?
S.C. : La question sécuritaire est devenue extrêmement importante. Lorsqu’on organisait les élections présidentielle et législatives, on sentait effectivement que les préoccupations sécuritaires étaient cruciales mais pas à telle enseigne qu’elles soient une priorité des priorités. Depuis les attentats terroristes du 15 janvier 2016 à Ouagadougou, tout le monde a compris que ce qui se passe dans d’autres pays, pas très loin de chez nous, peut arriver au Burkina Faso. Nous l’avons appris à nos dépens et nous avons compris que désormais, il faudra compter avec les mesures sécuritaires de nature à permettre à tous ceux qui vivent au Burkina Faso, aux nationaux comme aux étrangers, d’accomplir correctement les missions qui leur sont assignées. Même vous journalistes qui êtes dans une salle où il y a le ‘’fêfê’’(Ndlr : l’air conditionné), bien qu’il y ait un certain nombre de commodités pour votre travail, vous pourriez être amenés à vider la salle si vous entendez crépiter des armes tout à l’heure. Donc, ce qui veut dire que pour tout être humain, la sécurité est extrêmement importante, surtout que de nos jours, les petits comme les grands souffrent de l’action des terroristes. On ne peut que placer la sécurité au premier plan parce que c’est de là que dérive tout. On parle de construire des écoles, des dispensaires, des maternités, des lycées, d’améliorer les rendements au niveau de l’agriculture et de l’élevage à travers l’amélioration de la race bovine pour que nous ayons plus de possibilités de profiter de toutes ces richesses. Mais, pour cela, nous avons besoin d’un contexte où règne la sécurité. Ce qui s’est passé dans la région du Sahel avec l’action de quelques terroristes, avait amené les enseignants à déserter les salles de classe et tout le monde cherchait à se protéger. C’est pourquoi, si vous voulez savoir les grands projets de mon ministère, je dirai d’abord, qu’en dehors des tâches quotidiennes, il y a l’organisation. Vous avez appris, il y a quelques semaines de cela, l’organisation très prochaine, précisément courant septembre 2017, d’un forum national sur la sécurité intérieure. C’est un engagement du Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, qui fait partie des actions que nous devons implémenter dans le cadre du Plan national de développement économique et social (PNDES) au ministère de la Sécurité intérieure. C’est un grand forum qui va réunir des chercheurs, des universitaires, des étudiants, des journalistes, des forces de défense et de sécurité, des organisations de la société civile, des religieux, des coutumiers, des partenaires techniques et financiers, des amis du Burkina Faso, etc. C’est pour que nous revisitions la stratégie actuelle sécuritaire, voir, à la lumière de ce qui s’est passé, les nouveaux réglages qu’il faut faire. C’est un grand événement que nous sommes en train de préparer et qui va, à terme, réécrire notre politique, et partant, décliner la stratégie sécuritaire du Burkina Faso. Les autres activités que nous menons et qui peuvent être qualifiées d’essentielles sont les tournées que nous sommes en train de faire dans toutes les treize régions du Burkina Faso pour visiter les brigades territoriales de gendarmerie, les commissariats de police qui abritent les éléments en charge de la sécurité dans les 302 communes rurales et les 49 communes urbaines. Nous avons, un peu partout, essayé de voir ce qui existe de nos jours concernant le maillage du territoire en termes de structures sécuritaires (gendarmeries et commissariats de police). Il y a également une autre carte qui montre le maillage territorial en termes de structures de police. Nous avons aussi superposé deux cartes qui montrent, l’une, le maillage du territoire en termes de brigades de gendarmerie et l’autre, en termes de commissariats de police avec l’aide de l’Institut géographique du Burkina Faso (IGB). Nous avons également une carte qui traduit l’existence des structures sécuritaires et les vides. L’un des objectifs étant de voir comment chaque année, nous pouvons mettre en place de nouvelles brigades de gendarmerie et de nouveaux commissariats de police pour combler ces vides et faire en sorte pour diminuer les distances entre les forces de sécurité et les populations. C’est le nouveau maillage du territoire en forces de sécurité. Les militaires en font partie car il y a des groupes anti-terroristes qui sont en train d’être implantés. C’est pourquoi, Dieu voulant, pour cette année 2017, nous allons construire une dizaine de postes de gendarmerie et de police financés soit par le budget national, soit par des partenaires qui ont décidé de nous accompagner. Pour le maillage du territoire national, il faut continuer à effectuer des sorties pour constater de visu les réalités au lieu de se contenter des rapports de bureau. C’est bien d’exploiter des rapports mais c’est encore mieux d’aller sur le terrain pour se rendre compte du contexte dans lequel vivent ces forces de sécurité et de leurs préoccupations pour les prendre en compte dans la programmation du ministère de la Sécurité intérieure dans les années à venir.

S. : Que retenez-vous de ces tournées ?
S.C. : Ces tournées se poursuivent. D’ailleurs, le jeudi 1er juin à 5 h du matin, (Ndlr, nous étions au mardi 30 mai 2017), il y aura des visites à Koubri, à Kombissiri, Toécé, Nobéré, Pô et à Dakola, frontière du Ghana. J’ai déjà visité le Nord, le Sahel, le Centre-Ouest, la Boucle du Mouhoun, les Hauts-Bassins et les Cascades. Dans toutes les régions et au sein de toutes les unités (gendarmerie et police), ce sont les mêmes problèmes qui ont été constatés. Ce sont d’abord des problèmes d’effectif qui font qu’avec peu d’agents, les patrouilles sont insuffisantes. Car ces derniers sont assez harcelés et fatigués et pourtant, il faut sortir faire les patrouilles et revenir assurer la permanence la nuit tombée. Donc, quand vous avez de petits effectifs, c’est difficile d’assurer les services quotidiens demandés par la population, les patrouilles et les gardes, sans compter les missions que peuvent effectuer les agents et les raisons de santé. En conséquence, cela limite l’efficacité et l’efficience dans l’action des structures de sécurité. Mais qui dit problème d’effectif dit besoin de recrutement et qui dit recrutement dit besoin de moyens financiers. Toutefois, par rapport au recrutement, il faut féliciter le gouvernement puisqu’un décret a été adopté au Conseil des ministres pour autoriser le ministère de la Sécurité intérieure de recruter 7500 policiers en vue d’étoffer les effectifs de la Police nationale. Au niveau de l’Ecole de la gendarmerie à Bobo-Dioulasso, des recrutements doivent aussi être effectués tout comme un peu partout dans les autres villes du Burkina Faso. Ce qui veut dire aussi que le manque d’emploi demeure une question à résoudre. Ensuite, il y a des problèmes d’infrastructures : des bâtiments sont délabrés et n’offrent pas de conditions adéquates de travail. Certaines de ces infrastructures datent de la période coloniale. A certains endroits, il n’y a pas d’électricité et dans 90% des cas, il n’y a pas de clôture. Et pourtant, c’est une nécessité impérieuse aujourd’hui que les brigades territoriales de gendarmerie et les commissariats de police soient clôturés pour plus de sécurité surtout dans les zones excentrées, en proie à des actions terroristes. Enfin, il y a des problèmes d’eau compte tenu de la distance qui sépare les postes de sécurité et les points d’eau, des problèmes de logistique. Il faut des véhicules et des motos. Par exemple, si vous arrêtez un bandit, c’est risquant de le ramener devant le procureur du Faso à moto. Il y a également des problèmes de matériels de protection comme les gilets pare-balles nécessaires aux forces de sécurité pour éviter des faits qui peuvent intenter à leur intégrité physique, etc. L’idéal aurait voulu qu’on ait des véhicules un peu partout mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Mais il y a un projet pour faire en sorte qu’au moins, dans les 45 provinces, il y ait des véhicules dans les directions provinciales de police et dans les brigades territoriales de gendarmerie. Il faut également des motos parce qu’il y a des localités où la patrouille se fait plus aisément à moto. Tous ceux qui nous attaquent au Sahel utilisent des véhicules mais surtout des motos. Il nous faut aussi ces engins pour assurer la mobilité des forces de sécurité.
Dans toutes les communes, à l’heure actuelle, il n’est pas possible d’ériger des brigades territoriales de gendarmerie et des commissariats de police. Il faut, lorsque vous installez une brigade territoriale de gendarmerie ou un commissariat de police, que cette structure rayonne sur un territoire donné comme sur deux ou trois communes. Pour cela, il faut non seulement des véhicules, mais aussi une dotation en carburant pour que les gens puissent aller et revenir à leur base. Je crois aussi qu’il faut soigner, de temps en temps, le moral de la troupe. Il y a donc beaucoup de problèmes sur le terrain et je trouve qu’il n’est pas normal que ces structures de sécurité soient créées depuis longtemps et n’aient pas reçu la visite d’un ministre du département. Alors, je crois qu’il faut qu’on comble cette lacune et c’est ce qu’on est en train de faire en initiant ces sorties de terrain. Car l’habit ne fait pas le moine mais le moine sans l’habit n’en est pas un. Cependant, ce ne sont pas ces sorties qui vont permettre de résoudre tous les problèmes sécuritaires. La raison est que souvent vous êtes à 200 km voire 300 km ou 400 km dans votre petit coin sans côtoyer des hommes. Mais un jour, si vous voyez vos premiers responsables débarquer pour toucher du doigt vos conditions de travail et de vie et vous transmettre les salutations du gouvernement, votre moral est relevé. A l’issue des visites, il y a un travail de synthèse qui est fait après avoir écouté les agents. Ces visites sont donc de nature à soigner le moral et à faire savoir aux forces de sécurité que le gouvernement ne les a pas oubliées. C’est pourquoi nous parcourons des routes cabossées pour leur rendre visite. Avec la reprise de la saison des pluies, les visites peuvent être limitées mais s’il y a des créneaux, nous allons les poursuivre dans d’autres localités. Les problèmes ne sont vraiment plus à démontrer puisque vous-mêmes en tant que journalistes, il vous arrive de constater de visu ces réalités vécues par les forces de sécurité.

