Dans plusieurs hôpitaux publics, la gestion des déchets biomédicaux constitue un vrai casse-tête chinois. En effet, la chaîne de collecte ne respecte pas toujours les normes, les incinérateurs n’arrivent pas à détruire tous les déchets… Conséquence : ces déchets sont déversés dans la nature avec des risques de pollution de l’environnement et de contamination des populations. Un « séjour » dans les hôpitaux régionaux du Centre-Est, de l’Est et au CHU-YO a permis de dépeindre cette réalité.
Des sachets de couleur jaunâtre entassés. Non loin, des cartons hors d’usage amassés. Près de ce tas d’immondices, une borne-fontaine où des femmes lavent des vêtements, d’autres des plats. A quelque 5 mètres de là, quatre hommes et une femme sont assis sous un arbre. Ils présentent tous des mines de détresse. En dépit de l’odeur nauséabonde des lieux, ils échangent quelques mots. Nous sommes en face de la maisonnette qui abrite l’incinérateur du Centre hospitalier régional (CHR) de Fada N’Gourma.
Un CHR dont l’aire sanitaire couvre environ 1 600 000 habitants. Autre lieu, même insalubrité. Au Centre hospitalier régional de Tenkodogo dans la région du Centre-Est, la situation n’est guère reluisante. Là-bas, juste derrière le bâtiment où est logé l’incinérateur, des restes de boîtes de produits, de perfuseurs, de sachets noirs, jaunes ou bleus contenant des déchets sont entassés.
Difficile d’y respirer. Au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU), le plus grand hôpital du Burkina Faso, l’air est irrespirable à l’approche d’un bassin construit en pierres rouges au fond du centre de santé. C’est là où sont délaissés les déchets biomédicaux. Non loin, se trouvent le service d’hémodialyse et la cuisine de l’hôpital.
Certaines personnes n’hésitent pas à y faire leurs besoins, empestant davantage l’air. Dans ces odeurs pestilentielles, certaines femmes font la lessive, d’autres la vaisselle.
Dans ces trois centres de santé, le constat est amer : les déchets biomédicaux ne sont pas gérés dans les règles de l’art.
Le tri, véritable problème
La gestion des déchets biomédicaux est un processus complexe qui va du tri à la collecte, de l’enlèvement à la destruction. Pour le chef de service d’hygiène au CHR de Fada N’Gourma, Arouna Ouédraogo, plusieurs raisons expliquent la mauvaise gestion des déchets au sein de son établissement sanitaire. «Selon la réglementation internationale, trois types de poubelles permettent d’identifier les types de déchets. La couleur jaune désigne les déchets infectieux, la couleur rouge, les déchets pharmaceutiques et de laboratoire et la couleur noire pour les déchets ménagers», explique le technicien. Cela sous-tend que les aiguilles, les seringues, les piqûres, les perfuseurs… classés dans la catégorie des déchets infectieux, ne doivent pas se mélanger aux sachets d’eau, aux cartons de jus et autres déchets ménagers. Mais, des failles demeurent dans la chaîne de tri, regrette-t-il. Dans le même ordre d’idées, le chef de service d’hygiène et d’assainissement au CHR de Tenkodogo, Sakali Madiéga, par ailleurs technicien d’Etat en génie sanitaire, soutient que certains agents de santé ne respectent pas les règles du tri sélectif. «Des compresses souillées qui se mélangent à des sachets d’eau, des seringues. Ce n’est pas ce qui est conseillé», affirme-t-il. L’intérimaire du chef de service d’hygiène du CHU-YO, technicien d’Etat en génie sanitaire, Abdoul Karim Sanogo, évoque les mêmes difficultés. «Le véritable problème, c’est le tri. C’est ce qui contribue à endommager les incinérateurs. Les bouteilles, les bidons de boisson ne doivent pas être mis dans l’incinérateur. Ils doivent être concassés dans un autre appareil. Mais comme les déchets sont attachés dans des sachets, si vous mettez le sachet dans l’incinérateur, tous les types y passent», insiste-t-il.