S. : Quelles sont vos actions prioritaires pour faire face à toutes ces difficultés notamment, les commissariats de police et les brigades de gendarmerie délabrés?
S.C. : Il y a des localités où les résultats ont été immédiats. Je prends le cas de Samorogouan où la brigade de gendarmerie a été attaquée par des terroristes. Là-bas, les impacts des balles sont toujours visibles et il a été décidé de réhabiliter l’infrastructure malgré l’absence d’une ligne budgétaire à cet effet. Nous nous débrouillons pour que ces traces sortent de la mémoire des agents parce qu’à chaque fois que vous regardez ces impacts de balles, c’est un souvenir douloureux avec les pertes en vies humaines du côté de la gendarmerie. A Samorogouan également, il y avait un forage dont l’eau était impropre à la consommation, or il y a eu un déploiement de militaires. Toutefois, à la faveur de la tournée, une bonne volonté s’est signalée pour résoudre le problème d’eau en construisant un autre forage. Si j’étais resté dans mon bureau, ce problème n’allait pas être résolu. Et puis, il faut le dire, les rapports écrits sont froids. C’est bien différent de celui qui effectue le déplacement sur le terrain. Ces sorties ont été une bonne chose et nous allons continuer dans ce sens pour qu’on ne dise pas que nous sommes des «one man show». Heureusement, il y a des journalistes qui ont voulu aller avec nous sur le terrain et je profite de l’occasion que vous me donnez pour remercier vos collègues qui ont effectué ces sorties avec notre équipe dans les régions du Sahel et de la Boucle du Mouhoun. Il y en a qui croient que nous partons avec des glacières et autres. Nous sommes logés à la même enseigne. Les journalistes filment et prennent des images, moi je parle et en parlant on se fatigue plus (rires). En tous les cas, je suis content de l’accompagnement de la presse qui est également un vecteur de sensibilisation et je vous en suis infiniment reconnaissant. Dieu voulant, ces sorties vont impacter le sort de ces infrastructures et de ceux qui les habitent.

S. : Parlant toujours des difficultés auxquelles font face les forces de sécurité, est-ce que votre ministère dispose de moyens pour les résoudre ?
S.C. : Vous ne trouverez aucun ministère qui vous dira qu’il a suffisamment de moyens pour faire face aux problèmes. Même vous qui êtes ici à Sidwaya, vous aurez voulu un espace plus grand que cette salle (Ndlr, salle de l’invité de la rédaction) mais vous vous contentez de cela. Et c’est en cela qu’il faut féliciter, en général, les Burkinabè et en particulier les journalistes qui travaillent avec peu de moyens. Par exemple, quand vous écrivez et vous parlez, on pense que vous êtes dans des bunkers comme en Europe. Mais quand on est en contact avec la réalité, on voit que c’est du sommaire et on est plein d’admiration pour le travail qui est abattu. Le ministère de la Sécurité intérieure n’a pas le budget qu’il souhaite avoir pour satisfaire les préoccupations des éléments des forces de sécurité déployés sur le terrain. On n’a pas suffisamment de moyens pour avoir des véhicules, des motos. On n’a pas également le nombre d’armes voulu, mais on est en train de monter en puissance. On doit construire des bâtiments pour abriter des bureaux et des agents. Quand nous avons traversé la frontière du Burkina Faso avec le Mali, à Madouba, avec l’autorisation des autorités maliennes, pour aller saluer les forces de sécurité, ce sont des bureaux qui ont été transformés en dortoir. Une chose est de recruter et de former, une autre est d’affecter dans des localités où il y a des infrastructures pour se loger, sinon comment ces agents vont se débrouiller ? Dans toutes les communes, les bâtiments existants demandent réfection parce que fendillés ou bien dépourvus de clôture. Ne serait-ce que sur le plan infrastructurel, tout le budget alloué à notre département peut rentrer dans la construction des bâtiments et ne suffirait pas à résoudre tous les problèmes rencontrés au niveau des brigades territoriales de gendarmerie et des commissariats de police. C’est difficile mais comme disent les militaires, on sert les dents. Mais, nous n’allons pas non plus tomber dans un pessimisme ambiant comme disent les Mossé «Wagr na pa ki, a teenda nobre» (Ndlr, en français, tant que le chétif n’est pas mort, il nourrit toujours l’espoir de grossir). Nous maigrissons mais je pense que petit à petit, nous allons avoir de l’embonpoint. Au titre de notre partenariat, le Danemark et le Japon vont nous accompagner dans la mise en place de la dizaine des infrastructures de sécurité dans les communes que j’ai annoncées précédemment. Donc la sécurité devenant une priorité des priorités, les partenaires y voient une nécessité de nous accompagner même dans ce qu’il était convenu d’appeler domaine de souveraineté. Dès lors, c’est compréhensible d’ouvrir des services de sécurité pour protéger les populations et leur offrir des prestations. Il ne faut pas qu’on se contente du budget qu’on nous offre mais, il faut se tourner vers d’autres possibilités comme les partenaires (associations, ONG…). Il y a souvent des populations qui appellent pour exprimer leur vœu de participer à la construction des bâtiments en banco. Mais, les briques en banco ne s’adaptent plus aux réalités, comme ce fut le cas à Baraboulé attaqué par des terroristes et où le constat fut amer quand on s’est rendu compte du type de briques utilisées.

S. : Au départ, vous n’étiez pas contre les Koglweogo, mais pour leur encadrement. Est-ce qu’actuellement au vu de certains comportements de ces groupes d’auto-défense, vous maintenez votre position ?
S. C. : J’aurais voulu parler très peu des Koglweogo. C’est une question tout à fait honnête que vous avez posée. C’est pourquoi, je suis dans l’obligation de vous répondre honnêtement. Sinon, pour quel intérêt, Simon Compaoré va créer des Koglweogo ? Si on veut prendre ma propre dimension, je suis une goutte d’eau dans la mer. Je suis natif de Ouagadougou et mon village c’est Gounghin. Là-bas, il n’y a pas de Koglweogo parce que nous sommes au centre-ville où il y a des forces de sécurité. On ne peut pas comprendre qu’à Gounghin, quelqu’un se réclame Koglweogo. Mais à l’heure où je vous parle, est-ce que vous savez ce qui se passe à Logobou situé à plus de 400 km de Ouagadougou ? Au fin fond de ce patelin, s’il n’y a pas de forces de sécurité, ce n’est pas parce qu’on n’aime pas les habitants de Logobou, c’est parce que les moyens sont tels qu’on ne peut pas être partout. Or les populations sont partout et éprouvent la nécessité de se protéger de certaines exactions. C’est l’exemple d’une femme enceinte qui a été égorgée traduisant le summum de l’horreur. Premièrement, c’est une femme, deuxièmement, elle est enceinte et troisièmement, c’est un être humain qu’on égorge comme un mouton. Il y a certains actes qui révoltent. Même si on n’est pas d’accord avec ce qui en découle, on ne comprend pas pourquoi quelqu’un peut être amené à réagir de la sorte. Je précise et je veux qu’en écrivant, vous puissiez souligner que les Koglweogo ne sont pas une création ni de Simon Compaoré ni de sa formation politique (Ndlr : le Mouvement du peuple pour le progrès). Cette bagarre, elle est mauvaise. Je ne veux pas qu’on se cagoule. Quand, moi, je veux mener un combat, c’est à visage découvert que je le fais. D’après les documents que nous avons pu voir, les Koglweogo ne datent pas d’aujourd’hui. Il se peut que leur nombre ait augmenté au regard de certaines situations et que leur façon de faire ait aussi changé, mais les Koglweogo existaient.
Ils créent des prisons, infligent des flagellations à des êtres humains, ce qui est inacceptable dans un Etat de droit. Sachez tout simplement que ceux qui s'échinent à dire que c'est Simon Compaoré ou que c'est sa formation politique qui a créé les Koglweogo, font fausse route.

S. : D'aucuns disent que le gouvernement est totalement impuissant face aux Koglweogo. Est-ce que les agissements des ces groupes d'auto-défense vous embêtent vraiment?
S.C. : Face aux Koglweogo, nous avons a priori mené une démarche rationnelle. Au regard de leurs activités devenues intenses, nous avons d'abord cherché à comprendre de quoi ils se réclamaient. Et là, nous avons compris que traduit littéralement, cela renvoie aux "gardiens de la brousse". Et depuis, la recrudescence des activités de ces groupes d'auto-défense a pris de l’ampleur au pays, notamment dans la partie centrale et Est. Le chef d'état-major de la gendarmerie, les directeurs généraux de la Police nationale et de la sécurité intérieure, et moi-même avons échangé avec les responsables Koglweogo et ils nous ont expliqué comment ils travaillaient. Ils ont montré des photos de personnes qui, après avoir perdu leurs biens par la faute des délinquants, ont préféré se donner la mort. Vol de bétail, de volaille, cambriolage, braquage, etc ; sont, entre autres, les délits dont ces "gardiens de proximité" ont fait cas. Séance tenante, la délégation des Koglweogo a fait savoir son ambition de travailler, à protéger les populations. En son temps, nous avons, certes, compris que la gendarmerie et la police ne peuvent pas être partout, mais les Koglweogo eux, au moins, sont des riverains, des habitants des localités qu'ils désirent protéger. Lorsque nous avons compris qu'il y avait des raisons valables qui sous-tendaient leur engagement, nous avons évoqué la question de leur encadrement. C'est-à-dire la possibilité pour eux d’exercer leurs activités selon des principes conformes au respect du droit et de la dignité humaine. Il faut retenir, que si aujourd'hui nous avons la chance de pouvoir juger des gens qui ont fait couler le sang dans le pays, c'est en partie grâce aux efforts des Koglweogo. Les éléments de l'ex-RSP qui sont passés devant les tribunaux l'ont été grâce à la collaboration des Koglweogo. Certes, nous savons aujourd'hui qu'il y a des brebis galeuses parmi eux, mais, il y en a qui sont corrects, qui font bien leur travail et qui respectent les forces de défense et de sécurité. Aussi, il y a des populations qui disent que si dans leur localité on supprime les Koglweogo, elles seront en insécurité. Il y a également des agents de sécurité qui disent du bien des Koglweogo. Face à une telle situation, que voulez-vous que l'on fasse? Des statistiques montrent que le taux de criminalité a baissé dans certains endroits du pays grâce à la présence des groupes d'auto-défense. C'est pourquoi, il y a lieu de féliciter les Koglweogo qui ont compris leur rôle dans la société, de les encourager à collaborer avec la police et la gendarmerie, mais aussi commencer à punir ceux qui commettent des exactions sur les populations. A ce jour, il y a des Koglweogo qui sont traduits devant les tribunaux afin que force reste à la loi. Et l'Etat est encore prêt à assumer ses responsabilités face aux dérives des Koglweogo. A Fada N'Gourma dans la région de l'Est tout comme à Zongo dans la périphérie de Ouagadougou, nous avons fait usage de la force publique pour maîtriser les dérapages et ramener à la raison ceux qui voulaient se prendre la tête. Il en a été de même pour le cas de Tialgo et Palgo dans la province du Sanguié pour rétablir l'ordre dans cette localité. Et désormais, ce sera le même ton et la même force républicaine. A chaque fois que nous serons dans l'obligation de sévir, nous n’allons pas hésiter. C'est pourquoi ma position jusque-là n'a pas changé en ce qui concerne les Koglweogo. Nous allons être avec le peuple mais, nous disons à haute et intelligible voix que nous évoluons dans un Etat de droit où nous avons l'obligation de respecter les règles préétablies. Ainsi, tous ceux qui vont aller à l'encontre des lois de la République, Koglweogo ou pas, répondront de leurs actes.

S. : Lors de vos tournées régionales, vous est-il arrivé de stopper votre cortège pour saluer des Koglweogo?
S.C : Oui, je l'ai déjà fait dans le sens de les encourager à continuer à exercer au mieux ce pour quoi ils se sont constitués en groupe de défense. Nous avons même dit que ceux qui feront des actions héroïques pourront bénéficier de la reconnaissance de l'Etat. Mieux, nous avons demandé à ce que toutes les armes qui sont entre les mains des Koglweogo soient identifiées, connues et fichées. Les détenteurs également doivent avoir en leur possession un permis de port d'arme. Au cas contraire, ils tombent sous le coup de la loi. De même, nous avons demandé à ce que la volonté des villages qui ne veulent pas de Koglweogo soit respectée. C'est ce que nous avons dit lorsque nous nous sommes rendus à Bobo. Rappelons également que l'activité de Koglweogo n'est pas un gagne-pain. Celui qui en fera un gagne-pain se verra dans l'obligation de mal accomplir sa mission. Et cela, nous l'avons bien signifié aux responsables Koglweogo. Tout cela dénote de la transparence que nous recherchons dans la gestion du pouvoir d'Etat. Mais, une chose est sûre, mon point de vue sur les Koglweogo est inchangé et il faut continuer à les encadrer et à superviser leurs actions sur le terrain.

S. : La présence des Koglweogo à Ouagadougou est-elle normale?
S.C. : Non! Non! En principe, il ne doit pas avoir de Koglweogo à Ouagadougou. Parce que si nous partons du postulat que dans certains endroits il y a un vide à combler sur le plan sécuritaire, ce n’est pas le cas dans la capitale. Donc, inutile de parler de Koglweogo. C'est d'ailleurs pour cette raison que je me suis opposé fermement à leur installation à Zongo. J'ai été clair avec les forces de sécurité sur ce point. Je leur ai dit que si jamais elles rencontrent des gens qui se disent Koglweogo à Ouagadougou, que ces personnes soient immédiatement désarmées et mises aux arrêts. La population de la capitale doit faire recours à la gendarmerie ou à la police mais jamais aux Koglweogo.