Des incinérateurs inappropriés
En sus du problème du tri des déchets, il y a celui des incinérateurs. A Fada N’Gourma comme à Tenkodogo, il ressort que les machines utilisées pour la destruction des déchets ne sont pas adaptées. Dans la cité de Yendabli, le directeur des services généraux et de la logistique, Dramane Zouré, est formel : «L’incinérateur actuel ne supporte plus la quantité de déchets que produit le CHR. Il en faut un autre de grande capacité». A l’en croire, des ruptures en fourniture de carburant pour alimenter l’incinérateur, installé en 2012, sont légion. «L’hôpital paie le carburant pour le groupe électrogène, l’ambulance, le fonctionnement du service. S’il y a un blocage au niveau de la passation des marchés publics, on privilégie le carburant du groupe électrogène. Et l’incinérateur ne fonctionne plus», avoue M. Zouré. Arouna Ouédraogo fait savoir que l’incinérateur consomme entre 5 et 6 litres de gasoil par heure. Pourtant, une seule incinération peut prendre 5 à 6 heures pour détruire les déchets. Cette situation a pour conséquence l’entassement des déchets dans la cour de l’hôpital. Au CHR de Tenkodogo, la situation n’est guère meilleure. Sakali Madiéga trouve que l’incinérateur est trop petit pour un CHR et n’arrive pas à détruire tous les déchets. «L’incinérateur est de faible quantité. Il peut contenir 3,5 à 7,5 Kg de déchets. Alors qu’il y a des moments (juillet à novembre) où nous avons une forte production de déchets», soutient M. Madiéga. Même s’il évoque moins la dotation en carburant, il se plaint des délestages qui ne permettent pas une meilleure destruction des déchets. Aussi ajoute-t-il, le centre de santé n’a pas de local de stockage de déchets biomédicaux ni de fosse à cendre. «La réglementation dit que le déchet ne doit pas être déposé à l’air libre pendant plus de 72 heures. Alors que la capacité de l’incinérateur est faible. Qu’est-ce qu’on fait dans ce cas ?», lance Sakali Madiéga, désespéré.
Pas d’incinérateur à Yalgado
Si à Tenkodogo et Fada N’Gourma les incinérateurs sont des problèmes dans la gestion des déchets biomédicaux, au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo, il n’y a plus d’incinérateur depuis 2013. «Il est tombé en panne et depuis lors, les déchets sont stockés au sein de l’hôpital pour être enlevés par un prestataire privé», confie Abdoul Karim Sanogo. Le prestataire privé les convoie dans un petit village à une douzaine de kilomètres de la capitale pour les détruire de façon artisanale. «L’incinérateur de Yalgado n’avait pas une grande capacité pour gérer les déchets. Il ne pouvait prendre que 20 Kg par chargement alors que depuis longtemps, la production journalière dépasse 100 Kg. Et comme il est en panne depuis 2013, nous faisons avec les moyens de bord», ajoute le technicien de génie sanitaire.
Aux dires du directeur général du CHU-YO, Bibia Robert Sangaré, le problème de l’incinérateur devrait se résoudre avec le projet du nouvel hôpital du secteur 51 (ex-secteur n°30). «Le projet de départ était de faire de l’hôpital du 51, un 2e pôle de Yalgado. Donc, un incinérateur de grande capacité a été construit là-bas. Normalement, il devrait permettre au CHU-YO de détruire ses déchets. Mais la donne a changé et l’hôpital est devenu autonome, les problèmes de Yalgado restent intacts», argue M. Sangaré. A propos des raisons qui justifient l’entassement des déchets dans la cour de l’hôpital, le directeur général du CHR de Fada N’Gourma, Lucien Gamba, dit avoir introduit une demande de site auprès de la mairie. Malheureusement, elle n’a pas trouvé de réponse. Donc, les déchets sont gardés au sein de l’établissement de santé. «Nous n’avons pas le choix», lâche M. Gamba. En attendant, grâce à l’ONG Actions contre la faim (ACF), souligne Arouna Ouédraogo, une maisonnette est en cours de construction dans l’enceinte du CHR de Fada N’Gourma pour abriter les déchets avant leur incinération. Cette ONG construit également une fosse qui permettra d’enfouir la cendre une fois les déchets détruits.