S. : Le rapport de l'inspection générale des services de la sécurité sur les services payés de la police a fait des révélations. Des malversations financières imputables aux responsables de la police, notamment au directeur général sortant, ont été constatées. Que comptez-vous faire à propos?
S.C. : Ce que j'ai compris dans cette affaire est que quand un être humain évolue en âge, il se bonifie comme le vin qui prend de la valeur au fil des temps. Mon objectif était de circonscrire tous les aspects de cette affaire et non d'aller dans le sens de ceux qui voulaient en découdre. Ainsi, j'ai pris mon temps de toucher l'inspecteur général des services et les 14 autres inspecteurs qui sont sous ses ordres. Ce qui nous a permis d'ouvrir une enquête et de faire le tour des 13 régions de police afin de constater de visu ce qui se passe en matière de service public et d’établir un rapport. En fin de compte, j'ai trouvé que c'est ce qu'il fallait faire si on veut avoir toutes les cartes en main. Ma démarche était scientifique et elle a duré quatre semaines. J'ai trouvé parfait, le travail qui a été fait. La prochaine étape a été de convoquer les différents chefs dans les régions, pour la restitution des résultats de l'investigation en présence de la presse. A l'occasion, c'est l'inspecteur général des services lui-même qui a fait l'exposé en public. Après cet exercice, des gens m'ont approché pour dire que le problème devrait être traité en cercle restreint et non en public. Je leur ai dit que je recherche la transparence. Ce travail nous a permis de voir qu'il existe un vieux texte qui date de 1979 et qui comportait des failles extrêmement importantes. Ce texte manquait de précision et laissait libre cours à certaines choses. Des personnes exploitaient à leur profit cela sans pour autant faire des détournements. Ainsi à mon niveau, j'ai pris des mesures qui me paraissent raisonnables. En effet, les rapports qui sont au nombre de 13 sont transmis au président du Faso, au président de l'Assemblée nationale, au Premier ministre et au président de l'Autorité supérieure de contrôle d'Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC). C'est ma façon de leur rendre compte de ce qui est sorti de l'enquête de terrain sur les services payés de la police qui a fait la une des journaux. Est-ce qu'on peut être plus transparent que ce que j'ai fait? Au sortir, j'ai rappelé que les policiers sont a priori des fonctionnaires de l'Etat burkinabè. Ils ont été recrutés pour assurer la sécurité des populations et leurs biens, leur rendre un certain nombre de prestations. Mais subsidiairement, on peut solliciter les services de la police dans un cadre privé. Et pour cela, j'ai exigé qu'il faille désormais un contrat clair, définissant la nature du service souhaité, le nombre d'éléments qu'il faut, le mode de paiement et le lieu de versement de l'argent. Ces informations doivent être préalablement bien mentionnées dans le contrat. Les éléments essentiels du contrat doivent être rendus publics aux troupes. Donc, j'ai décidé qu'on n’enverra plus jamais un policier en service privé sans un contrat préalable. Aussi on ne paiera plus à un individu (un policier) mais à l'institution policière. Mieux, j'ai exigé qu'il n'y ait plus de prélèvement pour le fonctionnement des services de police, car l'Etat le fait déjà. J'ai également demandé à ce que la loi de 1979 soit revisitée, amendée et envoyée en Conseil des ministres pour adoption. Si toutefois elle venait à être adoptée par l'exécutif, la nouvelle façon de faire sera mise en œuvre immédiatement. Et même ces réformes ne donnent pas raison à ceux qui croient qu'ils doivent être payés autrement. Ce sera un désintéressement de tous les éléments sans exception, parce que le policier qui régule la circulation au carrefour et celui qui est posté devant une banque ou une maison d'assurance sont tous au service de l'Etat. De ce fait, si désintéressement il y a, chacun doit avoir sa part. Le commissariat est créé et doté du nécessaire. Même si cela est insuffisant, il y a une dotation. Les services payés sont tout juste des commodités. Mais, leur gestion étant remise en cause, l’idéal serait de s’en abstenir. J’ai donc demandé l’arrêt de toute ponction de quelque nature que ce soit.
En attendant, nous avons décidé de mettre en place une commission qui sera chargée de plancher sur le travail que nous avons déjà abattu et de revisiter également certains aspects de ce décret de 1979. La nouvelle manière de procéder sera connue, une fois le nouveau décret adopté en Conseil des ministres.
La suspension des prélèvements est donc simplement une mesure conservatoire. Les arguments de «fonctionnement» ou d’événements sociaux comme les baptêmes ou les mariages ne tiennent plus la route. Malgré de tels justificatifs, il y a des gorges chaudes. Le partage sera désormais équitable. Le Conseil des ministres peut, toutefois, décider autre chose. Parce que vous êtes posté au rond-point pour réguler la circulation ou envoyé pour assurer la garde devant une institution bancaire, vous percevez tous les deux un salaire à la fin du mois. Le service payé revient normalement donc à la «maison mère» qui va décider de quelle manière intéresser les uns et les autres. Certaines personnes ont, par contre, souhaité que la «manne» soit exclusivement répartie entre ceux-là qui vont sur le terrain. Quid de l’agent qui passe la journée entière au commissariat à établir les procès-verbaux ? Il accomplit de son côté une tâche tout aussi importante.
Par exemple, les journalistes de la rédaction ne constituent pas à eux seuls la cheville ouvrière des Editions Sidwaya. Il y a aussi tout un monde autour qui participe au fonctionnement de la maison. Si vous bouffez donc seuls, les gens vous règleront les comptes.
Dans un souci d’équité, nous devons plutôt faire en sorte que chacun reçoive sa part. En dépit de cette bonne disposition d’esprit, nous nous heurtons à de l’opposition. Le fusil qui sert à protéger la banque appartient-il à l’agent ou à l’Etat ? C’est bien sûr le matériel de l’Etat. Ce n’est aucunement le bien du policier !
Vous, journalistes, utilisez certainement vos propres stylos. Après le travail, vous pouvez en disposer comme bon vous semble. Voilà toute la différence. Qu’à cela ne tienne, si l’on décide de reverser au trésor public une partie de l’argent des services payés et encourager les agents avec le reste, moi je n’y vois pas d’inconvénient. Nous travaillons en ce moment sur cette question. Regardez par exemple le fonds commun qui fait des gorges chaudes. Le fonds commun est en train de tuer le Burkina Faso. 34 milliards F CFA pour une population qui est incluse dans les près de 160 000 fonctionnaires de notre pays. J’ai été fonctionnaire pendant 33 ans avant d’aller à la retraite. Je ne pense pas que j’ai démérité. Aucun travailleur de l’Etat ne démérite d’ailleurs. Dans mon ministère de tutelle, il n’a jamais été question d’un quelconque fonds commun. Je crois qu’il ne faut pas pousser le bouchon loin. Ponctionner 34 milliards de nos francs du trésor public au profit d’une infime minorité, est-ce juste ? Non content de cela, on va plus loin pour réclamer une augmentation de ce montant. Nous travaillons simplement à nous faire peur. Mais, au final, c’est notre pays qui paiera les pots cassés.

S : Pourquoi ne pas supprimer simplement ce fameux fonds commun ?
S.C. : Nous sommes tous des citoyennes et citoyens de ce pays. Il incombe donc à chacun de nous de réagir. La dernière grève du syndicat des agents du Trésor public, comme vous le savez, a été préjudiciable à plus d’un. Des opérateurs économiques n’ont pas pu effectuer leurs voyages d’affaires, faute de passeport. Il est, en effet, impossible de vous établir ce document, si vous ne présentez pas la quittance du trésor prouvant que vous vous êtes acquittés des frais qui s’élèvent à 50 000 FCFA.
L’agent du Trésor refusant de venir, nul n’est également habilité à faire son travail. Un homme d’affaires est venu me faire part de son inquiétude, à la suite de l’impossibilité pour lui d’obtenir un passeport valide. Je comprenais parfaitement sa situation, mais que faire ?
Voilà comment l’on détruit une économie. C’est révoltant. Honnêtement, qui perd ? C’est la nation tout entière. Ceux qui sont au Trésor et qui veulent faire la grève, qu’ils la fassent. Le droit de grève est reconnu. De l’autre côté, il ne faut pas non plus exercer des violences sur un agent qui se rend au Trésor pour déposer des dossiers, comme cela a été le cas récemment. Ce n’est pas normal. Ce type d’agissements ne devrait pas avoir lieu. Nous voulons également voir les hommes et femmes de médias dénoncer ces dérives. Ayez le courage d’écrire.

S. : Pour revenir à la question des services payés, les policiers radiés affirment avoir décrié, à l’époque, la gestion opaque de l’argent généré par lesdits services …
S.C. : Non, je n’entre pas dedans. Je n’étais pas là, je n’ai rien vu. Heureusement que nous sommes dans un Etat de droit. Si j’estime avoir été injustement licencié, je m’adresse à la justice. Je ne souhaite pas discuter de cette question. J’ai eu l’obligeance de recevoir à trois reprises les policiers radiés. C’est moi qui leur ai même conseillé de s’adresser au Haut conseil pour la réconciliation et l'unité nationale (HCRUN) ou au Médiateur du Faso. Parce que, je ne vois pas ce que je peux faire à mon niveau. Pour prouver ma bonne foi, je me suis même proposé d’écrire une lettre de recommandation pour ceux-là qui en avaient besoin pour postuler à un autre emploi.

S. : Leur réintégration dans leur corps d’origine n’est donc pas à l’ordre du jour ?
S.C. : Même si l’administration est une continuité, ce n’est pas à moi de les réintégrer. Leur radiation est l’aboutissement de toute une procédure. Et si l’on doit récuser cette procédure, il faut le faire auprès des juridictions compétentes. Point barre. Ce n’est pas à Simon Compaoré de décider de quoi que ce soit.

S. : A quand une enquête du côté de la gendarmerie qui assure également le service payé à travers les escortes du personnel et du matériel des sociétés minières ?
S.C. : Le travail qui a été fait concerne l’ensemble des services payés à la police. Cela fait suite à de nombreuses plaintes que nous avons enregistrées. Ce qui n’est pas jusqu’ici le cas de la gendarmerie. Mais, ce genre de problèmes étant parfois imprévisible, nous avons décidé d’associer la police et la gendarmerie dans la relecture du texte. La gendarmerie est donc prise en compte dans le décret qui va être bientôt soumis en Conseil des ministres.

S. : Les éléments de la police affirment acheter eux-mêmes les tenues qu’ils portent. Est-ce que vous confirmez cela ?
S.C. : Je n’entre pas dans ce débat-là. Je suis un homme responsable. Je vais donc me comporter comme tel. Je suis le seul interlocuteur des policiers. S’ils ont un problème, ils viendront voir leur hiérarchie. Point barre.

S. : Pour en venir à la question du terrorisme, quel est l’état des lieux de l’insécurité dans le Nord du pays, notamment la situation à l’heure actuelle ?
S.C. : La question du terrorisme comme je l’ai dit d’entrée de jeu est une préoccupation mondiale. Le cas du récent attentat survenu dans la grande ville de Manchester (Angleterre) en est une parfaite illustration. Qui l’eut cru ? S’il s’était agi d’une ville africaine, on aurait vite fait de crier au laxisme. C’est cette complexité de la notion de terrorisme, aujourd’hui, qui fait qu’aucun pays, y compris les Etats-Unis, ne peut dire qu’il peut anticiper sur les agissements des terroristes. Ce sont des individus qui ont une capacité insoupçonnée de se métamorphoser et de passer sous diverses couvertures pour agir. C’est pour cela que l’on dit que ce n’est pas une guerre conventionnelle. Et c’est cette donne qui complique la situation. Toutefois, il y a aujourd’hui de l’accalmie. Et cette accalmie n’est pas tombée d’elle-même, mais c’est eu égard à un certain nombre d’actes qui ont été posés. Il y a eu, en effet, tour à tour, un déploiement des forces de défense et de sécurité et notamment à Djibo qui se trouvait être l’épicentre des actions terroristes dans la province du Soum. Ce moment de répit s’explique par plusieurs facteurs, parmi lesquels un renforcement des forces de défense et de sécurité, une multiplication des opérations motorisées, véhiculées et des opérations d’envergure sous-régionale qui ont impliqué nos forces de défense et de sécurité, celles du Mali et la force Barkhane. La concentration des opérations dans la zone concernée a donné lieu à des neutralisations et des arrestations. Ce sont toutes ces actions conjuguées qui ont permis cette accalmie jusqu’à la nuit du samedi 27 mai dernier à Djibo où un policier à la retraite a été abattu à son domicile et sa femme blessée par deux individus armés non identifiés. Je n’ai pas tous les éléments à ma disposition, mais je pense qu’il y a des complicités. Parce que la victime était bien connue et bien intégrée. Tout porte à croire qu’il y a des connexions et c’est cela qui complique davantage la lutte. Que dire quand dans une concession donnée, il y a des personnes peu recommandables. Je ne veux pas dire que c’est forcément le cas. Mais, dans certaines situations, des individus sont connectés à d’autres qui agissent sur le terrain. Que faire en de pareilles circonstances ? Ou encore quelqu’un qui entend le bruit d’un véhicule et sort de sa maison pour regarder ce qui se passe. La patrouille est loin de s’imaginer que cette personne d’apparence banale est un informateur. Or, il observe, puis rentre pour passer un coup de fil de l’autre côté. Et ce sont des Burkinabè vivant dans les cours comme tout le monde, qui agissent ainsi. C’est extrêmement compliqué. Vous êtes étranger, on vous débarque là-bas. Comment pouvez-vous savoir ? Vous entrez dans une cour et trouvez une famille normale. Or, il s’y trouve de mauvaises personnes. Une chose est sûre, nos éléments sur place font du bon boulot parce qu’ils patrouillent dans le sable, dans des endroits qu’ils ne connaissent pas. Ils se font aider par des GPS. Il s’agit, en effet, d’endroits où l’on peut facilement perdre son chemin. Dans l’ensemble, il y a une sorte d’accalmie, mais nous restons sur le pied de guerre, notamment en cette période de jeûne. Des choses peuvent se concocter et nous disposons d’informations là-dessus. C’est cela aussi qui aide à faire de l’anticipation. Dans l’un ou l’autre cas, nous pouvons dire que jusque-là, Dieu nous a aidés à limiter les dégâts. Et avec son assistance, nous allons monter en puissance avec toutes les initiatives qui sont en train d’être prises. Mais il faut dire que l’un de nos points faibles, c’est vraiment le vecteur aérien. Or, comme partout ailleurs, il est nécessaire de travailler sur le plan terrestre et aérien.

S. : L’achat d’avions est-il envisagé, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme?
S.C. : Tout est envisagé, sauf que l’acquisition d’un avion n’est pas à notre portée. Je peux vivre cent ans et porter chaque jour un costume de luxe que je ne parviendrai jamais à épuiser l’argent d’un seul avion. C’est pour vous dire que ce sont des engins qui coûtent extrêmement cher. Il s’agit de plusieurs centaines de milliards de nos francs. Et après l’acquisition de l’avion, il faut l’équiper pour le rendre efficace. Nos autorités réfléchissent continuellement à la question. Dieu voulant, elles finiront par trouver une solution. On n’acquiert pas ce type d’appareil sur un simple claquement de doigts.
Tout le monde sait que la route est bonne quand elle est bitumée, parce que il y a moins de poussière. Mais, c’est parce qu’il n’y a pas de ressources financières que certaines voies ne sont toujours pas bitumées dans nos quartiers. Sinon, nul n’ignore qu’une route goudronnée améliore la qualité de la vie. Malheureusement, certaines personnes n’en ont cure. Et on nous sert la rengaine du genre «c’est vous qui êtes au pouvoir, si vous êtes incapables, il faut démissionner ! ». Ce n’est pas une attitude juste. Les priorités sont sur nos doigts. Il y a des Burkinabè qui ont besoin d’eau. Si tu ne leur en donnes pas, ils vont mourir ; des gens ont besoin de santé, si on ne fait pas le nécessaire, ils vont mourir. La question de l’éducation de nos enfants se pose également avec acuité. S’ils ne vont pas à l’école, notre nation s’éteindra. Aucune nation ne s’est développée sans une véritable éducation. En fin de compte, tout est prioritaire.
Je dois cependant admettre que la question du terrorisme dans notre pays mérite que les forces de défense et de sécurité restent sur le qui-vive. Il n’y a pas à débrayer. Si vous débrayez, vous allez être surpris. Et la surprise peut être extrêmement grande. Les dégâts peuvent être immenses. C’est pour cela que nous continuons les patrouilles. Nous sommes accompagnés par l’Union européenne, les Etats-Unis, la France et d’autres partenaires. Les forces anti-terroristes de la gendarmerie et de la police ont été dotées récemment de quatre véhicules tout-terrain. Comme je l’ai dit, nous sommes en train de monter petit à petit en puissance. Nous avons également créé des brigades Anti-banditisme et terrorisme (ABT). Ce sont des unités intermédiaires qui dépendent de nos forces spéciales. S’il y a une attaque, celles-ci sont chargées d’intervenir avant l’arrivée des forces spécialisées. La tâche leur revient également de sécuriser les points sensibles en temps normal. Nous ne faisons tout simplement pas de boucan sur nos actions. D’ailleurs en la matière, il n’est pas recommandé de crier sur tous les toits la moindre action, mais de travailler dans la discrétion avec l’aide de Dieu. Voilà ce que je peux dire. Mais les opérations ont tout de même porté leurs fruits. L’efficacité de nos opérations parle d’elle-même. C’est pourquoi les actions des terroristes tendent aujourd’hui à rétablir leur capacité de nuisance en s’adonnant à des enlèvements de véhicules. Ils veulent reconstituer leur capacité de mobilité qui a été en partie détruite.

S. : Que devient le docteur Elliot ?
S.C. : Si je le savais vous l’auriez su. Nous vous aurions appelé pour vous donner l’information. Retenez seulement qu’on continue de le chercher.

S. : Ces derniers temps, la presse a fait cas de violences dans le Sanguié et tout dernièrement à Ouagadougou avec l’affaire de l’artiste-musicienne Adja Divine. Qu’est-ce cela vous inspire comme commentaire ?
S.C. : Le cas du Sanguié a été largement évoqué. Je ne souhaite donc pas revenir là-dessus. Le maximum a été dit sur cette affaire. En ce qui concerne la seconde, je vais commencer par regretter ce qui s’est passé il y a une semaine avec madame Adja Divine. Notre position est claire. Pour quelque raison que ce soit, elle ne devait pas subir ce qu’elle a vécu. Ce n’est pas normal et dans un Etat de droit, c’est inacceptable. Et nous devons tous condamner cet acte. Aujourd’hui, il y a une frange de la population qui est plutôt prompte à se rendre justice. Nous devons au contraire changer de fusil d’épaule. Parce qu’un jour, l’irréparable peut se produire. Heureusement que sa vie a été épargnée. Nous rendons grâce à Dieu pour cela. Il est donc nécessaire que nous redoublions d’effort pour que dans les mosquées, dans les églises, dans les temples, dans les cours royales, nous puissions continuer à distiller la bonne information, l’information de sensibilisation pour que la vie humaine soit respectée dans notre pays. Nous devons nous abstenir de certains actes qui dégradent l’image de notre nation. Je condamne, donc, sans réserve ce qui s’est passé. Ceci étant, c’est aussi l’occasion de dire à tout le monde que qui que tu sois, quel que soit ton rang dans la société, il faut respecter les règles de la République. Je suis sûr que si la dame n’avait pas tenté d’esquiver la police et qu’elle avait obtempéré aux injonctions, on aurait pu éviter ce qui est advenu. Quand vous voyez un policier tendre sa main, même si on n’a pas été à l’école, on comprend son message. Cette dame parle bien le français. Ce qui signifie qu’elle a été à l’école. Elle sait donc que quand un policier vous ordonne de vous arrêter, vous devez vous exécuter. Vous pouvez être en faute. Mais, je préfère être en faute et garder l’intégrité de mon corps que de subir la furie d’une foule. Elle a été défigurée. Cela va laisser des traces sur elle et pour une femme, ce n’est pas bien à voir. Ce matin, nous étions arrêtés au feu rouge, quand un homme et une femme ont royalement ignoré l’arrêt pour poursuivre leur chemin. Ce n’est pas normal. Ils vont se faire renverser, et puis après les gens vont dire qu’on les a cognés. Vous êtes pressés pour aller où ? Pour aller à la morgue, au cimetière ? C’est pour cela que les journalistes ont un rôle important à jouer. A la suite de l’affaire Adja Divine, certains de vos confrères ont pris une position correcte, sans aucun parti pris. D’autres ont dénoncé les faits mais à moitié. Ce qui n’est pas normal. Quel que soit ton âge, si tu veux circuler à Ouagadougou sans respecter les feux tricolores, tu l’apprendras à tes dépens. Pire, tu peux perdre la vie. Même si on est étranger dans un pays, il faut regarder comment les gens se déplacent. Si les gens marchent sur la tête, fais-en autant. Cet événement est regrettable. Nous avons produit un communiqué quelque temps après l’incident. Nous souhaitons simplement qu’on se mette ensemble pour continuer à sensibiliser les gens. Nous avons demandé aussi à la police de respecter les populations. Il faut veiller à s’adresser aux usagers de manière polie. Au regard de leur noble mission, nous devons également avoir des égards pour les policiers. Ce sont aussi nos frères et sœurs, nos voisins de quartier. Bref, ils sont des membres à part entière de notre société. Ils ont besoin de respect pour sentir qu’ils font aussi œuvre utile. En somme, ma position est claire. Je condamne et je désapprouve le fait que la femme ait voulu fuir. Elle a dit qu’elle n’était pas en règle. On est venu me montrer ses papiers. Ses papiers sont en règle. Le directeur général de la police m’a montré les papiers. Il y a de la cacophonie, des contradictions dans l’histoire de la bonne dame. Si on a ses papiers en règle et puis on vous arrête, il faut obéir et demander gentiment à l’agent la raison de son interpellation.