Un danger pour l’environnement
S’il y a un type de déchets dont la gestion constitue aussi un casse-tête chinois pour les centres de santé, ce sont les déchets issus des automates. En fait, ce sont des déchets liquides produits par des machines dans le cadre des examens au niveau des laboratoires. «Nous avons vraiment des difficultés pour l’élimination de ces déchets. Ils contiennent une teneur en cyanure. On ne doit donc pas les déverser dans l’environnement. Mais étant donné que nous n’avons pas d’autres choix, nous les mettons dans les autres déchets pour les détruire. Ça ne respecte pas les normes», reconnaît Sakali Madiéga du CHR de Tenkodogo. Et de poursuivre : «Le danger est qu’on ne sait même pas si avec le feu, le cyanure ne reste pas. S’il y a des animaux qui passent dans la zone et qui consomment ces produits ou même si des personnes effectuent des fouilles sur le site, cela pourrait s’avérer dangereux à cause du risque de contamination». Au CHR de Tenkodogo, les déchets liquides et certains déchets solides qui n’arrivent pas à passer dans l’incinérateur sont déversés dans la nature. Une situation qui inquiète les spécialistes de l’environnement. Le chef de service de la préservation de l’environnement à la direction régionale de l’environnement du Centre-Est, Abdourasmane Savadogo, dénonce cette pratique. Selon le spécialiste, une fois les déchets déversés dans la nature, la nappe phréatique peut être touchée surtout pendant la saison pluvieuse, à cause du ruissèlement. Et si la nappe est infectée, des milliers de populations pourraient être contaminées par des maladies dont les conséquences seront forcément néfastes. «Nous avons entrepris des démarches pour construire un centre de traitement des déchets plastiques. Lorsque le site a été choisi, un jour je me suis rendu là-bas et quelle ne fut pas ma surprise de trouver des déchets biomédicaux entassés. Il s’agissait de seringues, de flacons de conservation de sang, de poches de sérum et autres. Je me suis posé la question de savoir si les déchets provenaient du CHR ou d’autres services de santé ?», relate M. Savadogo.
Confier la gestion à des
services privés spécialisés
C’est bien le CHR qui déverse ses déchets sur le site. Sakali Madiéga confesse que les déchets sont enlevés vers 5h-6h du matin et sont déposés sur le site dont parle Abdourasmane Savadogo. Une information confirmée par le directeur des services généraux du CHR de Tenkodogo, Wenceslas Médard Paré. «Ce n’est pas normal», vocifère l’environnementaliste. Le chef de service d’hygiène au CHR de Fada N’Gourma, Arouna Ouédraogo, soutient qu’en matière d’hygiène publique, la réglementation dit qu’une structure qui génère des déchets doit prendre en charge leur gestion. C’est pourquoi, des solutions sont ébauchées.
En plus de doter les CHR et grands hôpitaux d’incinérateurs de grande capacité, pour mieux gérer les déchets biomédicaux, les techniciens proposent que cette gestion soit confiée à une entreprise privée. «Je propose que les hôpitaux publics signent des contrats avec des sociétés privées qui ne font que du traitement des déchets biomédicaux, leur travail. Il va falloir aussi prévoir une station de traitement des déchets biomédicaux, déchets liquides surtout», suggère Arouna Ouédraogo. Le chef de service eau, hygiène et assainissement à la mairie de Tenkodogo, Edmond Ouédraogo, décline l’ambition de sa commune de clôturer le site actuel où sont déversés les déchets afin d’éviter qu’ils soient à la portée des enfants.
A Tenkodogo, c’est le Syndicat des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA) qui monte au créneau pour rappeler l’administration, ses obligations en matière de gestion des déchets. Son secrétaire général, Moussa Ouédraogo, souhaite que la gestion des déchets suive les textes qui régissent l’hygiène publique. Car, pour lui, l’hôpital doit être un lieu où le patient vient pour recouvrer la santé et non pour repartir avec d’autres maladies.
Gaspard BAYALA
gaspardbayala87@gmail.com