S. : Sur le sujet, est-ce qu’il y a les prémices des résultats de l’enquête ?
S.C. : L’affaire est en justice et elle a saisi qui de droit pour faire l’enquête. Dès lors, il ne faut pas entraver le cours de la justice. Quelqu’un a porté plainte. Le procureur s’en est saisi. Il a désigné un Officier de police judiciaire (OPJ) pour traiter l’affaire. Il faut donc attendre. Je ne peux rien dire de plus. J’ai simplement appelé ceux qui étaient sur la voie publique pour qu’ils me fassent le point et me disent ce qui s’est passé. Je leur ai donné des conseils, je les ai encouragés. Le reste est entre les mains de la justice.

S. : En votre qualité de ministre de la Sécurité, qu’est-ce qui, selon vous, peut être fait pour mettre un terme à ces violences dans notre pays?
S.C. : Ce sont des phénomènes de société. Qui dit phénomène de société dit lutte de longue haleine. Si cela était une tâche aisée, les choses auraient changé depuis belle lurette. Mais ce sont des phénomènes qui naissent aussi avec le développement de la société. Lorsque nous étions enfants, nous avions peur des policiers. Quand on les apercevait dans leur tenue ou dans leur véhicule qu’on appelait le «sans-payer», nous fuyions à toutes jambes. Ce qui n’est pas le cas des enfants d’aujourd’hui. Ils iront même jusqu’à essayer de toucher la matraque de l’agent. Les individus ont changé. Pour ce faire, nous devons plaider pour une conjugaison des contributions des différents compartiments de la société. C’est pour cela que j’ai parlé des coutumiers, des religieux. Parce que chaque jour à l’église, au temple ou à la mosquée, les leaders religieux profitent des prêches pour sensibiliser ceux qui brûlent les feux. De temps en temps, ils en parlent dans les lieux de culte. Les journalistes ont également un rôle à jouer. Pour leur part, les gouvernants doivent multiplier les actions de sensibilisation. Nous sommes tous appelés à apporter notre pierre dans l’éradication de ce phénomène. Je ne désespère pas. Le dimanche dernier, j’étais à Bobo-Dioulasso où des jeunes se sont organisés pour appuyer les activités des collectivités. Ils ont réussi à faire venir de nombreuses personnalités à leur rencontre. Des conférences de très belle facture ont été animées. J’ai dû les rejoindre pour les féliciter de vive voix pour cette initiative. Les échanges sur la sécurité, le terrorisme et les attaques ont été fort enrichissants. Que faut-il faire en cas d’attaque? Que peut-on faire pour minimiser leur impact ? Ils en ont beaucoup discuté et cela a intéressé les nombreux jeunes présents (militaires, gendarmes, policiers, pompiers, collégiens, étudiants, jeunes du secteur informel, etc.). Je me suis dit qu’il faut qu’on accompagne ces jeunes dans leur noble initiative. Notre pays doit revenir sur les rails par rapport à la question du civisme. Mais, l’espoir est permis avec la jeunesse. Des jeunes conscients ont décidé de changer les choses. Nous ne devons donc pas perdre courage. Si nous parvenons à multiplier de telles initiatives avec la société civile, nous allons tempérer autant que faire se peut cette ambiance délétère.
Même quelqu’un qui a son enfant qui déconne à l’école, c’est l’Etat. Les gens fuient leur responsabilité. A la maison, ils sont incapables de tirer l’oreille de l’enfant. On dit qu’on a interdit cela. Non, pas avec moi. Ne pas taper les enfants, c’est à un certain degré. Mais s’il est en train de pisser dans la farine, on doit taper son zizi pour qu’il sache que c’est interdit. C’est notre société qui le veut. Cela n’est pas de la maltraitance, c’est de la correction. Mais tu refuses de corriger ton enfant et il déconne à l’école et tu incrimines l’Etat. Qu’est-ce que le gouvernement a à voir dans cela ? C’est toi qui n’as pas assumé ta responsabilité. Parce que l’éducation des enfants commence d’abord par là où ils vivent, où ils sont nés. Mais s’il y a une démission de certains parents, cela pose problème.

S. : L’autre fait de l’actualité, ce sont les grèves à répétition dans pratiquement tous les secteurs. Pourquoi c’est avec le pouvoir du MPP que nous vivons cette situation ?
S.C. : Attention ! Comme vous êtes très intelligents et que vous lisez beaucoup, vous avez de l’inspiration. Moi, je vais vous laissez découvrir cela. Il y a grève et grève. La grève qui est suffisamment objective cherche à améliorer le sort des gens. Ce type de grève est reconnu et va toujours exister. Il n’y a pas de pays où il n’y a pas de grève. Mais on ne voit pas ce type de grève que nous sommes en train de constater aujourd’hui. Il y a certaines grèves où les animateurs disent qu’ils vont emmerder le gouvernement, qu’ils ne vont pas laisser le gouvernement travailler bien qu’il ait reçu les promesses de ses partenaires. On sait que quand vous perdez un, deux, trois mois, vous finissez par perdre l’année. Si on ajoute à cela les procédures extrêmement accablantes, l’année est perdue. Des gens ont dit qu’ils vont faire pour qu’on passe le temps à geler tout puisqu’il nous reste tout au plus deux ans et demi. Puis la dernière année sera celle de la bataille et la moisson sera maigre. Vous avez l’argent mais vous n’allez pas pouvoir le dépenser pour faire des forages, des routes et tout cela. Donc on décide de faire le blocage. Comment peut-on demander à l’Etat de prendre une partie de ses recettes pour partager à une clique de fonctionnaires ? Vous, vous êtes mal barrés parce que vous ne travaillez pas dans un service du ministère des Finances. Dans ces 34 milliards de F CFA, vous ne verrez que du feu. Pourtant, ceux qui vont en bénéficier sont aussi des fonctionnaires comme vous. Non, chacun est important à son niveau. En Europe, les gens ont atteint un niveau de développement qui leur permet, à la moindre occasion, d’aller en grève. Pour le moindre problème ici, c’est la grève. Regardez ceux qui sont au niveau des péages. On ne sait pas comment ils ont été recrutés. Et ces gens décident d’aller en grève, réclament un plan de carrière. Qu’ils veulent devenir ceci, cela. Des gens à qui on a dit de venir couper les tickets pour avoir la pitance de tous les jours et qui se lèvent pour demander un plan de carrière. Je considère ces agissements comme des dérapages complets. Mais l’Etat va prendre ses responsabilités. Je partais à Saponé pour voir comment se passent les élections. J’arrive au péage et l’agent me dit qu’il n’a pas de ticket. J’étais sidéré et il s’en réjouissait. Des gens qui refusent d’apporter des tickets pour qu’on collecte l’argent, que cherchent-ils ? Même si vous n’aimez pas Roch, l’argent qu’on perd ne va pas dans sa poche mais dans le trésor. C’est cet argent qu’on utilise aussi en partie pour mettre en œuvre l’ensemble des projets qui profitent à la population. Pour me résumer, le droit de grève est reconnu. Les grands penseurs qui avaient commencé leurs luttes au début du siècle avaient dit que la grève est l’arme ultime qui doit être utilisée lorsqu’on a tout épuisé. Mais à force de l’utiliser à profusion, cela ne cadre plus avec la défense des intérêts. Cela devient un moyen pour nuire à un système. Cela est mauvais parce qu’elle nuit à tout un peuple. Regardez le nombre de jours que les agents du Trésor ont pris pour leur grève. Tout le monde est fâché, les entrepreneurs sont très remontés. S’il y a quelque chose au moins qui peut faire l’unanimité, c’est cette grève qui est impopulaire. On n’a pas diminué leur salaire ni leurs indemnités, c’est encore du beurre sur du beurre. Cela donne l’embonpoint. Oui, la grève, c’est un droit constitutionnel qu’il faut respecter mais les grèves sauvages ou politiques, il faut s’en démarquer parce qu’on n’avancera pas.

S. : Est-ce que ce n’est pas parce qu’aussi le gouvernement a accédé aux revendications des magistrats que cela a amené le désordre que vous évoquez ?
S.C. : A supposé que c’est une erreur d’avoir cédé, est-ce normal qu’on continue éternellement ? On va finir par creuser même notre propre tombe. Alors à propos des magistrats, j’étais directeur de cabinet de Blaise Compaoré quand il était ministre de la Justice sous la Révolution. Je connais un peu l’esprit et les changements qui se sont opérés. Si la justice se bloquait, on allait dire que cela a été fait exprès ! Vous pensez que ces gars-là vont accepter lever le pied pour qu’on sorte leur dossier ? Je dis que si quelqu’un a un dossier, qu’il le sorte. Je vois des petits malins qui parlent encore de l’hôtel de ville. J’ai fini avec cela. J’avais dit s’il y a des gens qui se constituaient partie civile et qui demandent qu’on juge Simon, j’ai écrit noir sur blanc qu’ils étaient libres de le faire. Et s’il y a quelque chose qui indique qu’il a fait du « fonfonfon » (Ndlr : des malversations), je demande à être traduit devant une juridiction. C’était en conférence publique. Je le répète, si les gens ont des choses, qu’ils les sortent.
Je dis simplement qu’il y a de l’abus dans les grèves. Basta ! ça suffit comme disent les Italiens.

S.: Mais qui doit dire cela ? D’autant plus que c’est vous qui avez le pouvoir. Les gens vous regardent !
S.C. : C’est parce qu’on ne parle pas. On a besoin que vous aussi vous parliez parce que ce qui se passe impacte négativement nos vies à tous.

S. : On en parle. L’éditorial du DG la semaine dernière portait sur cela !
S.C. : Mais quand tu vas dans le marché ou dans ton quartier, il faut mener aussi le débat à ce niveau. Vous voyez, c’est l’être humain qui veut cela. Quand c’est le gouvernement, on donne un coup de poing. Donner des coups en dessous de la ceinture, c’est irrégulier et déloyal. Quand les gens le font, vous devez en tant que citoyen opiner et dire non pour la question des fonds communs. Il y a lieu qu’il y ait une réflexion. Nous l’avons dit, le gouvernement l’a dit, il y aura une séance de cataclysme pour poser tout ce qui est comme problèmes indemnitaires et fonds commun au Burkina Faso. On ne peut pas continuer comme cela. Un Etat qui passe son temps à prendre le maximum de ce qu’il gagne pour ne faire que du fonctionnement. Je suis économiste, s’il n’y a pas d’investissement, c’est la mort. C’est l’investissement qui crée la richesse. On ne peut créer la richesse sans investissement. Mais qui paye les impôts ? Ce sont ceux qui produisent qui le font. Et vous voyez que l’armature de notre budget est essentiellement tournée vers la fiscalité. Donc quel que soit celui qui sera au pouvoir, si les gens ne sont pas sérieux, le pays court à sa catastrophe. Ceux qui nous viennent en aide vont à un moment donné baisser les bras. Pour la route, par exemple, on nous a dit qu’on va nous aider à bitumer certaines de nos voies et cela a déjà été dit à l’Assemblée. Mais il y a des conditions. Il faut que l’argent du péage entre dans le fonds routier. Si cela n’est pas respecté, les partenaires techniques et financiers peuvent mettre fin à leurs engagements. Et c’est pendant ce temps que certains exigent des plans de carrière. Nous devons nous mettre au sérieux. Si le gouvernement veut faire des choses injustes à propos des grèves normales, il faut élever la voix parce que c’est une entrave à ce droit prévu par la Constitution. Mais ceux qui veulent que tout se ramène à eux, il faut les dénoncer, de même que ceux qui agissent pour des raisons politiques. Si tu as échoué aux urnes, tu peux patienter et attendre 2020. Ce n’est pas loin et peut-être que la chance te sourira. Je ne demande pas à être. Je ne réclame qu’une seule chose, qu’on apprécie objectivement ce que je fais. Si je fais des choses qui ne sont pas justes, qu’on le souligne. Mais il y a des gens qui dépeignent tout en noir. C’est cela qui n’est pas bon. Même à ton adversaire, tu peux lui reconnaître ses mérites.

S. : Etes-vous pour ou contre les réformes sur la grève envisagées par l’Assemblée nationale?
S.C. : Je n’ai pas lu tous les aspects mais je suis pour les dispositions qui confortent le droit constitutionnel et qui éliminent tout ce qui peut appauvrir ce droit. Mais, il faut que je voie les différents points qui sont abordés dans ce texte. Je ne connais pas tout le contenu mais je crois qu’il est bien qu’on renforce tout ce qui est bien, et qu’on expurge ce qui est mauvais. Je prends un exemple parmi tant d’autres. Je trouve que le droit, il faut le voir dans sa compréhension la plus large. Le droit de grève est constitutionnel mais il sous-entend aussi le droit de ne pas grever. Si je veux aller en grève, c’est mon droit mais je ne dois pas obliger mon voisin à y aller aussi. Ce qui se fait actuellement dans les services n’est pas correct. La violence qu’on exerce actuellement dans nos services n’est pas de la démocratie. Vous pouvez les conscientiser et les inviter à aller de leur propre chef en grève. Mais d’autres font le choix de venir au travail, vous n’avez pas à les empêcher. Il faut que les textes soient clairs à ce niveau. Si la loi va prendre en compte ce genre de situation, je suis parfaitement d’accord. Dans un bureau, tout le matériel, les dossiers appartiennent à l’Etat. En cas de grève, on ne doit pas empêcher que les dossiers ne sortent. Faire cela, ce serait une prise en otage. Ou aussi je suis un médecin, je ferme tout et les empêche même ceux qui viennent pour le service minimum de faire leur travail. Etes-vous d’accord que cela se passe de la sorte ? Ce n’est pas normal. Et pour cela, il faut mettre un bémol pour que l’exercice de ce droit n’aille à vau-l’eau. Si c’est de cette façon que l’Assemblée nationale voit la chose, je suis d’accord. Autrement, personne ne peut vouloir qu’on supprime le droit de grève. Je ne pense pas que cela puisse être possible. Les textes sont faits pour être respectés.

S. : A l’international, la Côte d’Ivoire se fait encore entendre à travers ses mutineries qui ne finissent pas. Est-ce que selon vous, les mutins avaient raison de sortir et réclamer ce qui leur avait été promis ?
S.C. : Il ne m’appartient pas de critiquer ce qui se passe dans un autre pays. Nous souhaitons tout simplement qu’il y ait toujours la paix en Côte d’Ivoire parce que ce pays et le nôtre sont condamnés à vivre ensemble. L’histoire et la géographie nous convainquent de cette réalité. Et si un malheur arrive à l’un des deux pays, les conséquences sont immédiates chez l’autre. C’est pourquoi nous souhaitons que la Côte d’Ivoire qui a été remise sur les rails et qui est en train de faire des chevauchées fantastiques puisse continuer pour le grand bonheur du peuple ivoirien mais aussi pour celui burkinabè. Et on peut souhaiter que les soubresauts que nous avons vus ces derniers temps s’apaisent très rapidement. C’est un souhait que nous émettons et nous espérons qu’il plaise à Dieu d’aider le peuple ivoirien et les autorités ivoiriennes de continuer à gérer avec beaucoup de bonheur les affaires de la cité pour que nous puissions aussi en bénéficier.

S. : Quel est aujourd’hui l’état de la coopération entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso ? Surtout en matière de sécurité.
S.C. : Honnêtement à ce niveau, je suis à l’aise pour évoquer le sujet. D’ailleurs, je remercie mon collègue Ahmed Bakayoko avec qui nous avons de très bons rapports. Nous nous téléphonons et je dois dire que la Côte d’Ivoire nous a fait du bien. Il y a des gens qui ont intenté à la sécurité du Burkina Faso et à deux reprises, la Côte d’Ivoire a fait ce qu’elle devait faire. Les plus hautes autorités ont rendu hommage au président Alassane Ouattara et à l’ensemble du gouvernement pour ce geste de fraternité. On nous a envoyé des gens qui étaient venus attaquer Yimdi et semer des troubles. Ces gens sont aujourd’hui en prison ici et ils vont être jugés. Cela a été possible grâce aux bonnes relations que nous avons. Le président Kaboré a bien noté cela et c’est ce qui a valu aussi le déplacement massif du gouvernement pour la dernière rencontre du TAC (Ndlr : Traité d’amitié et de coopération), qui s’est tenue à Yamoussokro. Vous avez été témoins que cela s’est très bien passé et que nos populations vivant là-bas se sont mobilisées pour l’évènement. Il n’y a pas de nuages entre nous. Nous souhaitons simplement que tous les projets qui sont inscrits dans le TAC, que ce soit l’autoroute ou l’oléoduc, puissent se faire pour le plus grand bonheur des populations de notre pays. En tout cas, à ma connaissance, jusqu’à l’heure où je vous parle, je suis en droit de féliciter la bonne volonté de nos deux chefs d’Etat, de nos deux gouvernements et des populations qui essaient autant que faire se peut pour que ces rapports se bonifient et profitent à tous.

S.: La France aussi a un nouveau président du nom de Emmanuel Macron. Qu’est-ce que l’Afrique peut attendre de lui ?
S.C. : Je ne suis qu’un citoyen burkinabè. Je ne gère pas un pays et donc j’ai nécessairement une vision limitée de certains aspects de la question. Mais je veux juste souligner que quel que soit le président qui va venir, nous autres Africains devons rester nous-mêmes. Rester nous-mêmes parce que notre propre avenir dépend de nous d’abord. C’est comme on le disait sous la Révolution, compter d’abord sur ses propres forces. C’est en regardant nos insuffisances, en les corrigeant et en allant ardemment vers des décisions courageuses que nous pouvons sortir la tête hors de l’eau. C’est dans ce sens que nous allons pouvoir nous développer et avoir l’appui des autres. Mais ce n’est pas la couleur de tel ou tel président qui doit nous préoccuper. On n’a pas élu Emmanuel Macron pour diriger le Burkina Faso. Le président du Burkina Faso est Roch. Chacun à son niveau a une mission première et la nôtre, c’est de voir tout ce que nous pouvons faire ici pour faire bouger les lignes au Burkina Faso au bénéfice du plus grand nombre. De l’autre côté, c’est pareil. Maintenant, nous vivons dans un monde interconnecté, la France a besoin de l’Afrique et vice versa. C’est du donner et du recevoir. C’est pourquoi il ne serait jamais juste de dire que nous n’avons rien à offrir. Nous n’avons peut-être pas de l’argent à donner à certains pays qui nous aident, mais nous avons autre chose. Je ne vais pas entrer dans les détails. Je vais simplement souhaiter que la France mérite ce qu’elle a voulu. Les Français ont élu un nouveau président, que ce dernier fasse ce qu’ils attendent de lui. L’essentiel est que nos rapports de coopération puissent se poursuivre dans le respect mutuel des uns des autres.

S. : Comment le ministre Simon Compaoré voit le Burkina Faso en 2020 ?
S.C. : Un Burkina Faso qui respire la forme, qui a confiance en l’avenir, qui n’est pas habité par un pessimisme. Même si on voit que la question sécuritaire continue de meubler l’horizon, que des problèmes de chômage, de développement tout court continuent d’être des combats qui ne sont pas encore gagnés. Mais nous sommes sur la voie, il n’y a pas de quoi se décourager. Comme dirait l’autre, ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent. Et si vous cessez de lutter, vous disparaissez. Quand vous n’avez pas connu des difficultés comme un chef militaire qui disait à ses hommes : « J’ai traversé les eaux, j’ai tout vécu, j’ai souffert, j’avais l’eau au cul mais je n’ai jamais dit non. Aujourd’hui je suis capitaine ». C’est pour dire que quelles que soient les difficultés que vous rencontrez, il faut se dire que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Je suis sûr que si nous sommes restés jusque-là, le bateau a souvent basculé, quelques affaires et quelques bonhommes sont tombés, mais le maximum de l’effectif a pu être sauvé parce que le bateau est revenu à sa position initiale. Ce même Dieu qui a permis que cela soit possible est toujours présent. Et c’est pour cela que j’ai confiance en l’avenir. Que nous ayons la force de continuer. En 2020, je devrais pouvoir dire ceci: Strength for today, hope for tomorrow.

S. : Combien d’heures passez-vous au lit sur 24 heures ?
S.C. : Si je ne suis pas en réunion, je dors à 21 heures 30. Je me réveille à 4heures. Je suis prêt à 4 heures 30. A 5 heures, je suis au bureau. Vous faites le décompte et vous verrez. Mais je vous explique, ce n’est pas des punaises qui me piquent dans le lit. Mon cerveau est réglé ainsi depuis la fin de mes études. Vous ne verrez jamais des piles de documents de plusieurs jours qui demandent à être dégagées sur mon bureau. C’était pareil quand j’étais à la mairie tout comme au ministère de la Justice. Ici, c’est plus délicat car en matière de sécurité, on peut vous apporter des informations extrêmement urgentes qu’il faut consulter immédiatement. Si vous les entassez, le lendemain ou le surlendemain, c’est comme à la presse, l’information est dépassée. C’est pour cela que je dis aux secrétaires de faire entrer systématiquement les documents qui arrivent. Et j’ai raison. Si on vous écrit pour vous informer d’un problème dans une localité et qu’il y a des dispositions à prendre, et que vous ne consultez pas la note, c’est un préjudice que vous causez au pays. Je n’aime pas non plus quand on répond à un usager des services que son dossier est chez le ministre. Personne ne peut entrer chez le ministre parce qu’il n’est pas accessible. Et il est assis derrière les piles de document. J’ai horreur de laisser des dossiers non traités sur mon bureau. Même quand je suis malade, je les amène à la maison pour m’en occuper. Le dimanche après la messe, quand j’ai du travail, je viens au bureau. Ce n’est pas seulement à mon ministère que cette rigueur est observée. J’ai été chez la ministre en charge des Finances (Ndlr : Alizatou Rosine Coulibaly). Ce jour-là, j’ai respecté cette dame. Elle amène des valises où elle met tous les documents qu’elle n’a pas pu traiter pour envoyer à la maison. S’il y a un département qui a plus de dossiers, c’est bien le sien. Même si on ne nous dit pas de venir à telle heure, vous êtes obligé d’adopter un certain comportement si vous espérez atteindre des résultats. Ce n’est pas que je crains qu’on m’enlève d’un poste. Moi, un retraité ! Ma carrière est terminée. Finished, depuis 2012. Il n’y a rien à sauver, rien du tout. C’est vous qui voulez être, des députés, des ministres, des présidents. Pour moi c’est fini. Il y a des gens, même quand ils sont malades, ils ne quittent pas leur bureau, de peur qu’on les enlève. Ce n’est pas mon cas. C’est parce que je ne veux pas être responsable de l’irréparable. Quand vous agissez ainsi, même si votre patron ne vous aime pas, il est obligé de vous respecter. Je ne souhaite pas qu’on me lance des fleurs, mais qu’on reconnaisse que je suis un gros bosseur.

S : Quelles sont alors vos distractions ?
S.C. : Il n’y a pas de distraction. Peut-être suivre les informations à la radio ou à la télévision. Même les films, je ne regarde pas. Il n’y a pas de temps. Et puis, je ne suis plus jeune.

S : Vous avez déjà peut-être entendu qu’il y a un pouvoir à trois têtes au Burkina Faso, Roch, Simon et Salif. Comment se prennent les décisions ?
S.C. : Ecoutez, laissez les gens masturber leur cervelle. Entre nous, nous savons qu’il y a un premier responsable du pays qui s’appelle Roch Marc Christian Kaboré et qui a autorité pour régir l’ensemble des actions qui se mènent dans le cadre de l’Etat de droit. Il jouit de la légitimité, parce qu’élu au suffrage universel direct. Quand des gens racontent des imaginations comme quoi nous nous sommes chamaillés, nous nous sommes rencontrés ici ou là, ça fait rigoler. Nous sommes trois et nous pouvons avoir des points de vue divergents sur un sujet. Mais le Président gère en tant que président. Il n’y a aucun doute. Ce n’est pas pour vous contenter mais je dis la vérité. Si nous avons des choses à nous dire, nous le faisons. Mais personne ne va au-delà de son pouvoir. Et nous devons faire en sorte que son programme se réalise. C’est clair ! Vous avez vu les résultats des élections (Ndlr :municipales partielles et complémentaires du 28 mai ). Pour ceux qui disent que c’est un pouvoir usé, on préfère faire comme les Anglais le disent : less talk, more actions (peu de paroles, plus d’actions) ! Certains chantent que ça ne va pas mais nuitamment, ils nous appellent pour arranger tel ou tel dossier.

S : Que retenez-vous de ces échanges ?
S.C. : C’est un exercice auquel je ne suis pas habitué. Quelquefois, je développe jusqu’à aller dans le décor. On me critique d’ailleurs pour cela. Je vous salue parce que ce sont des exercices qui permettent de connaître les hommes. Vous avez vu par exemple que je ne suis pas le diable personnifié avec des cornes. Je souhaite que des exercices du genre se poursuivent. Que les murs tombent et qu’on apprenne à vivre simplement ensemble. Que Dieu vous trace des sillons pour votre carrière et pour votre avenir. Qu’au soir de votre vie, vous ne regrettiez pas d’avoir choisi ce métier de journaliste. Bon courage à vous et soyez vous-mêmes. Que l’argent ou autres moyens ne vous amènent à opiner contre votre propre conviction. Si vous avez confiance, même si vous n’êtes pas de fervents croyants, Dieu va opérer des miracles dans votre vie pour que vous soyez de grandes personnes. C’est lui qui rétablit les injustices.

La rédaction
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